La Tunisie a tout pour déplaire aux djihadistes. C’est sans doute pour cela qu’ils l’ont si durement frappée, mercredi 18 mars, avec ce massacre perpétré au cœur de la capitale – dix-neuf morts, dont dix-sept touristes étrangers, et plus de quarante blessés, selon des chiffres encore provisoires. La Tunisie n’est pas n’importe quelle cible. Son exemplarité est sans doute intolérable aux tenants de ce totalitarisme sanguinaire qu’est le djihadisme.
La Tunisie les menace par ce qu’elle représente. Elle est le « contre-modèle » à abattre : elle prouve que la démocratie est parfaitement compatible avec un pays de culture islamique. Inadmissible pour la nébuleuse djihadiste. Elle montre qu’un pays musulman peut se doter d’une Constitution moderne où les femmes disposent des mêmes droits que les hommes. Insupportable pour des barbares à la virilité mal assurée. Elle incarne souvent un vieil humanisme puisé dans les tréfonds d’une histoire qui remonte à l’Antiquité et mêle, pour le meilleur, une multitude d’influences culturelles. Inimaginable pour des butors dont la référence à l’islam masque l’incapacité à penser et à s’exprimer autrement qu’en appuyant sur la détente d’une kalachnikov – si possible en ciblant des civils.
Avec l’économie, très dépendante du tourisme, c’est un peu tout cela qui, consciemment ou non, était visé, ce mercredi, à Tunis, dans le quartier du Bardo, en début de matinée, quand deux terroristes ont ouvert le feu sur des touristes descendant d’un bus.
Transition démocratique unique dans le monde arabe
Très symboliquement, le quartier abrite et le musée archéologique de Tunisie, et le Parlement du pays. Les tueurs ont pourchassé les touristes dans le musée même :« Ils tiraient sur tout ce qui bouge », dira un témoin.
La terreur va durer quatre heures, avant que les policiers ne tuent les deux attaquants et en arrêtent un troisième. Dix-sept touristes étrangers ont été tués – dont deux Français – et deux Tunisiens. Le pays connaît une mouvance islamiste qui sévit, sous forme de guérilla, dans les montagnes de l’Ouest tunisien, à la frontière avec l’Algérie. Ces hommes s’en prennent habituellement à l’armée ; jamais la Tunisie n’avait subi une attaque terroriste de cette ampleur contre des civils.
Une partie de la jeunesse est sensible à l’appel mortifère du djihadisme : plusieurs milliers de jeunes Tunisiens se battraient dans les rangs de l’Etat islamique ou d’autres groupes islamistes en Syrie et en Irak – cinq cents d’entre eux seraient retournés au pays.
Selon la police, les deux assaillants de mercredi étaient des Tunisiens âgés de 20 ans. La déstabilisation vient aussi de l’est, où la Tunisie essuie l’onde de choc du chaos qui désintègre la Libye.
Dans cet environnement tourmenté, les Tunisiens ont d’autant plus de mérite à poursuivre une transition démocratique qui reste unique dans le monde arabe. Ils ont déclenché les premiers le mouvement dit des « printemps arabes ». Ils ont renversé en 2011 un autocrate corrompu, Zine El-Abidine Ben Ali, et, depuis, d’élections libres en élections libres, ils ancrent la démocratie dans leurs institutions.
Ils apportent un démenti cinglant à ceux qui jurent que les Arabes n’ont le choix qu’entre deux modes de gouvernement : la dictature militaire ou la tyrannie islamiste. Il faut les aider, et ne pas annuler ses vacances en Tunisie.
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