La Vaste Expérience du Québec

Chronique de José Fontaine

Nous avons le Québec en tête en Wallonie. Pas tellement moins que dans les années 1960 à 1990 durant lesquelles il nous fut un modèle. Car l'histoire le prolonge. C'est à un tel point vrai que, durant ces années-là, se publient de nombreuses revues qui associent la Wallonie au Québec. Le drapeau du Québec est présent dans les assemblées du mouvement wallon.
Comme tous les habitants du monde, les Wallons ont sans doute découvert le Québec à l'occasion du discours du général de Gaulle prononcé à Montréal? Oui et non.
Du Canada français au Québec

Oui, on pourrait le penser. Mais non! Durant l'Occupation en 1940-1944, les courageux jeunes gens de Wallonie qui tentaient de gagner Londres pour poursuivre la lutte contre l'Allemagne passaient par l'Espagne et y arrivaient sans papiers disant à la police espagnole qu'ils étaient des «Canadiens français», ce que leur accent français, du moins à une oreille espagnole, rendait crédible. Non, car une petite revue wallonne à la vie, certes, éphémère est parue en 1946 le temps de deux ou trois numéros et elle s'intitulait Québec-Wallonie, revue de 50 à 60 pages de l'association portant le même nom. Ici la motivation, d'après la notice de l'Encyclopédie du mouvement wallon, semble bien être l'ouverture sur le monde de langue française, ce «Monde dans le Monde» comme l'appelle Pascal Holenweg, ce Genevois dont la réflexion sur l'identité romande en lien avec la Francophonie mérite le détour. Il n'oublie pas le Québec. Et moi je n'oublierai pas non plus les mots brûlants par lesquels la revue Esprit annonçait la victoire de René Lévesque en 1976 : Un libre vent s'est levé sur les bords du grand fleuve.
Une pensée de la nation
Ce qui nous est venu aussi du Québec, c'est une façon de penser la nation dans une démocratie en vue d'une émancipation qui ouvre sur l'universel. Nous ne disposions pas de cet argumentaire en Wallonie. Ou, plutôt, si, il en existait un à travers ce que l'on a appelé le renardisme (du nom d'André Renard, le leader syndical de la grande grève autonomiste de l'Hiver 60), mais il n'a pas eu le même déploiement que les chanteurs, les écrivains, les poètes du Québec chantant leur pays dans un esprit aussi enraciné qu'universel. Voire même leurs théologiens comme André Beauchamp en 1979 : «C'est quoi un être humain ? Pendant plusieurs années, j'ai pensé vraiment que l'assimilation était notre seule voie raisonnable. Être chinois, japonais, espagnol ou algérien, cela a-t-il vraiment une importance ? À ce niveau d'abstraction, non. Ce n'est pas être plus homme qu'être blanc. Mais nul n'est homme sans être d'abord de tel ou tel pays, de telle ou telle culture. Il n'y a pas d'être humain abstrait. On est noir, ou blanc, ou jaune, ou mulâtre. On ne peut flotter hors l'humanité dans une essence abstraite. Un être humain n'est pas un destin théorique dans l'univers des principes. C'est une réalité terriblement incarnée, avec les limites que cette situation impose mais aussi dans la richesse que donne cette expérience. Sous cet aspect, chaque langue, chaque culture, chaque société dit et réalise l'humanité, l'accomplit en un lieu donné. Elle la limite aussi, mais cette limite même fait partie intégrante de la réalité et constitue une dimension de l'expérience. Quand certaines cultures ne voient ailleurs que des limites et chez elles une pure humanité sans restriction, nous sommes alors en plein impérialisme.» (cité par Andrée Ferretti et Gaston Miron, Les grands textes indépendantistes, L'Hexagone, Montréal, 1992.)
Une grande métropole nous manque
Il manque à la Wallonie une grande ville comme Montréal. Il y a bien Bruxelles, mais Bruxelles, c'est la capitale de la Belgique. Aussi étrange que cela puisse paraître, lorsque la Wallonie est devenue une Région autonome en 1980, beaucoup pensaient qu'il fallait en placer les institutions à Bruxelles notre «vitrine sur le monde». Il est étonnant de penser que, en 1985, le fait que les socialistes aient été écartés du pouvoir en Wallonie par les libéraux et les démocrates-chrétiens, a bien failli empêcher la Wallonie d'avoir sa capitale sur son propre territoire. Qu'il ait tant fallu se battre pour cela donne l'idée de la vraie fragilité de la Wallonie. Certes, il ne fait pas de doute que Bruxelles est une grande ville, très majoritairement de langue française. Mais elle n'est pas une vitrine de la Wallonie sur le monde. C'est même une sorte de drame si je reçois des Québécois chez moi quand ils désirent surtout voir Bruxelles, car, à Bruxelles, la Wallonie est totalement invisible. S'il est si difficile, même pour des Québécois, de comprendre que nous parlons bien de la Wallonie, non de la Belgique, c'est un peu à cause de cela. Comme l'expliquent deux jeunes auteurs wallons parlant en introduction d'une belle et simple histoire de la Wallonie parue en Bretagne, Histoire de Wallonie. le point de vue wallon.
Yannick Bauthière et Arnaud Pirotte, après avoir analysé en effet, les progrès difficiles de la conscience wallonne, écrivent et décrivent dans l'introduction à cette histoire l'handicap fondamental du Pays wallon qu'il a lui-même créé par la puissance de son industrie durant deux siècles et par son ralliement à une Belgique francophone (donc aussi sa capitale) qui pourrait être son tombeau : «A cela, il faudrait ajouter, hier mais aussi aujourd'hui, le poids de la sphère médiatique francophone belge. Centrés pour l'essentiel à Bruxelles, les médias alimentent une fixation sur un belgicisme que d'aucuns diraient obsessionnel. L'absence d'un grand centre politico-financier au coeur de la Wallonie (Liège a pourtant tenu ce rôle à une époque) place celle-ci dans une position périphérique face à des centres extérieurs; cela nourrit un sentiment provincialiste de dépendance (...) Aveugle à elle-même, confiante en la Belgique, la Wallonie peine à admettre que la Flandre devenue prospère se construise un avenir par-delà une Belgique devenue pour elle encombrante.»
Nous sommes cent peuples venus de loin...
... pour vous dire que vous n'êtes pas seuls, lance Marco Micone aux Québécois. C'est le sens de cette chronique qui n'est pas tournée vers la seule Wallonie. Dans le beau numéro de L'Action nationale de septembre 2012, je lis que Denis Monière calcule sur la base d'études lexicométriques que, hormis Parizeau, les Premiers ministres du PQ ont eu tendance à mettre la question de la souveraineté nationale sous le boisseau quand ils furent au pouvoir. Même René Lévesque qui, de 1976 à 1985, sur un corpus de 15.423 phrases en a prononcé seulement 133 sur la souveraineté [[L'Action nationale, 9/10, 2012, p. 36.]].
La Wallonie a acquis depuis trente ans (à partir de rien en 1980!), une somme de compétences de plus en plus étendues, dont l'exercice se prolonge sur la scène internationale sans quasiment de veto possible du gouvernement fédéral, en conformité, si l'on veut, avec la fameuse doctrine Gérin-Lajoie. On évoque mal cette souveraineté de la Wallonie. Et peu. J'ai été payé pour le savoir puisque lorsque vous mettez en évidence ces potentialités tout de même extraordinaires de votre pays, par exemple dans l'enseignement, vous devenez suspect! Telle est la faiblesse intellectuelle et morale de l'opinion wallonne : souscrire sans réserves aux Lois et à la Constitution qui valent pour la Wallonie fait de vous quelqu'un d'extrémiste et à la limite de peu fiable. Quand seuls les militants sont dans l'esprit de la Loi, il y a de quoi se poser des questions!
Nationalisme
Il est ahurissant aussi de voir condamnés pour «nationalisme» des mouvements comme le souverainisme québécois ou le régionalisme wallon. Le sentiment de la nation est quelque chose qui doit être critiqué, sans aucun doute. Mais au début de l'année 2011, les médias bruxellois (la télévision en tête), ont quasiment organisé une manifestation avec de nombreux jeunes gens à Bruxelles défilant derrière des centaines de drapeaux belges, mais se disant contre le nationalisme et en faveur de la formation d'un gouvernement belge qui tardait à se constituer! Le nombre de personnes qui condamnent le régionalisme wallon ou le nationalisme québécois alors qu'ils s'inscrivent, eux, dans le cadre de nations moyennes ou grandes dont ils acceptent l'existence et alors que ces nations se sont souvent engagées dans des guerres ou des aventures colonialistes sanglantes, tout cela sans aucunement ressentir l'énorme contradiction de leurs positions, a de quoi sidérer. Prompts à condamner les «excès» du nationalisme wallon, certains esprits ne voient toujours pas en quoi Léopold II aurait mal agi en dirigeant un pays, le Congo, où, du fait de la colonisation et de sa violence, souvent directe, des millions de gens ont péri. Mais le danger du nationalisme wallon est extrême! Ces Belges-là, par leur inconscience, ont du sang sur les mains.

Je ne veux pas dire par là que de petites nations seraient, a priori, moins tentées par la violence que les grandes. Je veux insister sur les mouvements sociaux que sont le souverainisme québécois et le régionalisme wallon. Des mouvements sociaux mal compris dans la science politique française qui ne les perçoit qu'au travers de l'idéologie nationaliste, alors que celle-ci (comme le montre la manifestation orchestrée par les médias belges francophones début 2011), est tout autant le fait de l'Etat-nation existant. Mais dont le nationalisme évident n'est plus perçu parce que banalisé à travers la routine institutionnelle consacrée.
L’idée intéressante des mouvements québécois et wallon, selon Christophe Traisnel, c’est que, d’une part, la citoyenneté est universelle et que, d’autre part, elle a une dimension particulariste parce que, dit-il, « le statut de citoyen ne peut être délivré que par les États, en vertu de systèmes normatifs qui leur sont propres et qui intègrent les diverses particularités sociales, historiques, culturelles et politiques sur lesquelles ils se sont construits, c’est-à-dire une nationalité, constitutive de la citoyenneté. »
Le scandale pour la démocratie d'un Québec et d'une Wallonie dépendants
Il y a quelque chose de dramatique dans la trop faible conscience nationale du peuple wallon. La nationalité belge à laquelle il s'identifie est profondément mise en cause, même pas d'abord par le nationalisme flamand, mais par les choix que font les Wallons eux-mêmes et dont ils ne voient pas qu'ils sont d'autant plus contradictoires de leur sentiment belge d'appartenance, que ce sont ces choix qui ont amené à modifier de fond en comble l'Etat belge. Ce qui est exigible des Wallons, au nom de la démocratie et du simple amour de soi, c'est qu'ils adhèrent à leurs propres institutions. Les chiffres le montrent : avant août 1980, la Wallonie n'avait quasiment pas de compétences. En 2014, elle détiendra de 60 à 70 % des anciennes compétences étatiques. Les Wallons ne peuvent tout de même pas continuer à s'identifier à une Belgique qui, pour les deux tiers de leur existence collective, n'est plus qu'un état d'âme.
Au Québec, je trouve que les choses sont plus simples. Parce que la France de Louis XV au 18e siècle a laissé tomber ses ressortissants aux mains des Anglais (il ne s'agit même pas de possessions mais de gens!), faut-il qu'avec le rocher de Gibraltar (6 km2 et 27.000 habitants), le Québec (1.300.000 km2 et 8 millions d'habitants), demeure à jamais la dernière colonie britannique? La seule d'ailleurs qui n'ait jamais parlé vraiment la langue de la métropole contrairement (entre mille exemples) à Hong Kong, une ville chinoise, rendue à la Chine. Rétrocession qui semble à tout un chacun légitime, alors que le Québec n'a à être rendu «que» - si l'on peut dire! - à son propre peuple. Que même des Québécois trouvent ce motif insuffisant a quelque chose de consternant.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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