La vraie nature de l’indécence

Ce scandale-là étant mort-né, rien n’interdit de changer de ministre pour les bonnes raisons.

"L'affaire Maxime Bernier"


Ce n’est pas la robe de sa conjointe qui aurait dû choquer les convives, lors de la prestation de serment de Maxime Bernier comme ministre des Affaires étrangères. C’est la nomination elle-même, dont l’indécence est devenue manifeste depuis.

En regardant les jambes de l’amie de Maxime Bernier dans le journal, hier matin, mes pensées se sont mises à vagabonder pour se fixer sur cette question un peu vulgaire: le Canada a-t-il déjà eu comme ministres des Affaires étrangères une telle succession de deux de pique ?
Maxime Bernier, pas plus que Peter MacKay, n’était préparé pour ces hautes fonctions.
Je me souviens l’avoir interviewé dans un café de Saint-Georges-de-Beauce, au lendemain de sa victoire éclatante – la plus grande majorité au Québec.
Non pas que ce soit un sous-doué, loin de là. Mais dans cette heure de discussion, jamais n’a-t-il été question des relations internationales. Rien dans son curriculum vitæ n’indique la moindre préparation pour devenir chef de la diplomatie dans un pays qui, naguère, avait des prétentions de grandeur en la matière.
Formé en administration à l’UQAM, puis en droit à Ottawa, il a fait carrière essentiellement du côté de la chose économique, dans le secteur privé comme public. Au cabinet de Bernard Landry, aux Finances, il s’occupait d’assurances et de valeurs mobilières. Oh, lors de son bref passage à la Commission des valeurs mobilières, il s’est occupé des relations internationales de l’organisme.
Mais ses sujets de prédilection sont de deux ordres: l’économie et les relations fédéral-provincial. Idéologue néolibéral à ses heures, il s’est fait remarquer par des déclarations voulant que la hausse du prix du pétrole (je nous ramène il y a trois ans) était due à des politiques écologiques abusives. La greffe, on le voyait, finirait par prendre avec les conservateurs…
Mais ce dont on a surtout parlé, c’était de sa vision du fédéralisme. Nationaliste convaincu, il a été un des inspirateurs du «discours de Québec» de Stephen Harper. Déséquilibre fiscal, retrait du fédéral des champs de compétence provinciaux: c’était sa marotte.
Le voir à l’Industrie était déjà un bond considérable, mais le néophyte s’en est tiré.
Et après un an et demi, le voilà propulsé ministre des Affaires étrangères, lui qui est retard de deux coups d’État en Haïti. Qu’est-ce qu’on doit se bidonner au Ministère – pour ceux qui n’en braillent pas !
À Ottawa, quand on l’interroge sur les engagements du Canada concernant la peine de mort, ou sur la torture de prisonniers en Afghanistan, ou sur à peu près n’importe quel sujet un peu lourd, il n’a rien d’intelligent à dire.
Après Mackay, un autre sympathique poids plume, cette nomination ne peut pas être un accident. C’est un projet : nommer des figurants qui ne sauront pas faire contrepoids aux idées du bureau du premier ministre, aligné assez nettement sur l’administration Bush, elle-même discréditée dans son pays et dans le monde.
La seule consolidation importante de ce gouvernement en la matière a été le fruit d’une sous-traitance : on a confié à un comité présidé par l’ancien ministre libéral John Manley le soin de redessiner la politique canadienne en Afghanistan, en collaboration avec l’OTAN.
Et c’est ainsi que le Canada se fait volontairement de plus en plus insignifiant dans le monde. Le voilà, le scandale.
Pour le reste, il est vrai que cette femme n’a pas de casier judiciaire. Mais comme disaient les anciens, la femme de César doit être au-dessus de tout soupçon – César étant ici Maxime Bernier : il doit surveiller ses relations.
À part le premier ministre, le ministre de la Défense, le procureur général et le ministre de la Sécurité publique, personne n’a de poste plus délicat que le ministre des Affaires étrangères, lui qui manipule des documents top secret et qui est en contact avec des gouvernements étrangers.
On ignore quand Maxime Bernier a été mis au courant des relations passées de sa compagne, avec qui il a rompu. Mais même si c’est de l’histoire ancienne, elle a été suffisamment intime avec des acteurs importants du crime organisé pendant suffisamment d’années pour que cela devienne d’intérêt public. Et un légitime sujet d’inquiétude pour le ministre, assez pour le forcer à choisir entre l’amour et les Affaires étrangères.
Ce scandale-là étant mort-né, rien n’interdit de changer de ministre pour les bonnes raisons.


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