Le projet de Charte des valeurs québécoises rendu public ce mardi par le gouvernement Marois soulève, à peine déposé, les passions. Délicat par sa nature même, le débat qui s’engage exigera doigté de la part du gouvernement et retenue de ses opposants pour éviter les dérapages que personne ne souhaite et ne devrait souhaiter.
Certaines réactions aux propositions du gouvernement Marois sont étonnantes, tout particulièrement l’engagement pris sans attendre par le gouvernement Harper de combattre cette éventuelle Charte sur le front judiciaire. Le message est clair : Québécois, ne faites pas ce débat ! Disons-le tout aussi clairement, ce débat est tout à fait légitime. Ses conclusions appartiennent aux Québécois. Ils sont capables d’arriver à des consensus dont on devrait s’abstenir de leur dicter ce qu’ils devraient être.
Ce débat est nécessaire aux yeux du gouvernement Marois, mais craint par bien des Québécois en raison des passions qu’il soulèvera et du ressentiment que pourrait provoquer au sein des communautés culturelles la mise en oeuvre des propositions du ministre Drainville. Nous croyons dans ce journal que le débat sur la laïcité est à faire et qu’il devra être fait ce jour ou un autre. Certains préfèrent repousser ce débat, comme l’a fait le gouvernement de Jean Charest en laissant mourir au feuilleton son timide projet de loi 94, mais attendre qu’une crise survienne serait la pire des solutions.
Le contexte dans lequel il doit se faire est important. Le Parti québécois est accusé de poursuivre des fins électorales. On pourra adresser ce même reproche aux autres partis s’ils devaient mener campagne sur les intentions qu’ils prêtent au gouvernement. Ce qu’il faut dire, c’est que ce débat n’appartient pas aux partis politiques. Il est un débat de société qui doit se dérouler sur un fond de réflexion collective. La démarche de Bernard Drainville, qui dit vouloir rallier une majorité de Québécois à son projet pour forcer l’opposition à l’appuyer, soulève un doute. De quelle majorité parle-t-il ? Est-ce la francophone uniquement ou prendra-t-il soin de porter son prosélytisme auprès des minorités culturelles ?
Le projet du gouvernement peut faire consensus à plusieurs égards, plus que certains l’imaginent. Le Québec a cheminé au cours des 50 dernières années vers la laïcité. La séparation entre l’État québécois et l’Église catholique s’est achevée avec la déconfessionnalisation des commissions scolaires. Tous les partis sont d’accord pour que la Charte des droits affirme la neutralité de l’État, ce qui entraîne un certain nombre de conséquences.
Le gouvernement Marois ne s’engage pas dans une stricte laïcité. Il ne remet pas en cause l’appui financier de l’État par la fiscalité aux organisations qui se réclament de la religion. Il s’en tient à ce qu’il croit faire consensus, soit les questions relatives aux accommodements et le devoir de réserve des représentants de l’État pour lequel il s’avance sur le bout des pieds, sachant bien que le terrain est politiquement glissant. C’est ainsi qu’il ne fait pas de l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires une règle générale. Elle vaudra pour les employés de l’État et pour les enseignants, mais les employés de plusieurs institutions liées au gouvernement pourront y échapper grâce à un droit de retrait qu’elles pourront s’octroyer elles-mêmes.
L’approche du gouvernement comporte des incohérences flagrantes. Il érige en valeurs propres à la société québécoise la laïcité et l’égalité hommes-femmes, dont il voudrait qu’ils soient vus comme des principes fondamentaux. Mais le droit de retrait qu’il introduit fait en sorte qu’il les dévalorise. Comment voir autrement l’obligation faite aux enseignants de ne porter aucun signe religieux ostentatoire alors que les employés municipaux y échapperont ? Les uns et les autres font partie du même périmètre étatique, commissions scolaires et municipalités étant toutes deux des « créatures » de l’État québécois. Il introduit là une discrimination difficile à soutenir.
La position adoptée par le gouvernement montre à quel point il sera difficile d’imposer une froide logique dans ce débat. Il y aura plein de zones grises. Il faudra par exemple réconcilier plusieurs objectifs, déterminer comment marier diversité culturelle et laïcité. Mais ces zones grises ne pourront être éclaircies que si ce débat nous conduit à un consensus sur ce que sont les valeurs de notre société et leur portée. Nous avons déjà exprimé dans des éditoriaux précédents ce qu’elles sont pour nous, tout particulièrement en ce qui a trait à l’égalité hommes-femmes. Il faut maintenant espérer de la part du gouvernement Marois qu’il laisse parler les Québécois. On verra, par la suite, ce que cette Charte des valeurs pourra être.
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