Lors d’un récent colloque de sciences politiques auquel je participais, j’ai été fasciné d’entendre l’anthropologue Rainer Enrique Hamel, de l’Université autonome métropolitaine de Mexico. « Combien y a-t-il de revues scientifiques au Brésil ? », a-t-il demandé à la salle. Comme vous, j’aurais gagé entre 15 et 150. La réponse : plus de 5000.
Vous avez bien lu : 5000. Ce n’est pas le nombre d’articles, mais de revues. Incroyable ! Mais à la réflexion, ce qui est réellement incroyable, c’est justement que ça paraisse incroyable.
Nous sommes à ce point convaincus de la domination de l’anglais que les francophones ont du mal à croire qu’il existe des revues scientifiques francophones par milliers.
Il y a là un problème de visibilité. Par exemple, si l’on se fie uniquement aux quelque 63 000 articles de l’Arts Humanities Citation Index, la petite Écosse produit davantage d’articles (792) que l’Allemagne (590) ou la France (356), comme l’a démontré une étude du professeur Hamel, qui est un spécialiste des questions d’aménagement linguistique.
Dans les colloques, symposiums, conférences et autres congrès de l’Acfas, on se désole beaucoup du peu de place fait aux publications scientifiques en langue française.
Mais il faut appeler un chat un chat et reconnaître que les francophones sont à la fois victimes et complices de cette situation.
Je suis tombé en bas de ma chaise d’entendre la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, témoigner de ses difficultés à obtenir sa titularisation à l’Université de Montréal parce qu’elle avait trop publié en français.
Le cas n’est pas unique : tout le monde dans les facultés connaît une histoire du genre, et d’autres encore, où des chercheurs francophones ont du mal à obtenir une promotion ou un budget de recherche parce qu’ils n’ont pas assez publié en anglais au goût de leurs collègues francophones.
Autrement dit, même nos facultés ne respectent pas le critère le plus élémentaire de la loi 101.
Caisses de résonance
Il faut rendre à César ce qui appartient à César : l’univers anglo-américain a su monter un vaste appareillage de revues très prestigieuses couplées à de puissantes caisses de résonance tels les grands index de citations comme Web of Science.
Que peut-on faire contre une telle machinerie, qui carbure au prestige et à l’argent ? Une bibliothèque universitaire peut payer jusqu’à 100 000 dollars à Thomson Reuters pour avoir accès aux bases de données du service d’information Web of Science, en plus de payer des milliers de dollars pour s’abonner à une seule de ces revues, dont le contenu est lui-même subventionné par les chercheurs, qui paient bien souvent pour y être publiés !
Personnellement, j’y vois une occasion…
Car la domination anglophone de l’information scientifique crée une sorte de monopole qui donne prise aux francophones, qui comptent parmi les plus gros clients de ces grands groupes d’édition scientifique.
Il suffirait que les universités francophones, qui sont justement organisées en réseaux (tiens, tiens), décident de faire front, avec l’appui des gouvernements, qui sont eux-mêmes structurés en organisations internationales (re-tiens, tiens).
Grâce à ce puissant levier, elles seraient en position de faire pression pour forcer l’introduction en masse de publications francophones dans les index de citations, et plus encore.
Vous allez me dire : « Un instant. Si les grands éditeurs refusent ? » Cela tombe bien : Érudit et l’Agence universitaire de la francophonie mettent en place leur propre système d’indexation francophone, dont j’avais parlé il y a un an.
Donc voilà une combinaison formidable : des structures qui dépendent de l’argent qu’on leur verse, des « clients » organisés en réseau, une solution de rechange existante. Bref, un coup de force est possible à condition de rester groupés.
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