Congrès de l'ACFAS

Langue seconde: le mythe de l’âge critique d’apprentissage déboulonné

Langue française


Pauline Gravel - Est-il vraiment illusoire de vouloir apprendre une langue seconde à l’âge adulte, une fois que l’on a dépassé cette période critique de l’enfance où l’acquisition d’une nouvelle langue semble si facile ? Dans une conférence qu’il présentait hier au congrès de l’Acfas qui se déroule cette semaine au Palais des congrès de Montréal, un chercheur de l’École des sciences de la communication de l’Université McGill a déboulonné le soi-disant mythe selon lequel « seuls les enfants peuvent apprendre de nouvelles langues avec un haut degré de maîtrise », les adultes quant à eux n’y parviennent pas ou beaucoup plus difficilement, « car leur cerveau mature en a perdu la capacité ».
On croit depuis déjà plusieurs dizaines d’années qu’il existe une période critique, située avant la puberté, durant laquelle il serait beaucoup plus facile d’acquérir une langue et de la maîtriser parfaitement. Certains spécialistes pensent que la maturité qu’a atteinte le cerveau des adultes forcerait ceux-ci à faire appel à « des mécanismes neurocognitifs différents de ceux des enfants pour apprendre une nouvelle langue », a rappelé Karsten Steinhauer. D’autres croient plutôt que les adultes utilisent les mêmes mécanismes neurocognitifs, mais que « leur motivation » pour apprendre est moindre de celle des enfants. Enfin, d’autres chercheurs ont émis une troisième hypothèse « mitoyenne », selon laquelle un adulte utiliserait dans un premier temps des mécanismes neurocognitifs différents de ceux employés par les enfants, mais qu’au cours de l’apprentissage, ces mécanismes « convergeraient graduellement vers ceux sollicités par les enfants ».
Pour tester ces différentes hypothèses, Karsten Steinhauer a fait appel à la technique d’électroencéphalographie (EEG), qui en raison de sa grande précision temporelle correspond mieux à l’étude de « la parole, qui est rapide et dynamique ». Grâce à cette technique, il a enregistré les « potentiels évoqués cognitifs » (PÉc) - sur le scalp de trois groupes de sujets - des locuteurs anglophones, des adultes francophones apprenant l’anglais mais ayant acquis un niveau intermédiaire de cette langue seconde, ainsi que des francophones ayant atteint un niveau avancé de maîtrise de l’anglais - tandis qu’on leur faisait écouter des phrases anglaises et françaises correctes, puis rendues insensées par le changement d’un mot.
Karsten Steinhauer a ainsi remarqué que les PÉc enregistrés chez les adultes ayant atteint un niveau intermédiaire se rapprochaient de ceux observés chez les locuteurs anglophones ayant appris leur langue au début de leur vie. Chez les francophones qui étaient parvenus à un niveau avancé, les PÉc étaient similaires à ceux des anglophones. En d’autres termes, le cerveau de ces derniers se comportait désormais comme celui des locuteurs dont l’anglais était la langue maternelle ou avait été acquis dès le plus jeune âge. « La convergence était complète, a indiqué M. Steinhauer en conférence. Ces données vont donc à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle il existerait une période critique pour l’apprentissage et elles soutiennent la troisième hypothèse. »
« Il n’est pas impossible de changer les connexions synaptiques dans le cerveau d’un adulte. On peut apprendre à conduire la voiture et à jouer au tennis à l’âge adulte, c’est similaire pour l’apprentissage d’une nouvelle langue », a-t-il ajouté.
Dans un second temps, Karsten Steinhauer a voulu savoir si la méthode employée pour acquérir une langue seconde pouvait influencer l’apprentissage à l’âge adulte et s’il favorisait la convergence qu’il avait observée dans son étude précédente. « Il est possible que le type d’exposition à la nouvelle langue influence le mécanisme d’apprentissage », a-t-il soulevé. Il a donc comparé l’apprentissage implicite dans un contexte d’immersion à un apprentissage explicite en salle de classe. Toujours en compara nt les enregistrements EEG, il a constaté qu’au début, le groupe ayant suivi un enseignement explicite réussissait mieux que le groupe en immersion, mais pas pour très longtemps. Seul le groupe en immersion présentait au bout d’un certain temps des PÉc similaires à ceux enregistrés chez les individus dont il s’agissait de la langue maternelle. « L’immersion semble accélérer la convergence », a précisé le chercheur.
Le professeur Fred Genesee, du Département de psychologie de l’Université McGill, grand spécialiste de l’acquisition du bilinguisme, ne semble pas complètement convaincu par l’hypothèse de M.Steinhauer. Car avec son étudiante Audrey Delcenserie, il a observé que les enfants adoptés de Chine - et arrivés au Québec avant l’âge de 24mois - éprouvaient plus de difficulté de langage (principalement en ce qui a trait à la mémoire et à l’expression verbale) que les Québécois élevés dans des familles de même statut socio-économique. « Ces enfants adoptés obtenaient toutefois des notes qui se situaient dans la moyenne de tous les Québécois, mais on se serait attendu à ce qu’ils réussissent mieux que cela, car ils vivent dans des familles de statut socio-économique élevé et donc plus stimulantes », a précisé M.Genesee.
« On croit que la perte de l’exposition à leur langue maternelle et le délai dans l’acquisition de la nouvelle langue ont affaibli leur mémoire verbale. Et cette faiblesse contribue aux difficultés qu’ils éprouvent à apprendre le français, explique-t-il. L’exposition à la langue maternelle crée des bases qui seront déterminantes pour la capacité d’apprendre une langue. Or, en perdant le contact avec leur langue maternelle lors de leur adoption, ces enfants affaiblissent ces bases. »
« Cette étude me porte donc à croire qu’il existe une période sensible, vraisemblablement durant les deux premières années de vie », affirme le chercheur.
Visiblement, le débat sur cette question est loin d’être clos.


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