Georges Moustaki : Français d’origine grecque né en Égypte, auteur-compositeur d’immortelles chansons françaises. Celles-ci nous parlent de tout : de la vie, de la mort, des anarchistes américains (La marche de Sacco et Vanzetti), de l’écologie hippy naissante des années 1960, du Brésil (Bahia), etc. Qui a donné à ce célèbre chanteur, mort la semaine dernière, le goût de s’imposer « avec une belle voix, une guitare et de la poésie » ? Félix Leclerc.
Il y a dans le parcours et l’oeuvre du regretté métèque quelque chose comme un rappel du caractère international de la langue française. Il faut méditer, souligner, partager, ce rappel. Car au Québec comme en France, actuellement, on semble perdre de vue cette dimension enrichissante de notre langue.
Voyez le Parti libéral du Québec, maintenant dirigé par Philippe Couillard, promoteur d’un bilinguisme « trudeauesque ». « Adhérez au changement/Be Part of the Change », proposait un récent communiqué de cette formation. Le nouveau chef libéral ne rate jamais une occasion de laisser entendre qu’un Québécois qui n’est pas bilingue s’apparente à un être incomplet, voire inférieur. Sans maîtrise parfaite de l’anglais, impossible de s’« ouvrir au monde », martèle-t-on dans les discours des élus du PLQ opposés au projet de loi 14 visant à refondre la loi 101. Le français ne serait que fermeture, repli, la langue de la tribu. Il faudrait même, à en écouter certains - comme la députée de Hull, Maryse Gaudreault - abolir l’obligation d’aller à l’école française comprise dans la Charte de la langue française. Un grand chef libéral, Georges-Émile Lapalme, avait pourtant imaginé le projet de la Révolution tranquille sur l’idée que, pour le Québec, l’universel n’était accessible que par deux voies : la « démocratie » et le « fait français ».
C’était l’époque, rappelons-le, où le ministre de la Culture de De Gaulle, André Malraux, déclarait : « La France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous les hommes. » Dans l’Hexagone, il était donc encore fréquent d’aspirer à l’universel en français. Aujourd’hui, au contraire, une bonne partie des élites y font s’équivaloir français et fermeture. Comme dans cette déplorable déclaration de la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso : « Si nous n’autorisons pas les cours en anglais, nous n’attirerons pas les étudiants de pays émergents, comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table… » Autrement dit, il faudrait, pour être « attractif » (selon le terme en cours en France contemporaine), abolir toute spécificité linguistique. Qu’il y ait de l’anglais à l’université aujourd’hui, au Québec comme en France, n’est certes pas un scandale. L’anglais est devenu la langue globale. Mais faut-il pour autant paraphraser Rivarol : « Ce n’est plus la langue anglaise, c’est la langue humaine » ? Certes, non. L’humanité, c’est la diversité linguistique. Et on discute de Proust dans toutes les universités du monde. La plupart du temps en français !
Il y a plus de 100 millions de francophones dans le monde ; le français fut une langue de la diplomatie, de la littérature mondiale. Si elle n’est plus ce qu’elle était, son héritage reste et ouvre des possibilités d’invention, d’expression. À condition bien sûr de cultiver sans relâche une curiosité à son égard, à l’égard de son histoire, de ses littératures, de ses règles, de ses possibilités. En ânonnant que c’est uniquement en anglais qu’on peut être « international », les francophones comme Couillard et Fioraso contribuent à l’uniformisation du monde. Et ils le font, triste ironie, sous couvert d’« ouverture à l’autre » et de profession de foi à l’égard de la diversité ! Argumentation perverse. Qui fait mourir Moustaki une seconde fois ; qui réduit toute possibilité que d’autres francophones de sa trempe s’imposent, dans tous les domaines.
Français, langue internationale
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