Classes d'accueil: apprendre le français pour s'intégrer

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Si l'intégration passe par l'apprentissage du français, sa connaissance ne se traduit pas pour autant par l'intégration

Chaque année, des centaines d'enfants et d'adolescents nouvellement arrivés entrent en classe d'accueil afin de relever un immense défi: apprendre le français tout en apprivoisant un nouveau pays. Rencontre avec un professeur qui enseigne depuis plus de 20 ans dans les classes d'accueil de l'école primaire Bedford, dans Côte-des-Neiges.
C'est dans une classe bien vivante, aux murs décorés de chiffres, de lettres et de syllabes en couleur, que Daniel Gosselin reçoit ses 17 élèves âgés de 6 à 8 ans. Ils viennent de partout: Philippines, Guinée, Chine, Maroc, Égypte, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Tunisie, Iran...
L'enseignant est le premier interlocuteur francophone de ces enfants et leur premier contact avec la culture québécoise. C'est grâce à lui si, après trois mois en classe d'accueil, ils peuvent déjà lire et écrire quelques phrases, formuler des questions.
«Plus ils sont jeunes, plus leur intégration se fera facilement, même si certains peuvent tarder à parler, note M. Gosselin. Le plus important pour moi, c'est de leur donner envie d'aller à l'école.»
Cela explique notamment pourquoi, dans cette classe, tout paraît si stimulant: les manuels beaucoup plus imagés que ceux des classes ordinaires, les pupitres disposés en forme de «U» pour permettre à l'enseignant d'établir un contact individuel avec chaque élève, les tableaux qui illustrent les petites tâches de la vie quotidienne. En classe d'accueil au primaire, tout est soigneusement pensé pour faciliter l'apprentissage et la découverte de la culture locale.
«On travaille toujours par thème pour apprendre de nouveaux mots», explique Daniel Gosselin. Le moindre changement de saison est prétexte à une nouvelle leçon: le temps des pommes, la chute des feuilles, la première neige, toujours fascinante puisque la quasi-majorité des élèves n'a jamais connu d'hiver nordique.
Au-delà de la langue, il y a l'apprentissage de la vie québécoise. «Sans la langue, l'immigrant ne peut s'intégrer d'aucune façon», souligne Roksana Nazneen, professeure de sociologie au Collège John Abbott. Mais il est aussi important, à son avis, que les enseignants des classes d'accueil apprennent aux enfants à vivre dans une société multiculturelle, puisque la plupart d'entre eux viennent de pays où il n'y a pas de diversité ethnique.
Daniel Gosselin a pour sa part pris l'habitude de montrer à ses élèves une série vidéo sur les aliments du monde entier - à leur grand plaisir, puisque leur regard s'illumine lorsqu'ils reconnaissent des mets de leur pays.
Les parents sont eux aussi poussés à s'impliquer. Daniel Gosselin les invite aux sorties de groupe organisées par l'école durant l'année et les encourage à parler français à la maison, lorsque leur connaissance de la langue le permet. Nombre d'entre eux étudient au centre de francisation voisin et rendent visite aux petits de l'école Bedford dans le cadre d'un projet baptisé «Les élèves conteurs». Ces étudiants adultes choisissent pour l'occasion des contes à lire aux enfants - au risque de se faire corriger par ces derniers qui n'hésitent pas à les reprendre sur leur prononciation.
Bâtir une identité
Devant toute cette diversité, l'enfant éprouvera-t-il de la difficulté à construire son identité personnelle? Même s'il est exposé à une multitude de cultures, précise Roksana Nazneen, l'enfant conservera le bagage ethnique et culturel de ses parents toute sa vie, tout en l'adaptant à sa réalité. La deuxième génération d'immigrants, c'est-à-dire les enfants arrivés avant l'âge de 10 ans, parlera couramment trois langues, mais ne lira peut-être pas sa langue maternelle.
«Avec chaque génération, l'attachement à l'ethnie diminue. La deuxième génération a tendance à s'éloigner du ghetto ethnique dont ses parents ont eu besoin pour s'intégrer, trouver du travail, se socialiser. Les enfants d'immigrants deviennent trop différents de leur communauté d'origine pour pouvoir y rester. Ils se créent une identité à part, parlant la langue d'origine différemment, pratiquant même leur religion autrement dans certains cas.»
La langue maternelle conserve néanmoins une place importante dans la vie de ces enfants d'immigrants, au même titre que le français. Pour Takwa Souissi, qui a fait sa première année en classe d'accueil il y a 20 ans à l'école Bedford, trois langues font partie de son identité: le français, l'anglais et l'arabe. «Je devais me forcer à parler arabe avec mes parents quand j'étais enfant, et je parlais français avec mon petit frère.»
Diplômée en droit et en journalisme, la Tunisienne d'origine insiste sur le fait qu'elle ne pourrait vivre sans l'anglais et l'arabe, même si elle se sent pleinement québécoise et francophone, et qu'elle a étudié en français. L'essentiel pour réussir l'intégration des enfants qui viennent d'ailleurs, résume Roksana Nazneen, c'est d'accorder autant de place aux traditions d'origine qu'à celles de la société d'accueil dans leur éducation. «Pour y parvenir, les enseignants doivent en connaître beaucoup sur les autres cultures.»
Une immigration de plus en plus francophone
Au cours des dernières années, le nombre d'immigrants connaissant le français a progressivement augmenté au Québec, passant de 50,8% des admissions totales en 2003, à 61,6% en 2012. Ce n'est pas une surprise lorsqu'on constate que parmi les cinq premiers pays de naissance des nouveaux arrivants l'an dernier, on retrouvait la France, Haïti, l'Algérie et le Maroc.
La tendance devrait se poursuivre puisque dans son Plan d'immigration du Québec s'étalant jusqu'en 2015, la ministre de l'Immigration, Diane De Courcy, veut faire en sorte que les personnes connaissant le français demeurent majoritaires dans l'ensemble des admissions; elle souhaite aussi augmenter ce niveau de connaissance.
Parallèlement à cette croissance du nombre d'immigrants francophones dans la province, on note une baisse de la fréquentation des classes d'accueil dans le réseau primaire à Montréal (où s'installent plus des deux tiers des nouveaux arrivants): le nombre d'élèves est passé de 3856 en 2009-2010, à 3258 en 2011-2012. Le total au réseau primaire dans la métropole (secteurs public et privé) a quant à lui augmenté.
Choisir des immigrants qui parlent déjà français permet-il une meilleure intégration de leurs enfants dans la société? La connaissance du français par les parents est un atout majeur pour les enfants, reconnaît la professeure Roksana Nazneen. «Les enfants exposés à différentes langues peuvent montrer des retards de langage parce qu'ils se trouvent dans une situation où ils doivent choisir. D'autres ne veulent plus parler leur langue maternelle à la maison, ou ne veulent pas que leurs parents viennent à l'école parce qu'ils ont honte de leur méconnaissance de la langue. Les parents qui ne parlent pas le français ne peuvent pas superviser non plus ce que leurs enfants apprennent à l'école.»


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