Le 14, s’afficher comme peuple au Québec

Quelque chose comme un geste fondateur

Chronique de Claude Bariteau

Le peuple québécois ne s’est jamais prononcé en faveur de la création du Canada et n’a jamais dit qu’il entend y demeurer. Depuis la création du BQ en 1990, c’est ce qu’il rappelle. Le 14 octobre, le peuple québécois peut faire plus : affirmer qu’il est une nation politique.
Dans l’histoire du Québec, seuls les députés du Parti Patriote ont reçu un mandat du peuple. Le gouvernement colonial abolit alors le parlement et neutralisa ces derniers et leurs supporters. Quatre ans plus tard, le régime colonial reprit vie. En 1867, le Canada en est né sans que les députés en provenance du Québec n’aient de mandat à cette fin. Les autres non plus.
Dans le sillage de la Deuxième Guerre mondiale, le peuple québécois eut un sursaut de vitalité. Ce fut la Révolution tranquille suivie de pressions à la hausse pour renforcer le Québec. La riposte vint avec Pierre Elliott-Trudeau. Sans mandat, il refit le Canada prétextant avoir l’aval des députés du Québec.
Au référendum de 1980, si le peuple québécois refuse le projet du PQ, il ne donne pas carte blanche au PLC. Même chose en 1995. Le NON ne mandate pas Jean Chrétien de miner le Québec pour le rendre plus dépendant du Canada. Pourtant, c’est ce que firent ces premiers ministres, profitant de ces refus pour forcer le peuple québécois à vivre dans un Canada plus étroit et contraignant que celui de 1867.
C’est ce que dit et redit le BQ à la Chambre des communes, affirmant, à l’occasion, qu’il manque un pays au peuple qu’il représente. Parce que le BQ dit ça, il est objectivement l’ennemi du Canada et des partis fédéralistes qui, en l’attaquant de front, attaquent la nation politique québécoise qui supporte le BQ.
Pour renforcer leur point de vue, tous ces partis fédéralistes ont besoin d’assises locales. Le PLQ et l’ADQ en sont les principales. Il leur faut aussi des courroies de transmission. Médias et nombre d’universitaires font ce travail. Il leur faut en plus des gens qui ne se définissent pas d’abord membres de la nation politique québécoise. Là, ils sont comblés, car ils ont des appuis même au sein du PQ qui promeut une nation culturelle.
Dans Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français (2008), Louise Dechêne explique comment les Britanniques ont soumis les paysans et le petit peuple urbain d’alors. D’abord en isolant les milices de l’armée française et des domiciliés, leurs alliés amérindiens; ensuite en réorganisant la colonie sous l’égide de la Grande-Bretagne et de l’église catholique, consolidant une « tradition de soumission aux ordres ».
Legs de la France, cette tradition fut solidifiée en 1763, britannisée en 1774, renforcée en 1836, encastrée en 1867 et en 1982 puis, en 2000, appesantie d’une loi sur la clarté. Or, n’oublions surtout pas que c’est précisément de cette tradition de soumission, dont le peuple québécois veut se départir, alors que les partis fédéralistes, tous promoteurs de l’ordre canadien, aspirent à ce qu’elle soit intériorisée afin de figer tout élan de libération.
La motion du BQ sur la nation québécoise révéla leur habileté à riveter cette tradition. Déposée à la Chambre des communes par le BQ en référence à tous les Québécois et Québécoises, donc au peuple québécois, elle en est sortie disséquée en composantes ethnico-culturelles. Car, pour ces partis, il n’était pas question de reconnaître une nation politique autre que la nation canadienne.
Le 400ième anniversaire de la fondation de Québec alla plus loin. Une des pièces, la plus grosse, que le Canada veut à tout prix isoler des autres, vit sa mémoire dissoute. Pouvoir dominant oblige, 2008 se devait de célébrer le Canada. Pas Québec porte de l’Amérique du Nord. Pas Québec entité politique où règne un émissaire canadien avec mandat de la rendre dépendante du Canada. Mais Québec simple lieudit emmuré pour un party canadien festif.
Ça ne s’est pas arrêté là. Après Québec, Montréal fut ciblé par des coupes dans les programmes culturels. Pourquoi ? Parce que, dans cette ville, ils soudent des pièces que le Canada veut séparer, assurent une relève originale et font voir à l’étranger le Québec qui se fait. Il fallait stopper ça. C’est fait. Viendront un jour de nouveaux programmes, seulement toutefois lorsque les terreaux de la soumission seront mûrs et les relais locaux prêts à faire le travail.
À cause de ça et d’autres dossiers du même ordre, les élections fédérales de 2008 sont historiques pour le peuple québécois. L’objectif canadien est connu : soumettre à son ordre, cette fois à la manière Harper ou Dion. L’objectif des Québécois est aussi connu : s’extraire de cette soumission. Ces derniers disposent du vote pour le dire en s’affichant membres, toutes origines confondues, de la nation politique québécoise.
Il revient au BQ de les y inviter. C’est même un devoir pour eux de le faire. Non pour bloquer le PC. Ni faire un pied de nez au PLC. Seulement par respect envers eux et envers le peuple dont ils font la promotion au Canada. Le reste suivra. Surtout au Québec, car ce sera un geste d’affirmation politique sans précédent. Quelque chose comme un geste fondateur, qui n’a rien de défensif, à un moment charnière.
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Une version écourtée de ce texte est parue dans Le Soleil du 10 octobre 2008
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Claude Bariteau, anthropologue

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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