Le Bac!

Tribune libre


J'ai obtenu mon bac en 1980. J'avais 20 ans. De tout mon entourage et de tous les membres de ma famille, j'étais le seul à l'avoir eu à la première année. J'avais des cousins qui ont doublé trois fois avant de l'arracher. Passer le bac à mon époque c'était comme marcher sur un fil de funambule.


Et pourtant, c'est avec mon année de bac que j'ai accumulé le plus d'absences surtout dans les cours de maths et d’anglais. J’étais occupé ailleurs. En 1980, j’ai produis et animé une émission de télé sur la danse, j’ai joué dans un film, je présentais des spectacles de théâtre et de danse au sein du FRAT (Foyer de recherche artistique et théâtrale) sans oublier mes cours aux conservatoires de Rabat et de Kénitra. Le Bac c’était pour les autres. J’étais convaincu que j’en avais pas besoin pour devenir artiste!


Mon bac, que j’ai obtenu avec mention, je ne le méritais pas. Du moins c’était ma conviction au moment d’apprendre la nouvelle. J’avais même cru à une erreur. Le matin de la publication des résultats dans les journaux, moi je prenais le bateau et le train, pour aller à la découverte de l’Europe. Le soir de mon arrivée à Lausanne, la nouvelle m’attendait.


Je ne savais pas comment la prendre. Pendant des heures, j’ai été habité par un mélange de joie et de grande peine pour mes cousins que j’ai vus souvent pleurer devant un journal vide de leurs noms.


À mon époque, obtenir son bac, c’était obtenir son avenir. Le reste était presque une formalité. Non seulement les frais de scolarité étaient gratuits, on avait droit à une bourse. Obtenir son Bac, pour la jeunesse marocaine des années 70, voulait dire accéder à l'honneur et l'espoir. Avec mon Bac en main, je ne pouvais résister à l’espoir, mais à l’honneur, cela m’a pris un certain temps avant de l’assumer.


Que s’était-il passé ? Comment expliquer cette réussite inattendue ?


Aujourd'hui, avec le recul, la réponse me paraît simple. Avant l'année du Bac, j’avais accumulé au fil des années une certaine culture. Mine de rien et sans trop me rendre compte, j'avais introduis dans ma caboche une somme de connaissances. Autrement dit, je lisais.


Je n’avais pas doublé le Bac, mais j’ai doublé ma troisième. Une année que généralement personne ne double. Le secret de ma future réussite se situe là. J’avais 14 ans et je passais mon temps à lire. J’étais devenu malade, drogué, passionné de lecture. Je lisais de tout.


Des romans savons aux quatre tomes des « Mille et une nuits » en passant par des livres de littérature et de philosophie. Je m’imposais moi-même des devoirs en résumant soigneusement certains livres. Notamment celui de Hafid Amine intitulé « Les principes de la philosophie ». Je me faisais ma propre école.


Mon père s’en plaignait. Lui qui était devenu aveugle cinq ans auparavant, avait besoin de son aîné pour accomplir les commissions. Depuis mes 9 ans, il comptait sur moi pour presque tout. Mais si j’ai attrapé la piqure de la lecture, c’était principalement de « sa faute ». D’abord parce qu’il possédait lui-même une bibliothèque riche de centaines de livres. Aussi parce qu’un an après avoir perdu la vue, mon père avait été transféré de son poste d’instituteur à celui de bibliothécaire dans une bibliothèque de quartier.


À l’époque, les portes de la bibliothèque de la médina de Rabat fermaient durant les trois mois de vacances. Comme je devais accompagner mon père, la bibliothèque était donc à moi tout seul. Des milliers de livres étaient à ma disposition. Tout comme l'immense salle de lecture qui donnait sur un beau jardin andalou.


Un jour, je voulais atteindre un livre placé en haut de l’étagère. Par une mauvaise manœuvre, j’ai provoqué un séisme. Je me suis trouvé par terre couvert d’une centaine de livres. Par miracle, mon père et son collègue n’avaient rien entendu. J’ai alors pensé que tous ces auteurs m’avaient couvert de leur bénédiction. De leur grâce. Je m’étais promis de les lire tous. Une promesse que j’ai tenue.


Durant l’été de mes dix ans, je n’ai pas vu la plage. Je n’ai pas joué avec mes frères, mes sœurs et mes cousins. J’étais trop occupé à lire les traductions arabes de « Autant en emporte le vent », "Les misérables », et d’autres œuvres de la littérature française et anglo-saxonne.


Deux ans après l’année du Bac, j’ai demandé à l’administration de l’Université Laval de jeter un coup d’œil sur mes notes du Bac. Au Maroc, elles devaient demeurer strictement confidentielles. Je voulais avoir le cœur net. En découvrant mes notes, j’ai pris conscience, pour la première fois, à quel point ces années de lectures avaient grandement contribué à construire mon l’avenir.

Comme ont dit « Rien n’arrive pour rien ». Aujourd’hui au Maroc, obtenir son Bac n’est plus aussi difficile. À mon époque il y avait deux universités dans tous le pays. On ne pouvait accueillir tous les bacheliers. Aujourd’hui, presque chaque grande ville possède son université. Et pourtant le taux de décrochage a augmenté. La qualité de l’éducation a lamentablement baissé. Devant les manifs presque quotidiennes des hauts diplômés chômeurs, le Bac n’est plus synonyme d’espoir. Le Bac est devenue une simple étape d'un chemin rempli d’incertitudes.


Toute mon admiration et toutes mes félicitations à celles et ceux qui viennent d’obtenir leur Bac au Maroc et ailleurs, malgré les incertitudes devant l’avenir..


Mohamed Lotfi

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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1 commentaire

  • Patrice-Hans Perrier Répondre

    28 juin 2012

    Cher Mohamed,
    Merci pour ce vibrant plaidoyer en faveur des études, mais, dans un contexte où les étudiants du Cégep et ceux de l'Université québécoise sont concernés, il eu été souhaitable de préciser que le BAC marocain correspond à notre secondaire 5 avec les deux années subséquentes du Cégep général.
    Certains l'auront compris, beaucoup sans doute ... pas.
    Moi-même, avec mes interlocuteurs français, prends le temps de préciser que j'ai obtenu une ... licence (Bacc québécois) en communication :-)
    Bon été et au plaisir !