Pierre Fortin a présidé la commission d’enquête sur le développement durable de l’industrie des gaz de schiste au Québec.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Ce texte est en lien avec un texte publié en cette page du Devoir le 17 septembre 2010 dans lequel nous, un collectif de spécialistes en consultation publique (des anciens commissaires du BAPE, des universitaires et des consultants), dénoncions les limites du mandat confié au BAPE (portée et temps alloué) par le gouvernement Charest. Nous rappelions les règles de base pour une véritable consultation, entre autres, la présence d'une étude d'impacts stratégique comme dans le cas de l'exploration pétrolière dans le fleuve et le golf. Nous demandions au BAPE de prendre les moyens pour rétablir la confiance envers l'institution en utilisant au maximum ses pouvoirs, en faisant une interprétation large de son mandat et en prenant en considération les principes et les approches du développement durable. Voici le deuxième volet de cette intervention publique.
Le rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur le développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec vient d'être dévoilé par le ministre Pierre Arcand. Pour au moins deux raisons, ce rapport du BAPE se présente comme un effet de l'implication de la société civile.
La première raison tient à la qualité du rapport lui-même qui prend appui sur les principes du développement durable, tels qu'ils sont énoncés dans la Loi québécoise sur le développement durable adoptée récemment. Le rapport est rigoureux, riche, détaillé et courageux, malgré le mandat restreint et le court délai accordé au BAPE. Dans ce contexte, peu de gens croyaient que le BAPE oserait produire un rapport d'une telle portée. Il faut dire que le positionnement du gouvernement en faveur du développement de la filière et l'improvisation dont il a fait preuve pour répondre à la montée des contestations citoyennes n'étaient pas propice à la mise en place des conditions nécessaires au développement d'une analyse indépendante, complète et crédible, et ce, en dépit du changement de ton du gouvernement à la suite de la découverte de fuites dans la majorité des puits existants. Malgré ces contraintes, le BAPE a réussi en s'appuyant sur la forte mobilisation de la société civile à assurer les conditions d'une véritable participation publique, crédible et efficace.
Évaluation environnementale
La deuxième raison a trait au positionnement du ministre à la suite de la publication du rapport du BAPE. Dans un communiqué de presse du ministère, celui-ci déclarait: «Les commissaires ont produit un rapport d'une grande rigueur qui apporte un éclairage précieux. Je l'accueille favorablement dans ses grandes recommandations, et il guidera nos actions à venir.» Le ministre est notamment favorable au lancement d'une évaluation environnementale stratégique (EES), la recommandation centrale du rapport.
Le gouvernement s'est également prononcé à l'endroit de plusieurs autres avis, comme celui d'un développement contrôlé de l'industrie au cours du processus d'EES. Le ministre s'engage à adopter des règles transitoires à court terme et à faire en sorte que «les nouveaux forages ne seront autorisés que pour les besoins de développement de connaissances scientifiques de l'évaluation environnementale stratégique».
Une mobilisation importante de la société civile
Le dossier des gaz de schiste a donné lieu à une mobilisation citoyenne importante qui ne peut être réduite à certains groupes environnementaux expérimentés. De l'Ordre des ingénieurs du Québec, aux communautés religieuses, en passant par les artistes, les Directions régionales de la santé publique, des géologues et même des comptables, le questionnement sur les gaz de schiste a mobilisé une grande variété d'acteurs de la société civile.
Malgré la quasi-absence d'information sur la filière en début d'audience — le ministère des Ressources naturelles avait produit un document d'une trentaine de pages en appui aux audiences publiques —, la participation a été somme toute importante si l'on considère le peu de temps accordé aux audiences publiques et le fait que celles-ci ont eu lieu essentiellement en région. Il faut noter que 85 personnes-ressources issues des milieux gouvernementaux, universitaires et privés ont participé à l'exercice d'enquête et de consultation et que 199 mémoires ont été déposés, dont 123 lors des séances publiques en plus de huit prestations orales.
Cela témoigne de l'importance de ce forum pour la bonne santé de la démocratie québécoise et aussi de l'importance que la société civile accorde au BAPE. Le BAPE n'a pas ménagé ses efforts dans sa recherche d'information, notamment lors de trois missions sur le terrain (États du Texas, de la Pennsylvanie et de New York) afin d'apprécier l'état de la situation et les pratiques en cours, mais qui n'a malheureusement pu être utilisé par les participants à l'audience publique.
Constats et avis
Plusieurs avis et prises de position de la part de la Commission doivent être soulignés en raison de leur caractère audacieux compte tenu du contexte et innovateur par rapport aux pratiques actuelles. Il faudra quand même, s'ils sont mis en oeuvre, les examiner pour s'assurer qu'ils respectent les règles de l'art et d'éthique de la participation publique.
* L'assujettissement des projets à une autorisation par le MDDEP
* Une approche participative avec les milieux d'accueil et l'implication des MRC et des municipalités dans la planification du développement
* Une implication des Conférences régionales des élus et de la commission régionale des ressources naturelles et du territoire
* Des consultations publiques requises avant autorisation des projets
* La mise en place de comités de concertation à l'échelle des territoires
* La récupération du manque à gagner des droits d'exploration
* La mise en place d'un régime de redevances assurant des revenus substantiels
* La création d'une entente-cadre incluant un bail type pour guider les négociations entre les citoyens et les entreprises.
«Le diable est dans les détails»
Bien entendu, le rapport du BAPE est une étape et la réaction du ministre en est une autre. La suite réside dans la nomination des membres du comité qui pilotera l'exercice de l'EES et les moyens qui seront prévus à cet égard (temps et ressources). L'indépendance, la représentativité, l'expertise de ces membres, la transparence et la continuité du processus seront les éléments qui pourraient permettre d'assurer la légitimité et la crédibilité de l'EES.
Les activités de consultation, avant, pendant et après la production de l'EES seront également déterminantes. En d'autres termes, presque tout reste à faire, et l'on peut dire que le «diable est dans les détails». Il faudra que la société civile soit vigilante tout au long du processus. Mais il faut qu'un mécanisme adéquat le pilote (et ça pourrait être le BAPE) et que l'EES commence par une phase de consultation publique sur les enjeux à documenter et la nature de cette documentation.
Comme dans les cas du Suroît, du parc du Mont Orford et de La Romaine, la société civile mobilisée et crédible a amené le gouvernement à délaisser ses tentatives pour court-circuiter les processus décisionnels en annonçant ses intentions d'aller de l'avant avant même que les consultations de la population n'aient eu lieu. La consultation doit toujours précéder la décision et l'information pertinente précéder la consultation, il en va de la légitimité et de la crédibilité de cette dernière. Souhaitons que le BAPE puisse continuer de jouer un rôle important dans la suite de ce dossier majeur et structurant dans la mise en oeuvre du développement durable au Québec.
***
Ont signé ce texte: Jean Baril (Centre du droit de l'environnement et auteur du livre Le BAPE devant les citoyens), Marie Beaubien (conseillère en communication et affaires publiques), Michel Bélanger (Centre du droit de l'environnement et ex-commissaire additionnel au BAPE), Laurence Bhérer (professeur en sciences politiques à l'Université de Montréal), André Delisle (conseiller en participation du public et ex-vice-président du BAPE), Michel Gariépy (professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal et ex-commissaire additionnel au BAPE), Mario Gauthier (professeur et chercheur à l'Université du Québec en Outaouais), Luc Ouimet (Centre de consultation et concertation et ex-commissaire au BAPE), Louis Simard (professeur d'études politiques à l'Université d'Ottawa), André Thibault (professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières et ex-commissaire additionnel au BAPE).
Gaz de schiste
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé