Un feu vert aux projets de pipelines?

Ef0ac13355dec0b883f23d3d064d6edc

Pourquoi la vie de Québécois serait-elle à risque pour satisfaire des besoins énergétiques autres que les leurs ?

La tragédie de Lac-Mégantic risque de donner des munitions supplémentaires aux partisans de la construction de pipelines pour transporter le pétrole brut.
Considérés comme étant plus sécuritaires que les trains, ils ont tout de même connu de nombreux ratés au cours des dernières années. Dans ce contexte, certains souhaitent d’ailleurs qu’on profite de l’occasion pour débattre de notre grande dépendance à l’or noir.

« Sans que les promoteurs de projets de pipelines se réjouissent de cet événement, il vient tout de même illustrer de manière tragique la plus grande sécurité des pipelines pour le transport de pétrole. Donc, dans une certaine mesure, ça donne un coup de pouce aux promoteurs des projets de pipelines », analyse Pierre-Olivier Pineau, spécialiste des politiques énergétiques à HEC Montréal.

Et les « promoteurs » de l’énergie fossile ne manquent pas. Le Québec à lui seul est visé par deux importants projets de transport de pétrole brut albertain par pipelines. Il y a d’abord celui d’Enbridge, qui veut inverser le flux dans sa « ligne 9B » de façon à amener chaque jour 300 000 barils à Montréal. TransCanada souhaite pour sa part convertir un gazoduc situé en sol québécois en oléoduc, en plus de construire un nouveau tronçon d’oléoduc. L’objectif est d’acheminer 600 000 barils par jour à la raffinerie d’Irving, au Nouveau-Brunswick. Le train qui a déraillé et explosé à Lac-Mégantic devait se rendre à cette raffinerie.

Ces deux projets de pipelines pourraient bien recevoir une écoute plus attentive encore des gouvernements du Québec et du Canada — qui se sont déjà montrés ouverts —, en raison de leur caractère « plus sécuritaire », estime M. Pineau. Surtout que s’ils ne se réalisent pas, Suncor et Ultramar ont toutes deux affirmé qu’elles pourraient utiliser des trains pour approvisionner leurs installations québécoises. Pierre-Olivier Pineau ne croit d’ailleurs pas que la tragédie de Lac-Mégantic puisse stopper ces projets ferroviaires.

Le problème est que « le réseau ferroviaire n’a absolument pas été construit pour desservir le secteur pétrolier, mais bien pour la grande industrie manufacturière », rappelle Jean-Thomas Bernard, professeur au Département de science économique de l’Université d’Ottawa. Or, la hausse marquée de la production pétrolière en Amérique du Nord au cours des dernières années a été de pair avec une multiplication des trains chargés de cette matière dangereuse. L’Association des chemins de fer du Canada a récemment estimé que jusqu’à 140 000 wagons-citernes transportant du brut devraient circuler sur les rails du pays cette année, contre seulement 500 en 2009.

Dans ce contexte, M. Bernard juge que le recours aux pipelines serait plus judicieux, même s’il n’est pas sans risque. Il rappelle notamment le cas du déversement dans la rivière Kalamazoo, en 2010. Un pipeline d’Enbridge y a laissé fuir quelque 3,2 millions de litres de pétrole. Plusieurs déversements ont aussi eu lieu en Alberta au cours des dernières années.

Jean-Paul Lacoursière, ingénieur et professeur de génie chimique à l’Université de Sherbrooke, estime également que le transport ferroviaire est plus dangereux que par pipelines. Il précise toutefois que l’analyse de risques est un instantané. Il dépend des variables du jour. Si on laisse un pipeline se dégrader, alors l’analyse ne tient plus.

M. Lacoursière fait aussi remarquer que le risque n’est pas le même. Dans le cas des pipelines, le risque est souvent davantage environnemental alors qu’avec les trains, il peut y avoir des morts. « C’est la grosse différence qu’il faut prendre en ligne de compte. Ici, on a des pertes de vies parce que ça a explosé. Ce n’est pas du tout le même risque. Il est certain qu’un risque de pollution n’est pas acceptable, mais dans la hiérarchie des choix, les pertes de vies dominent. »

Sortir du pétrole


Steven Guilbeault, porte-parole d’Équiterre, affirme pour sa part que l’image de « sécurité » environnementale liée aux pipelines devrait être remise en question. « Une récente étude de l’Agence internationale de l’énergie reconnaît qu’il y a plus d’accidents de trains, mais que les quantités de pétrole déversé par les pipelines sont trois fois plus importantes que celles par trains. » Il souligne d’ailleurs que plusieurs municipalités, dont la Ville de Montréal, ont fait part de leurs craintes au gouvernement du Québec concernant le projet d’inversion d’Enbridge.

Chef des projets scientifiques à la Fondation David Suzuki, Jean-Patrick Toussaint juge nécessaire de sortir du simple débat sur le mode de transport de l’énergie fossile. « On voit déjà que cet accident a amené un retour des arguments à l’appui des pipelines. On espère que ça ne débouchera pas sur un feu vert pour les projets de pipelines. On veut que ça déclenche une réflexion sur notre dépendance au pétrole. »

M. Guilbeault est de cet avis. « Même si on construit Keystone XL et même si on procède au renversement du flux dans la ligne 9B d’Enbridge, on va continuer à utiliser les trains parce qu’on ne peut pas tout faire avec les pipelines. Il faut réfléchir à notre dépendance au pétrole, sans quoi il faudra nous habituer à vivre avec des risques constants. »
Pierre-Olivier Pineau souhaite lui aussi que ce déraillement meurtrier amène une réflexion en vue de réduire notre consommation d’énergie fossile. « Mais malheureusement, la population, qui considère ces événements comme tragiques, ne va peut-être pas remettre en cause sa propre consommation de pétrole. Et le pétrole doit arriver de quelque part. Si le pétrole n’arrive pas par train, il doit arriver par pipeline, ou encore par bateau. Et aucun mode de transport n’est sans risque. »

Avec la collaboration d’Hélène Buzzetti


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->