Québec -- Vexé de n'avoir pas pu prendre connaissance du rapport quinquennal de l'Office québécois de la langue française (OQLF) avant qu'il ne soit rendu public, le président du Conseil supérieur de la langue française (CSLF), Conrad Ouellon, entend bien s'assurer que ce bilan ne restera pas lettre morte. Non seulement le CSLF prendra position mais il fera des recommandations d'ici l'été.
M. Ouellon aurait bien aimé donner son avis sur le rapport quinquennal de l'OQLF portant sur l'évolution de la situation linguistique au Québec. Ce que la présidente de l'OQLF, France Boucher, affirmait ne pas pouvoir faire, c'est-à-dire qualifier la situation du français au Québec, le CSLF l'aurait fait volontiers si cet organisme avait pu lire le rapport avant sa publication. «Elle [France Boucher] aurait eu une opinion d'exprimée dans le rapport», a fait valoir M. Ouellon.
Lors du dévoilement du rapport, mercredi, France Boucher a soutenu que l'OQLF ne pouvait pas porter de jugement sur la situation de français au Québec parce que, ce faisant, il outrepasserait son mandat.
Ordre du jour chamboulé
Dès aujourd'hui, les membres du CSLF se réuniront pour se pencher sur le rapport de l'OQLF. «Ça vient chambouler l'ordre du jour», a signalé M. Ouellon. «Il est clair que nous prendrons position.» L'organisme-conseil fera des recommandations au gouvernement «pour modifier des situations là où on le peut sur tout ce qui est langue d'usage» dans un avis qui sera produit d'ici juillet.
Les recommandations porteront sur les lacunes que laisse entrevoir le rapport: la francisation des immigrants, le français dans les milieux de travail et la qualité de la langue. «Ça va être une vision pragmatique. Ce n'est pas le temps de faire de la théorie. Ça va être de l'action», a promis M. Ouellon.
Le président du CSLF ne peut pas préciser dès maintenant si des modifications législatives, notamment à la Charte de la langue française, feront partie des recommandations. «C'est la partie la plus politique», a-t-il convenu. «En même temps, je ne suis pas convaincu qu'à l'intérieur de la Charte, on ne puisse pas aller plus loin» avec des mesures incitatives.
Le CSLF devrait aussi recommander que l'OQLF change ses méthodes de recherche en vue de son prochain rapport quinquennal sur le suivi de la situation linguistique. «Il n'est pas dit que dans un avis, il n'y aura pas des recommandations sur la façon d'améliorer le bilan. Je ne vois pas pourquoi je me priverais», a dit Conrad Ouellon.
Le président démissionnaire du comité de suivi de l'OQLF, le sociologue Simon Langlois, a indiqué hier que dès janvier dernier, il avait tenté de convaincre les autres membres de l'organisme et les rédacteurs du rapport, Jacques Maurais et Pierre Bouchard, de la nécessité d'inclure dans le rapport une conclusion et une interprétation d'ensemble. Mais cet avis a été rejeté par France Boucher. «Ça prend une conclusion. Mais il n'y en a pas eu. Il faut aussi se pencher sur le diagnostic. C'est ce que l'Office aurait dû faire, mais on ne l'a pas fait pour toutes sortes de raisons, notamment la culture du secret» qui règne au sein de l'organisme.
Selon Simon Langlois, l'OQLF doit revoir son rôle en matière de recherche. Pour la diffusion des documents, l'OQLF, qui a gardé secrètes pendant des mois, voire des années, des études payées à même les fonds publics, devrait s'inspirer des politiques de Statistique Canada ou de l'Institut de la statistique du Québec, qui publient leurs études dès qu'elles sont achevées ou à intervalles fixes. «Il faut avoir une politique claire de diffusion et non pas avoir l'espèce de capharnaüm qu'il y a eu hier [mercredi, lors du dévoilement du rapport] et depuis un mois», quand des informations partielles ont été divulguées dans les médias, estime M. Langlois.
Une présidente incompétente?
Évoquant une «paranoïa» injustifiée qui ne peut s'expliquer que par de l'ingérence politique, tant Pauline Marois que son critique en matière linguistique, Pierre Curzi, ont dénoncé hier la gestion du dossier des études linguistiques faite par l'OQLF et par le gouvernement.
Selon M. Curzi, «quand on voit la présidente de l'OQLF [France Boucher] qui refuse de faire un bilan clair de ces nombreuses études, il faut se poser des questions. Soit elle est complètement incompétente -- et alors le gouvernement devrait faire quelque chose et changer de p.-d.g. --, soit elle subit une pression politique». Mais pour lui, il est «clair qu'il y a une mainmise de la part du premier ministre ou de la ministre sur ce qui devrait sortir de l'OQLF».
La chef du Parti québécois estime quant à elle qu'en «ne tirant pas de conclusions, on en tire en même temps», puisqu'on camoufle d'une certaine façon les zones d'ombre du rapport.
M. Curzi évoque une «absurdité» injustifiée. «Qu'est-ce qu'on craint tant? De nous dire quel est le véritable portrait de la situation? On est pourtant prêt à accepter ce portrait.» L'ancien acteur ajoute qu'il y avait d'autant moins de raisons de cacher les études et d'éviter de les analyser qu'elles ne contiennent pas de surprise majeure. «Le portrait confirme exactement l'impression que tout le monde avait de la situation du français à Montréal.» Mais comme il y a «péril en la demeure» pour le français à Montréal, il aurait mieux valu s'attaquer le plus rapidement possible au problème en dévoilant franchement les différentes données, pensent Mme Marois et M. Curzi.
Le PQ ne demande pas pour autant une révision du mandat de l'OQLF. «On ne peut pas mettre en doute la qualité des études, estime M. Curzi. Mais il faut s'inquiéter du fait que le comité de suivi a démissionné, [ça prouve qu'il y a] un malaise clair. Ça veut dire que cet organisme ne fonctionne pas comme il devrait fonctionner.»
Ceci fait dire à Pauline Marois «qu'on a l'impression présentement que l'OQLF est à la solde des intérêts politiques du gouvernement».
Selon le juriste Marc Chevrier, de l'UQAM, France Boucher déforme la mission de l'OQLF. Selon sa loi constitutive, l'organisme a le mandat «de définir et de conduire» des aspects de la politique linguistique, dont la francisation des entreprises. Il doit aussi surveiller l'évolution de la situation linguistique, ce qui implique «le fait de signaler les problèmes émergents, les signes de dégradation ou d'amélioration», a fait valoir M. Chevrier. Il ne s'agit pas d'une simple tâche de collecte de données, estime-t-il. M. Chevrier croit que la nomination du président de l'OQLF devrait être confiée à l'Assemblée nationale, qui procéderait par un vote des deux tiers des députés, à l'instar de la nomination du vérificateur général ou du protecteur du citoyen.
Le bilan de l'OQLF ne restera pas lettre morte
Le Conseil supérieur de la langue française veut passer à l'action
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