RELATIONS AVEC LA RUSSIE

Le Canada a-t-il toujours une politique étrangère?

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«Pour ce qui est du fédéralisme rentable, on repassera»






Le 7 mars 2014, John Baird, alors ministre des Affaires étrangères du Canada, rencontre à Montréal les représentants de la communauté ukrainienne. Dans la foulée, il annonce à la presse que le Canada s’apprête à imposer des sanctions économiques à la Russie. Dix jours plus tard, c’est chose faite : le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie entre en vigueur.


 

D’entrée de jeu, experts, diplomates, économistes et exportateurs canadiens s’interrogent. Les sanctions sont un outil à double tranchant. Gilles Breton, ancien diplomate en poste à l’ambassade du Canada à Moscou et actuel président de la section Ottawa-Montréal de la Canada Eurasia Russia Business Association, affirme tout haut ce que plusieurs pensent tout bas : « Les sanctions qu’on pourrait vouloir imposer à la Russie pour la punir, elles puniraient en fait davantage les exportateurs canadiens que la Russie elle-même. »


 

Le cabinet du ministre Baird est bien conscient de cette réalité. Son porte-parole se veut néanmoins rassurant : les sanctions ont été conçues « en tenant compte prudemment de l’impact potentiel qu’elles auraient sur les intérêts des entreprises canadiennes ». En d’autres mots, le ministère canadien des Affaires étrangères se serait fait un devoir d’anticiper la réponse de la Russie. Vraiment ? La suite des choses est à tomber par terre…


 

Chute des exportations


 

Août 2014, cette réponse se matérialise : la Russie réplique en adoptant à son tour des sanctions envers le Canada. Parmi les secteurs les plus touchés par ce jeu de sanctions croisées, on retrouve l’aérospatiale et les produits agroalimentaires, c’est-à-dire le porc, deux secteurs d’importance au Québec. Les effets sont immédiats : en un mois, les exportations québécoises vers la Russie plongent de 112 millions (juillet 2014) à 18 millions de dollars (août 2014), une chute de 84 % ! En comparaison, le reste du Canada voit ses exportations vers la Russie passer de 63 millions (juillet) à 37 millions de dollars (août), une chute de 41 %.


 

Richard Davies, vice-président principal aux ventes et au marketing de l’entreprise Olymel, basée au Québec, résumera la chose quelques mois plus tard : « Nous savions [que l’interdiction] était imminente, potentiellement, mais nous ne nous attendions certainement pas à ce qu’elle survienne aussi rapidement et à ce qu’elle soit aussi forte qu’elle ne l’a été. »


 

Les exportations, en particulier québécoises, ne se relèveront pas. Selon les chiffres les plus récents du commerce extérieur de l’Institut de la statistique du Québec, la valeur des exportations québécoises vers la Russie a chuté de 72 % depuis l’entrée en vigueur des sanctions russes ! — passant de 496 millions (pour la période équivalente d’août 2013 à mai 2014) à 138 millions de dollars (août 2014 à mai 2015). Dans le reste du Canada et pour la même période, le chiffre passe de 774 à 384 millions de dollars, une chute de 51 %.


 

Considérations


 

Il est bon de souligner que, si les sanctions occidentales envers la Russie ont permis, dans l’affaire ukrainienne, d’apporter une certaine « clarté morale », dixit le premier ministre Stephen Harper, à la politique étrangère du Canada, une province en particulier, en l’occurrence le Québec, semble en avoir fait les frais économiquement. Le fait que le Québec compte à lui seul pour 40 % du commerce entre le Canada et la Russie a-t-il échappé au calcul des analystes des affaires étrangères canadiennes ? Peut-être, peut-être pas… Une chose est certaine, l’escalade des sanctions contre la Russie ne présente pas le même inconvénient économique pour tout le monde.


 

Si cette chute de 72 % s’explique principalement par le jeu des sanctions, d’autres facteurs, de moindre importance, y ont sans doute également contribué. Ainsi, la chute du prix du baril de pétrole a grandement fragilisé l’économie russe. La fermeture à l’automne 2014, sur décision de la ministre québécoise des Relations internationales et de la Francophonie, Christine St-Pierre, du bureau du Québec à Moscou, par ailleurs motivée par des raisons idéologiques, a eu une forte symbolique et n’a certainement pas aidé.


 

Le jeu en valait-il la chandelle ? Pour le gouvernement Harper, c’est indéniable. Le coût de ces sanctions sur l’ensemble du Canada est marginal, mis à part au Québec, et son prosélytisme sur l’Ukraine lui aura permis de récolter des votes au sein de cette diaspora importante au Canada, notamment dans l’Ouest. Ce n’est pas un cas isolé : tant Joe Clark et plus récemment Bob Rae sur l’Iran se sont fait les critiques des « postures » de la diplomatie Harper, qui sont moins le fruit d’une politique étrangère « mûrie » que du prolongement de sa politique électoraliste intérieure, laquelle vise à faire du Parti conservateur, à la place du Parti libéral, le « parti naturel de gouvernement » au Canada. Il y a lieu de s’interroger, dans la présente campagne électorale fédérale, si le Canada a toujours une politique étrangère et ce qui la motive.


 

Enfin, pour le Québec, on ne peut s’empêcher de penser aux récentes négociations sur l’Accord de libre-échange Canada-Europe (CETA) et à la décision unilatérale d’Ottawa de sacrifier les produits laitiers québécois. À l’époque, le gouvernement de Pauline Marois était monté au créneau, obtenant au minimum la promesse d’une compensation fédérale pour les dommages économiques occasionnés au Québec. On s’imagine mal le gouvernement actuel de Philippe Couillard en faire de même pour le préjudice subi par les entreprises québécoises à cause de l’attitude de Harper à l’égard de la Russie.


 

Si au moins ce « sacrifice économique », au nom de la clarté morale, avait contribué au règlement de la crise ukrainienne… Or, manifestement et en bout de ligne, la politique de Harper se résume à une bravade politique qui ne change rien à l’équilibre géopolitique planétaire et encore moins à la situation en Ukraine — une bravade sur le dos de l’économie québécoise. Pour ce qui est du fédéralisme rentable, on repassera.







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