Le CRTC veut forcer Radio-Canada à s’excuser pour avoir diffusé le « mot en N » à la radio

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L’entité fédérale se transforme en tribunal de l’Inquisition


Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) ordonne à Radio-Canada à fournir des excuses publiques en raison d’une chronique datant de l’été 2020 lors de laquelle le «mot en n» a été prononcé à quatre reprises.


Dans une décision publiée mercredi, les membres du conseil de direction de l’organisme fédéral ordonnent à la société d’État de «préciser la manière dont elle compte atténuer l’impact du "mot en n" dans ce segment de l’émission» au plus tard le 29 juillet.


La SRC devra finalement produire un rapport «de mesures internes et de pratiques exemplaires en matière de programmation qu’elle mettra en place afin de s’assurer de mieux traiter d’un sujet semblable à l’avenir» avant le 27 septembre.







Une chronique en question


Le tout remonte à un segment du chroniqueur Simon Jodoin à l’émission quotidienne Le 15-18, animé par Annie Desrochers, portant sur le livre Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières et sur l’acceptabilité de l’expression dépendamment du contexte dans lequel il est employé.


Le «mot en N» a été prononcé à quatre reprises au cours des 6 minutes et 27 secondes de la chronique du 18 août 2020, soit «trois fois en français et une fois en anglais», souligne le CRTC.


L’activiste et entrepreneur social Ricardo Lamour a par la suite déposé une plainte à Radio-Canada dans laquelle il dit avoir été «heurté, éprouvé du stress et été contrarié» par l’usage du terme par «deux personnes caucasiennes n’ayant pas de considération de la charge accompagnant l’usage du mot employé».


La plainte a été rejetée une première fois par la productrice de l’émission, puis une deuxième fois par l’ombudsman de Radio-Canada après un appel de M. Lamour. Ce dernier décidera finalement de porter le dossier au CRTC.


La chronique se déroulait alors que le mouvement «Black Lives Matter» prenait un essor considérable aux États-Unis après la mort de George Floyd et que, dans la foulée, la chargée de cours de l’Université Concordia Catherine Russell eut été suspendue pour avoir nommé le livre de Pierre Vallières en classe.


Puisque l’usage du «mot en n» avait pour but de «citer le titre d’un ouvrage qui était au cœur d’un enjeu d’actualité», «le Conseil reconnaît que le mot n’a pas été utilisé de manière discriminatoire dans le cadre de la chronique».


Les membres du Conseil jugent toutefois que «l’émission n’a pas respecté la norme de programmation de haute qualité et n’a pas contribué au renforcement du tissu culturel et social ainsi qu’au reflet du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne».


Dissidence au sein du CRTC


La réaction du CRTC à la plainte de la SRC n’a pas fait l’unanimité au sein même de l’organisation.


Deux membres du Conseil ont défendu la décision de l’ombudsman de Radio-Canada, incluant la vice-présidente à la Radiodiffusion, Caroline J. Simard, pour qui «la décision majoritaire a franchi un pas que je ne peux franchir».


Selon elles, la décision majoritaire a failli à son devoir de considérer la Charte canadienne et à ses dispositions sur la liberté d’expression.


«De surcroît, en l’absence de propos discriminatoires par l’animatrice et le chroniqueur, la décision majoritaire a failli selon moi à appliquer le droit en vigueur développé par la Cour suprême du Canada selon lequel il n’existe pas de droit de ne pas être offensé selon le droit à la liberté d’expression protégé par la Charte canadienne et la Loi», écrit Mme Simard.


L’autre dissidente, Joanna T. Levy, estime que «la décision de la majorité n’est pas équilibrée et ne répond pas aux critères de transparence, d’équité et de prévisibilité».


Qui plus est, celle-ci «ignore la liberté de la presse et, à mon avis, l’étouffera».


«Au lieu d’un journalisme audacieux, actuel et pertinent, nous risquons de voir l’analyse de l’actualité et des questions du jour devenir des blagues pour les humoristes, dont la liberté d’expression semble mieux protégée», écrit Mme Levy.




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