Le délire d’État

Éditorial de décembre 2022

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« La colère doit gagner les protestataires avec l’intensité requise pour que les autonomistes qui pensent pouvoir pactiser avec le régime réalisent que la fierté dont ils se réclament et prétendent pratiquer n’est rien d’autre que le déni de la honte qui les laisse consentir à ce délire »

La chose est d’abord parue comme une espèce de fait divers bizarre, une anecdote qui donne des frissons aux repentants qui s’épanchent au Devoir. L’Université Laval s’était fendue d’un appel de candidatures demandant expressément aux « blancs » de s’abstenir de postuler un poste de professeur. Il aura fallu que s’écoule un certain temps avant que l’incrédulité ne fasse place à l’ahurissement et finisse par sortir des cercles des seuls critiques académiques de la rectitude politique.


Il faut saluer l’initiative du professeur Yves Gingras qui a réuni des collègues pour protester auprès des autorités universitaires et des responsables des fonds de recherche et du scientifique en chef du Québec pour dénoncer les aberrations et périls que l’imposition des normes canadian touchant l’approche EDI (Équité, Diversité, Inclusion) fait pleuvoir sur la vie intellectuelle et l’avenir de la liberté académique et de la recherche. Il faudrait que les étudiants qui veulent une bourse, que les chercheurs qui tentent de dénicher de fonds fassent la preuve de leur vie vertueuse, une vie mesurée à l’aune de la prosternation devant les nomenclatures fumeuses du déconstructivisme identitaire et de l’angélisme du développement durable version vert bitumineux, du salut de Gaia et… de la satisfaction des petits caporaux d’Ottawa, gardiens du multiculturalisme.


Frédéric Bastien, toujours pugnace, vient pour sa part de porter la chose devant les tribunaux, espérant que cela pourra ramener sur terre les technocrates de l’Université Laval. Les chroniqueurs du Journal de Montréal (Martineau, Facal, Bock-Côté) sont également montés au créneau pour dénoncer le déploiement d’un dispositif derrière les argumentaires de soutien à cette ségrégation odieuse. Il faudra cependant passer de l’indignation à la colère, chose qui ne va jamais de soi dès lors qu’il s’agit de s’assumer dans cette province.


Les commentateurs ont beau s’échiner à démonter les ressorts de cette machine idéologique à produire du puritanisme, son sort ne se règlera pas dans les débats entre intellos. Et encore moins par le droit canadian et son juridisme fabriqué sur une charte conçue pour enfermer notre peuple dans sa minorisation définitive. Ce qui est en cause, c’est le pouvoir et l’asservissement. Ottawa a depuis longtemps déjà confisqué le financement et l’orientation de la recherche, piétiné les compétences québécoises et asservi les universités. C’est d’ailleurs ce que les bureaucrates serviles de l’Université Laval ont répondu : ils n’ont fait que se conformer aux directives d’Ottawa. En d’autres mots comme en mille et sur un air déjà connu : ils n’y sont pour rien, ils n’ont fait qu’obéir…


On s’attendrait à ce que la ministre de l’Enseignement supérieur se lève, on s’étonne de voir un premier ministre si autonomiste ne rien dire. Aucun geste pour récupérer les sommes et la maîtrise d’œuvre, pas même d’éclats de voix pour protester, pas le moindre effort pour faire respecter la loi 32 à peine votée. Nos impôts servent à retourner contre nous-mêmes nos propres institutions. Pis, à conscrire ceux et celles qui les dirigent dans des manœuvres visant explicitement à nous dissoudre dans un magma d’identités frelatées, dans une bouillie symbolique toxique. À faire avancer leurs carrières en remplissant des formulaires selon les normes du guide fédéral d’écriture inclusive dans la langue officielle du simulacre et de sa minorité méprisable…


On s’étonne, façon de parler, car l’autonomisme de la CAQ n’est qu’une rhétorique de façade, un narratif d’alibi. François Legault devrait se lever pour enjoindre au scientifique en chef du Québec de refuser de pactiser avec les zélotes de la doctrine d’État canadian. Mais son gouvernement n’aime pas la chicane, c’est bien connu. Il est dès lors déjà en train de marchander par son silence l’avenir d’une génération de jeunes chercheurs trop blancs et toujours soupçonnables d’incarner l’intolérance imputée dans les beaux quartiers torontois aux Tremblay de par ici. Il est déjà en train de regarder ailleurs, pour ne pas voir que les recteurs sont d’une affligeante servilité devant l’argent d’Ottawa tout en continuant de siphonner les deniers publics qui devraient servir à assurer l’avenir de la recherche québécoise. La déloyauté, la restriction mentale et le silence feutré leur vont trop bien pour qu’ils apprennent ce que signifie se mobiliser et combattre.


Le délire d’État ne s’arrêtera pas aux portes des laboratoires et ne condamnera pas seulement les jeunes boursiers et finissants à mentir et faire des simagrées pour finasser avec le puritanisme asservissant de la machine outaouaise. La vertu EDI a déjà valeur de dogme à Radio-Canada qui en répand jour après jour l’engluante glose. La bigoterie se répand d’ores et déjà bien au-delà des coteries de carriéristes toujours prêts à se tourner du côté du plus fort. Le conformisme des élites autoproclamées va la répandre partout à grand renfort de publicité pour montrer que les dirigeants font partie de la parade.


La bien-pensance que charrient le multiculturalisme et l’ingénierie EDI ne sont pas des effets circonstanciels et des débordements passagers ou accessoires. Ce sont des instruments de brouillage des repères symboliques de notre société, des outils de sabotage de la cohésion nationale. Le dispositif dont elles ne sont qu’une partie, c’est celui de l’oblitération définitive de notre existence nationale, de puissants instruments de nation building pour un Canada messianique. EDI c’est le mantra qui accompagne l’utopie postnationale. Il sert de liant pour susciter l’adhésion au millénarisme : le Canada se vante de ne pas avoir une culture nationale et il compense en se rêvant phare de l’humanité. Cela donnera un régime de plus en plus toxique qui considérera les protestations québécoises comme des preuves de sa justesse morale et des motifs supplémentaires pour accélérer l’oblitération de ce foyer d’intolérance. Nous y sommes et y serons de plus en plus des asservis méritant leur sort.


Il faut sortir de ce carcan mortifère au plus coupant. Ce n’est pas ainsi que nous voulons vivre. Seule l’indépendance nous donnera les outils pour continuer de cohabiter avec un voisin engagé dans un tel cul-de-sac civilisationnel.


Le Canada se saoule de son prophétisme euphorique lui inspirant d’ores et déjà les pratiques odieuses qu’il nous imposera avec l’assurance morale de le faire pour notre bien. Ce n’est pas d’hier qu’il ne nous considère que pour mieux nous protéger de nous-mêmes. Les petits ingénieurs sociaux qui, dans les institutions publiques québécoises, se prêtent à son jeu participent d’une impardonnable démission collective. La politique du repentir imposée de programme en programme ne sert qu’à nous rendre coupables d’exister.


La colère doit gagner les protestataires avec l’intensité requise pour que les autonomistes qui pensent pouvoir pactiser avec le régime réalisent que la fierté dont ils se réclament et prétendent pratiquer n’est rien d’autre que le déni de la honte qui les laisse consentir à ce délire. Le pragmatisme des quotas ne donnera que la mesure de notre effacement devant la puissance condescendante des donneurs de leçons et des bidouilleurs de machines à soumettre.

 


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Robert Laplante172 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]