Les Québécois qui s’intéressent au doublage auraient intérêt à relire cette chronique de Nathalie Petrowski, publiée dans le journal La Presse il y a presque 30 ans, le 24 février 1997*. Elle montre que le doublage québécois a été nuisible à plus d’un titre :
« Lundi dernier, suite à une chronique qui se portait assez virilement à la défense du doublage québécois, deux messages m'attendaient sur le répondeur.
Le premier était une déclaration d'amour d'un professionnel du doublage. Ce que vous avez écrit ce matin sur le doublage a accompli plus en une journée que des années de discussions stériles. Tout le milieu vous en remercie, madame Petrowski.
Le deuxième message était nettement moins élogieux. Après les fleurs, le pot. C'est pas pour être bête, mais ce matin ma chère, tu t'es plantée. Et pas rien qu'à peu près.
Le messager s'appelait René Malo. Pendant plus de 30 ans, il a été un des artisans des plus colorés du cinéma québécois. À la fois producteur, distributeur et lobbyiste, Malo s'est bâti un empire (qu'il a depuis vendu pour des millions) avec son goût du risque et son flair pour les bonnes affaires. Son nom est associé à une foule de succès qui vont de L'Aile ou la cuisse à Diva en passant par Le déclin de l'empire américain.
René Malo n'est pas un deux de pique. Et même s'il est plus politicien qu'il ne veut l'admettre, il reste que son expérience dans le cinéma lui confère une crédibilité difficilement contestable.
Qu'est-ce tu veux dire au juste par, plantée?
Je veux dire que la loi Bacon a peu à voir avec la principale intéressée. La loi Bacon, m'a rappelé Malo, est une création du gouvernement Lévesque et non, Bourassa. Défendue par Clément Richard, ce qui devait devenir la loi Bacon faisait partie d'un tout plus ambitieux : la loi 109 du cinéma, adoptée en 1983 et mise en application en 1985.
Un de ses grands objectifs était de réduire la mainmise étrangère sur la distribution de films au Québec.
Autrement dit, de faire en sorte que les millions de dollars que rapportaient les films américains restent au pays et profitent aux distributeurs d'ici.
La question du doublage n'était qu'une pinotte dans toute l'histoire.
Manque de chance, la mise en application de la loi a coïncidé avec le déclenchement des élections. Le PQ a perdu et les libéraux sont arrivés en proposant des amendements.
C'est cela, la loi Bacon : moins une loi qu'un amendement qui n'avait rien de courageux. Au contraire.
La loi Bacon, m'a soutenu Malo, est la pire affaire qui est arrivé au cinéma québécois. La ministre a lâchement abandonné les distributeurs québécois et a vendu leur marché aux Américains pour un plat de lentilles.
La loi a peut-être favorisé l'émergence d'une industrie du doublage de 20 millions. Mais elle a surtout permis aux Américains d'inonder le marché de leurs films et de faire chez nous deux fois plus d'argent qu'avant.
Le doublage dans toute cette affaire ma fille, m'a répété Malo, est un cadeau empoisonné. C'est le cheval de Troie des Américains.
Sur le coup, j'ai cru que Malo était fou ou alors qu'il défendait des intérêts politiques supérieurs. Mais un rapide retour en arrière m'a convaincue qu'il avait raison.
Une industrie du doublage qui prospère ne vaut rien si à cause d'elle, le cinéma québécois, français ou même moldave, se meurt sur nos écrans.
Or, depuis la fameuse loi Bacon, c'est effectivement ce qui se produit. Avant l'imposition de la loi obligeant nos voisins du sud à sortir leurs films en version originale et en français presque en même temps, les Américains n'avaient pas considéré sérieusement le potentiel économique du marché québécois.
Pour eux, nous étions une petite île perdue au milieu du Pacifique dont les habitants parlaient chinois ou son équivalent.
Aussi sortaient-ils la version originale de leurs films dans moins de cinq salles au Québec. Ils croyaient vraiment qu'il n'y avait pas d'argent à faire avec nous.
La version française n'arrivait que neuf mois plus tard. Et là encore, son rayonnement était des plus discrets. Au plus, une demi-douzaine de salles étaient réquisitionnées. Les journaux en parlaient peu ou pas. Résultat : les Québécois boudaient les versions françaises des films américains, convaincus qu'il s'agissait de vieux films sortis il y a trop longtemps.
La naissance d'une industrie du doublage québécois a fait basculer ce bel équilibre. Les versions doublées des films américains se sont mises à sortir aussi rapidement que des saucisses. Le public québécois s'est pris au jeu.
Et comme l'appétit vient en mangeant, plus il mangeait de films américains plus il avait envie d'en manger.
Devant un tel appétit (et surtout de tels revenus) les Américains se sont réveillés. Au lieu de réquisitionner cinq salles, ils en ont pris 10, puis 18. Cet été, Mission impossible était présenté dans 60 salles au Québec! Les distributeurs québécois sont tombés au front les uns après les autres. Aujourd'hui, il ne reste que deux distributeurs majeurs sur la vingtaine d'avant.
Personne n'a osé protester. Après tout, cette «perte» des écrans rapportait 20 millions au doublage. Les comédiens travaillaient comme des fous et faisaient du fric comme de l'eau. Pourquoi se plaindre?
Bien entendu ce n'était pas entièrement la faute des comédiens ni des professionnels du doublage québécois. N'empêche. Grâce à leur beau travail, les films américains occupent maintenant 87 % de nos écrans. Les films français ont pratiquement disparu de la carte. Tout comme les films moldaves, italiens ou polonais. Quant aux films québécois, on n'en parle pas.
Aujourd'hui, pour aider les choses, c'est au tour du doublage d'y goûter. Pas fous, les Français se sont mis à produire des saucisses aussi vite que nous. Et à miner notre marché. Bientôt il ne nous restera plus rien : ni d'écrans pour nos films, ni de sous-produits à doubler.
J'aimerais écrire que tout n'est pas perdu et qu'une négociation serrée avec les Français pourrait nous sauver du désastre mais j'y crois de moins en moins.
Dix ans après l'entrée triomphale du cheval de Troie sur nos écrans, force est de constater que les Américains nous ont eus. Nous avons peut-être gagné une bataille mais ce n'était pas la bonne.
Si le gouvernement d'Ottawa perdait moins d'énergie à se battre contre le Québec et s'attaquait sérieusement à son véritable adversaire (américain), nous aurions peut-être une minuscule chance de nous en sortir. Autrement, il faudra se rendre à l'évidence. On s'est plantés. Et pas rien qu'à peu près. »
Les libéraux sentaient-ils venir le 2e référendum ? Ils ont peut-être estimé que de réduire le nombre de films québécois, de films français, d’augmenter le nombre de films états-uniens, concourraient à faire éclater la petite bulle dans laquelle vivaient les Franco-Québécois. Pierre Falardeau leur a peut-être donné l’idée avec sa série de films sur Elvis Gratton.
Sylvio Le Blanc
* La Presse, « Le cheval de Troie », Nouvelles générales, le lundi 24 février 1997, p. A5. Auteure : Nathalie Petrowski.










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