Il m'arrive, lorsque le spectacle du monde me fait exploser le coeur, de «reprendre racine» à Montréal, ce merveilleux endroit du monde où les débats tournent autour des réformes du système de santé et de l'éducation. Certains diront que les débats tournent autour de la couleur de la margarine et... du français!
Montréal est une ville où on peut fraterniser le temps d'une manif ou porter un drapeau même si on ne l'a jamais fait de sa vie.
Mais surtout, Montréal est et restera pour moi la ville des grands rassemblements festifs de la Saint-Jean, où nous nous retrouvions toutes et tous noyés dans une marée de bleu et de blanc à se dire que nous étions confondus dans un même destin.
J'ai connu les années où c'était le boulevard Saint-Laurent qui marquait «la frontière» entre la ville française et la ville anglaise. Aujourd'hui, il faut aller un peu plus loin qu'Atwater. Même dans les environs de l'université McGill, on se fait répondre en français. Est-ce parce que nous avions marché jadis sur la rue Sherbrooke en scandant «McGill français» ? La peur de se retrouver pour la première fois, face à face avec une escouade anti-émeute vêtue, bottée, casquée de noir et masquée de plexiglas...
Bon, la peur. Ne pas s'engager parce qu'il est difficile de prévoir les retombées négatives et les effets pervers de l'engagement, donc défendre et illustrer une liberté citoyenne selon le bon jugement et le sens de l'équité et de l'intégrité. [...]
Une langue par amour
Il y a 25 ou 30 ans, certains prédisaient qu'en l'an 2000, le français n'existerait plus au Québec. C'était le temps où on se faisait dire dans les grands magasins : «I don't speak French... »
Et la poétesse Michèle Lalonde passera à l'histoire avec son bouleversant Speak White tandis que Gilles Vigneault, Félix Leclerc, Beau Dommage, Gaston Miron, Pauline Julien, Édith Butler et Denise Boucher pratiqueront la grande séduction à coups de mots rares et de sons irrésistibles, parce qu'une langue, ça se pratique par amour, jamais de force. Je me souviendrai toujours de ce jeune Hongrois dans le Budapest des années soviétiques qui pouvait parler plusieurs langues sauf le russe. Le russe obligatoire ne passait pas. Il y a de ces des refus qui se muent en incapacité.
J'ai alors compris comment j'avais moi-même commencé par «trahir» mon «arabe maternel» en flirtant avec des auteurs de langue française ou même traduits dans cette langue comme Tolstoï ou Dostoïevski et, d'ici, comme Anne Hébert et Nelligan, qui donnent enfin cette passerelle pour le plaisir de la lecture sans culpabilité. Le plaisir pur.
Les années 60, c'était aussi le temps où la jeunesse en particulier cultivait le «joual» comme d'autres se distinguent en chantant fort pour signaler leur présence. Être minoritaire, ça rend fragile et audacieux. En 1979, Michèle Lalonde publiait au Seuil Défense et illustration de la langue québécoise en référence au fameux Défense et illustration de la langue française de Joachim du Bellay.
Des progrès et des difficultés
Aujourd'hui, McGill offre des cours en français. Le Montréal français s'est enrichi de l'Université du Québec, qui a essaimé un peu partout au Québec et a ouvert ses portes sans snobisme ni arrogance à des personnes de tous les âges et d'origines diverses.
Une Grande Bibliothèque, des maisons de la culture et tant de gestes petits et grands font la personnalité spéciale de Montréal, font que Montréal est une «maison d'enfance» où on aime revenir, quels que soient les attraits des voyages.
De plus en plus d'immigrants francophones d'origines diverses y élisent domicile. S'ils y sont la plupart du temps bienvenus, leurs difficultés pour accéder à des emplois correspondant à leur formation restent présentes même si, comme c'est le cas de certains Algériens, Antillais, Sud-Américains ou Libanais, ce sont des intellectuels de haut niveau, capables d'enrichir leur société d'accueil de leur savoir et de leur expérience, en français. Ils ont des accents parfois venus d'ailleurs (personnellement, j'aime les accents, ils sont comme une signature au bas d'un texte qui identifie son auteur et authentifie son discours).
Donc, des difficultés pour les immigrants mais aussi pour les enseignants et écrivains d'ici, qui sont les premiers à «défendre et illustrer la langue». Ils doivent eux aussi ramer ferme pour obtenir des conditions de travail et un niveau de vie décents.
Et les enfants qui sont notre avenir collectif n'ont pas toujours à leur disposition des bibliothèques scolaires qui les encourageraient à lire et à pratiquer le français. Et les régions trop souvent laissées pour compte alors que les distances sont aujourd'hui faciles à vaincre en deux clics d'ordinateur, ces mêmes clics qui nous donnent accès à des dictionnaires et encyclopédies en français pour faciliter nos travaux.
Pour que Montréal rayonne un peu partout à travers le monde, les décideurs devraient faciliter les liens avec les régions du pays, leur insuffler de toute urgence des solutions alternatives, des possibilités d'emplois que peuvent générer les nouvelles technologies et surtout diversifier les possibilités économiques pour pallier les fermetures d'usines.
Il suffirait, en ce qui concerne les immigrants, de se montrer compréhensif au sujet du stress et du traumatisme souvent sérieux que génèrent l'installation dans un nouveau pays et l'adaptation dans une nouvelle société. Pour le reste, il suffit de faire confiance au temps qui passe et de soutenir les immigrants qui peuvent parfois, comme c'est mon cas, trouver une nouvelle naissance, une nouvelle jeunesse, dans leur pays d'accueil.
Exiger le français, ce n'est pas un simple caprice ou l'expression d'une agressivité irraisonnée : c'est oeuvrer pour que toute une population puisse avoir accès à des emplois de qualité et une qualité de vie normale. Ce qui n'exclut ni le bilinguisme ni le plurilinguisme, cette richesse qui rend les cultures des autres plus facilement intelligibles.
Alors, Montréal français ? Yes sir ! À condition de rester (concrètement) vigilants.
Nadia Ghalem
_ Écrivaine
Le français à Montréal? Yes sir!
Par Nadia Ghalem
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