Le fusil sur la tempe

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Ottawa, un éléphant dans un magasin de porcelaine

Ottawa — Les provinces peuvent bien rouspéter, le gouvernement fédéral entend faire à sa tête en matière de formation de la main-d’oeuvre. Il y mettra les pieds que ça leur plaise ou non. Alors, ou elles plient et concluent une entente avec Ottawa pour la création de la subvention à l’emploi ou elles résistent et voient Ottawa offrir ce programme sans elles tout en les privant de certains fonds fédéraux. C’est l’avertissement qu’a servi hier le dernier budget du ministre des Finances, Jim Flaherty.

La subvention à l’emploi, annoncée dans le budget 2013, doit voir le jour le 1er avril prochain, mais ça piétine. Et il y a de quoi. Dès le départ, Ottawa a décrété que cette subvention serait financée à parts égales par le fédéral, les provinces et les employeurs, mais il n’a pas demandé l’avis des provinces avant de se lancer. Pire, la part fédérale sera financée à même des fonds qui étaient transférés aux provinces pour former les chômeurs les plus vulnérables et n’ayant pas accès à l’assurance-emploi.

Par conséquent, l’ultimatum lancé par Ottawa signifie que, peu importe la voie choisie, les provinces perdront une partie des fonds. Les fonctionnaires fédéraux ne pouvaient toutefois pas dire hier si les provinces accommodantes perdraient moins d’argent que les autres, les offres du fédéral ayant varié au fil des pourparlers.

Cette position intransigeante est un véritable affront pour le Québec, qui s’est battu pendant des années pour que la formation de la main-d’oeuvre soit finalement reconnue comme une compétence provinciale. Il a gagné cette reconnaissance de haute lutte en 1997. Céder aujourd’hui devant le chantage fédéral équivaudrait à céder un de ses pouvoirs.

Québec ne veut rien entendre. Il exige qu’on respecte ses compétences en reconnaissant son droit de retrait avec pleine compensation financière. Ottawa doit par conséquent lui remettre les fonds fédéraux qui seraient dépensés au Québec pour le programme en question. Point.

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L’attitude des conservateurs dans ce dossier est un virage en matière de relations fédérales-provinciales. Après tout, ce sont eux qui, en 2007, ont décrété que toute la formation de la main-d’oeuvre relevait des provinces et qui leur ont ensuite offert des accords similaires à celui conclu avec le Québec.

Le respect des compétences provinciales a toujours été un fondement du credo constitutionnel de Stephen Harper, mais ce respect a toujours eu une portée limitée lorsqu’il était question d’économie. Pour les conservateurs, assurer la santé de l’union économique canadienne est la responsabilité du gouvernement fédéral. Dans un dossier comme la formation de la main-d’oeuvre, les deux principes peuvent seulement entrer en collision.

Tant qu’il était minoritaire et soucieux d’amadouer le Québec, le gouvernement Harper a opté pour le respect. Cette attitude a duré après l’élection de 2011. Le fait que les ententes de financement n’arrivaient pas à échéance avant le 1er avril 2014 y est probablement pour quelque chose.

Depuis la fin de la récession cependant, ce gouvernement est obsédé, non pas par les pénuries d’emplois, mais par les pénuries de main-d’oeuvre dans certains secteurs et certaines régions. Cela a fortement déteint sur sa réforme de l’assurance-emploi, annoncée en 2012, et sur les budgets de l’an dernier et de cette année.

De là aussi découle la décision de renégocier les ententes sur le marché du travail (EMT), destinées aux chômeurs vulnérables, et incessamment celles sur le développement du marché du travail (EMDT), qui, elles, visent les chômeurs recevant ou ayant reçu récemment de l’assurance-emploi.

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Ottawa veut revoir ces ententes parce qu’il veut que ses fonds servent à un apprentissage de courte durée assorti d’une quasi-garantie d’emploi. Il souhaite transformer « la formation professionnelle au Canada, en veillant à ce que les fonds fédéraux répondent aux besoins des employeurs en matière d’embauche », lit-on dans le budget. Mais cette approche a son revers. Les chômeurs vulnérables doivent souvent commencer par améliorer leur employabilité avant même de songer à un emploi précis, ce qui prend du temps.

Un meilleur arrimage entre la formation et les possibilités d’emploi n’est pas une mauvaise idée, mais ce principe ne peut être appliqué mur à mur sans laisser sur le carreau ceux qui ont le plus besoin d’aide. Par ailleurs, il n’y a pas du travail pour tout le monde. Il y a au moins deux chômeurs pour chaque emploi disponible au Canada en ce moment. Et ceux disponibles exigent parfois plus qu’une formation de quelques semaines.

Le gouvernement ne fait pas qu’imposer ses priorités aux provinces, il les force à adopter une vision de la formation qui fait fi de leurs années d’expérience en la matière. Au Québec, tous les intervenants, y compris le patronat, déplorent l’affrontement qui s’annonce, un affrontement d’autant plus inutile que la concertation y a fait ses preuves.

Si le gouvernement Harper recherche vraiment l’efficacité dans ce dossier, il se doit de reconnaître le droit de retrait avec pleine compensation financière du Québec. Sinon, il faudra conclure qu’il recherche la visibilité avant tout.


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