Archives du Devoir, le 15 mars 1977

Le mal le plus grave

Le Devoir (opinion)*

Chronique de Louis Lapointe

*Le texte que voici a été écrit en mars 1977, il y a 34 ans. Ma première opinion publiée dans le Devoir, j’avais alors 19 ans. Toujours d’actualité? À vous de juger!
Le Devoir. Libre opinion, le mardi 15 mars 1977, «Le mal le plus grave» par Louis Lapointe.
Depuis quelques années et surtout ces jours-ci, un débat est engagé sur la qualité du français et de son enseignement.
Ce n’est pas seulement l’enseignement du français qui est en cause, mais la philosophie générale de l’enseignement et ses méthodes d’application.
L’école se révèle l’élément d’assimilation le plus perfectionné à l’heure actuelle.
La C.E.Q., malgré son document sur les classes sociales à l’école, fait preuve d’une parfaite inconscience en matière de méthodologie de l’enseignement. Cette situation reflète une ignorance qui risque de causer à long terme un tort immense à la qualité de notre français (en tant que facteur important dans l’organisation de notre pensée).
"Nous sommes dans l'ère des choix multiples". La masse ne peut exprimer son opinion que par l’intermédiaire de journalistes trop souvent sectaires. Les opinions sont de plus en plus tamisées et orientées dans des idéologies ou dans des positions mal définies et basées sur la passion et non la compréhension. Nous ne pouvons en conséquence qu’être manipulés et dirigés en fonction des grands courants, et non en fonction de notre connaissance et de notre capacité à prendre des décisions (puisque nous n’y avons jamais été habitués).
L’école reflète et perpétue cette incapacité qui est non seulement québécoise, mais internationale. Cette situation existe et semble vouloir persister. Et l’élément qui assure cet état de fait dans nos écoles, c’est le maintenant traditionnel "test du ministère". Il est en quelque sorte le sélecteur qui détermine les étudiants aptes à accéder à des niveaux d’études post-secondaires, car il détermine 50% de la note finale de l’étudiant (pour les étudiants de sec III, IV et V). C’est dire son importance.
Toute la méthodologie de l’enseignement actuel, (à l’élémentaire et au secondaire) est, de façon croissante, fondée sur ce gigantesque "test" dit objectif. La mode du oui et du non est de plus en plus populaire. L’étudiant n’a plus besoin d’exprimer son opinion par l’archaïque moyen d’expression qu’est le français écrit (d’où la disparition de l’enseignement de la grammaire et de la dictée). De là, la difficulté à nous exprimer dans un français intelligible.
Les professeurs ont donc résolu, en guise de préparation aux tests du ministère, de fonder leur enseignement sur les méthodes dites objectives en bombardant l’étudiant de contrôles objectifs trop souvent mal faits. Les conséquences ne peuvent qu’être désastreuses pour la population en général, et pour ceux qui ne peuvent avoir accès à d’autres moyens d’instruction que l’école, donc les classes défavorisées. À long terme, nous formerons une jeunesse incapable d’exprimer une idée ou une opinion parce qu’incapable d’organiser sa pensée dans sa langue. Une jeunesse incapable de former des choix parce qu’habituée à choisir parmi des idées définies à l’avance. J’irai encore plus loin ; incapacité à porter un jugement objectif, résorption de l’imagination, dépendance intellectuelle. D’où la principale conséquence et le but ultime de l’enseignement actuel :l’absence de pouvoir de décision chez l’individu. La langue c’est plus qu’une culture, c’est le moyen choisi de prise de conscience, de communication et de compréhension, c’est la base de la pensée objective.
Hier, parce qu’ils ne savaient pas écrire, nos parents faisaient un "X" en guise de signature.
Demain, nos enfants, parce qu’ils sont incapables de se former une opinion, feront un "X" à côté d’un choix de réponses définies par…
L’acquisition de connaissances ne sert pas à grand-chose quand les méthodes visent l’assimilation.
Rouyn-Noranda, le 7 mars 1977

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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