Tout va bien.
Bien sûr, le Monde est au bord de la crise. Le gouffre, le précipice, l’Armaggedon, comme vous le sentez. L’Iran, qui n’a rien fait à personne, est sur le point de subir l’holocauste des bombes américaines et israéliennes. Les bateaux de guerre et les porte-avions impériaux sont prêts à l’attaque. La gestion de la guerre a été confiée, il y a quelques jours, au StratCom (Strategic Command), dont la principale tâche est d’opérer les armes nucléaires états-uniennes.
De toute façon, il semblerait qu’Israël ait l’intention d’étrenner ses jouets nucléaires. Au nom d’un mensonge, tellement gros que plus personne n’a la force de le démentir; un autre canular meurtrier. Hier c’était les armes de destruction massive en Irak. Aujourd’hui, nouveau bonhomme sept-heures : le programme atomique des mollahs persans.
Rappelons-le : tout le monde, des Iraniens eux-mêmes à la CIA, affirme que l’état islamique n’a ni les moyens, ni l’intention de développer des armes nucléaires. Ils tentent de développer des centrales électriques, sans grand succès d’ailleurs. Mais comme leurs centrales seraient à énergie atomique, ils doivent mourir. Au cas-où. On appelle cela le génocide préventif.
Tout va bien.
Un groupe de savants internationaux est mandaté pour confirmer ce que tout le monde sait déjà : l’imminence d’une catastrophe écologique sans précédent, menant à l’extinction probable (et rapide) de toute vie sur Terre. Les changements climatiques, le réchauffement de la planète, les gaz à effet de serre, autant de formules pour désigner le même phénomène. Le principal responsable, c’est l’industrie, à commencer par celle du pétrole. Bogue : on parle du grand capital. Les maîtres du monde. Les créateurs d’emplois, les bâtisseurs d’empire, les requins de la finance, les vautours qui salivent en survolant les charniers qu’ils essaiment un peu partout. Des gens honorables comme les patrons de Stephen Harper. Il n’y a d’ailleurs que ce dernier, et Richard Martineau, pour prétendre que l’industrie du pétrole n’est pas le principal fautif. Lâche pas, Richard.
Quant aux savants, ils font une prédiction prudente, du genre que l’on connaît pour l’avoir entendue toute notre vie. Il y a quarante ans on nous disait qu’il restait cinquante ans avant qu’il soit trop tard. Il y a dix ans, on nous a dit qu’il nous restait vingt ans pour agir, au plus. Aujourd’hui, il y a des tornades à Londres, les oranges gèlent en Californie, les neiges du Kilimandjaro ont presque fini de fondre, et l’hiver montréalais a commencé à la mi-janvier. Les savants nous disent qu’il faut agir maintenant. Dans le sens de tout de suite.
Le Très Honorable Stephen Harper affirme que c’est un complot socialiste. Le petit Stéphane Dion, tout en pétant ses bretelles vertes, avoue que pour changer vraiment les choses, il faudrait attaquer l’industrie pétrolière albertaine, et que ça ne se fait pas. Comme c’est un homme sérieux, il est probablement retourné aux vraies affaires, comme trouver de nouveaux prétextes pour envahir la future République du Québec. Lâche pas, professeur Stéphane.
Pourtant tout va bien.
Le Pentagone a publié un rapport en 2003 sur les changements climatiques. Ça s’intitule An Abrupt Climate Change Scenario and its Implications for United States National Security. Ses conclusions : comme le principal facteur de destruction (et de loin) est le pétrole, et qu’il n’est pas question de réduire l’utilisation du pétrole because les profits my dear ; et comme les fameux changements vont entraîner des famines, des épidémies, des torrents de réfugiés, des émeutes et des révolutions, alors, il s’en suit logiquement que les États-Unis, en tant que lumière des temps modernes, ont tout à gagner de la situation, pour peu qu’ils adoptent ce que le rapport appelle des « no-regret policies ».
Déjà que le Pentagone n’est généralement pas considéré comme étant très porté aux regrets. En gros, il s’agit de piller tout ce qui est nécessaire à la survie américaine, et comme les pays pillés risquent de s’opposer… hop les bombes. À titre d’exemple, ils donnent (p.19) l’hydro-électricité canadienne. Ce qui signifie qui exactement, à votre avis ? Deux scénarios sont présentés : soit le Canada en entier accepte l’annexion, soit il y a une crise aux Etats-Unis, et il faut la régler. Devinez comment ?
Personne n’a plus de besoins que les Etats-Unis. Personne n’a plus le droit de vivre qu’eux. Bon, en fait, personne n’a le droit de vivre, sauf eux. Remarquez bien que cette règle du Pentagone ne s’applique pas à la Nouvelle-Orléans, aux noirs, aux chicanos, ni aux pauvres. Il faut des priorités. Et, on le sait, la plus grande priorité, c’est l’économie.
Avant, le Capital nous tuait à l’ouvrage. Maintenant qu’il achève de détruire la planète, il a décidé de nous épargner cet effort, et de nous tuer tout de suite. Tant il est vrai que l’industrie privée est synonyme d’efficacité.
Quand M. le Président George W. Bush, ou n’importe quel autre de son genre, nous explique qu’il a enfin compris à quel point les changements climatiques sont graves, ce n’est pas Hubert Reeves qu’il a en tête. Ce sont les idées du Pentagone, ou d’un quelconque Think Tank qui s’en fait la courroie de transmission. Quand un journaliste passe cela sous silence, par ignorance ou par omission, c’est qu’il a choisi son camp, par bêtise ou par lâcheté, quand ce n’est pas par intérêt. Idem les politiciens. Grand bien leur fasse à tous.
Car tout va bien.
Faut-il parler encore de l’OCDE et de son rapport sur la zone Euro, qui explique que tout va bien aller pourvu que l’Europe entière abandonne toutes les formes imaginables de protection pour les travailleurs et les citoyens ? Comme quoi un brillant avenir est promis à tout pays qui brise tous les syndicats, abolit le salaire minimum, met la hache dans l’ensemble des programmes sociaux, et ouvre ainsi la porte à une ère de prospérité générale.
Faut-il rappeler que ce programme est exactement le même qu’on tente de nous vendre ici, sans succès d’ailleurs ?
Faut-il mentionner que réduire drastiquement les salaires et couper le financement en santé et en éducation, tout en multipliant les budgets militaires, policiers et pénitentiaires, envoie un message très clair sur la société qu’envisagent les sages de l’économie mondiale et leurs laquais parlementaires ?
Doit-on expliquer ici comment l’armée américaine est en transformation profonde, dans le but avoué d’être à même de mater des populations urbaines ? Comment le gouvernement États-Unien a acheté en 2006 des prisons portatives, qui lui permettent désormais de détenir du jour au lendemain des centaines de milliers de « présumés terroristes » ? Comment il y a belle lurette que la plus grande démocratie au monde© s’est donnée les justifications légales pour abolir le peu qui la sépare de l’État policier ? Comment le Canada est à ce sujet très en avance, bravo la Loi des Mesures de Guerre et sa nombreuse progéniture?
Faut-il faire la narration de l’infiltration par l’extrême-droite «chrétienne» de toutes les strates de la société américaine, aux points les plus névralgiques, de la présidente de la commission scolaire la plus reculée aux généraux quatre étoiles ? Comment les stratèges Républicains s’en vantent ? Comment le parti Démocrate, à commencer par Hillary Clinton, est financé par les mêmes sources que les ayatollahs du Grand Old Party ? Comment 25 % de la population des États-Unis appelle de son cœur la théocratie born-again, quand on sait qu’il a suffi de 30 % pour qu’ait lieu la Révolution de 1776?
Faut-il énumérer point par point comment les idées et le discours de Jean Charest, Mario Dumont et le néo-lucide Lucien Bouchard (lui qui jadis nous laissa croire qu’il incarnait les espoirs de tout un peuple, pauvre Lucien) reprennent dans le détail l’argumentaire des mêmes puissances économiques qui, afin de rester au chaud pendant l’éternel hiver qu’ils nous machinent, s’apprêtent à embraser le Monde ?
Oui, il faut le faire. L’esprit résiste, à juste titre, devant l’énormité de la situation. Et ce que nous sentons tous, à savoir l’étendue de la catastrophe qui s’annonce, et donc l’urgence qu’il y a d’agir, devient difficile à accepter quand on tente de l’analyser. On se dit que ça fait théorie du complot. On se dit que ça ne peut pas être aussi pire. On le voit, on l’entend, mais ça ne peut pas être vrai. Or, non seulement tout cela est-il amplement documenté, mais le portrait est infiniment pire dans la réalité. Et nous le savons.
Le plus grand problème, en effet, n’est pas tout ce que je viens d’énumérer, ni la liste tout aussi valide que vous seriez capables de dresser. Parce qu’en vérité, il y a des décennies que nous savons que nous nous dirigeons vers une telle crise.
Le problème c’est que nous ne savons pas quoi faire – et que nous attendons que quelqu’un nous le dise.
Nous attendons qu’on nous dise quoi faire parce que c’est comme cela depuis la nuit des temps.
Et il s’est toujours trouvé quelqu’un pour nous faire plaisir. Un maître de service, en quelque sorte. César ou Charest, peu importe : même combat. Ils ne savent pas plus que vous ce qu’il faut faire, mais ils savent que nous voulons un sauveur, même un petit arriviste minable, quelqu’un pour endosser le rôle de celui qui sait, celui qui comprend, celui qui gouverne, celui qui ordonne. Il est là parce que nous le lui avons demandé. Il a le pouvoir que nous lui avons donné. Pas en votant, cela est accessoire; mais en croyant en lui, c’est-à-dire en son poste, sa fonction de père symbolique, omniscient et omnipotent. Quelqu’un pour être Dieu à notre place.
Et son mandat premier, ce que nous lui demandons vraiment, c’est de nous répéter ce que nous voulons entendre, à savoir qu’il est meilleur que nous. C’est toute l’ironie d’une formule comme « on n’a que les gouvernements que l’on mérite ». Car nous ne subissons la calamité de tels gouvernements – politiques ou financiers – que parce que nous croyons que c’est tout ce que nous méritons.
Nous les avons laissé faire.
Nous avons cru en eux parce que cela faisait notre affaire. Peu importe pourquoi, en vérité. Il serait amusant de le savoir, mais l’heure est grave, et il vaut mieux vaquer au plus urgent. Nous avons voulu croire qu’il nous fallait des maîtres, et il s’en est présenté. Ils ont créé et accaparé les instruments du pouvoir; résultat obligé : ils ont peur de les perdre. Ils ont d’ailleurs peur de bien des choses. Ils ont surtout peur de vous et moi (à quoi sert l’escouade anti-émeutes ?). Peur qu’on cesse de croire l’illusion que nous-mêmes avons inventée, et qui les a portés au pouvoir. L’illusion de notre faiblesse, de notre infériorité, de notre bêtise collective, de notre culpabilité : le mythe, transposé, de la tache originelle.
Mirage que tout cela. Calembredaine. Facétie. Sottise. Blague. Comptine. Sornette. N’importe quoi. En bon québécois : c’est même pas vrai. Même si on choisit d’y croire.
Ces gens n’ont que la force de nos convictions. Et le choix de les croire, quoi que l’on se raconte, est toujours libre. Il faut d’ailleurs beaucoup d’efforts et de moyens pour tenter de convaincre quelqu’un – et a fortiori un peuple - qu’il n’est pas libre. La télévision sert à cela. L’armée et la police (qui sont là pour nous protéger de nous-mêmes, n’est-ce pas) servent à cela.
Pensez que les gens qui nous gouvernent sont notoirement proches de « leur » argent. Je ne crois pas avoir besoin d’expliciter. Maintenant, quel est le coût combiné de toutes les dépenses militaires, policières, et publicitaires en Occident ? Le chiffre est sans doute de l’ordre du nombre de Jos Louis qu’il faut empiler pour se rendre de la Terre à Proxima du Centaure. Voilà le prix que mettent ces pingres impuissants pour nous faire croire que nous avons besoin d’une bande de gâteux - ou de jeunes vieux - pour nous dire comment agir.
Et tout cela, ces montagnes de milliards brûlés quotidiennement, au service d’une illusion, qu’il nous a plu de croire, pour bâtir une forteresse de nuage et de vent. La balle d’un soldat peut bien nous abattre, mais comment tous les canons du monde pourraient-ils contraindre même un seul homme à changer la voix de sa conscience ? Chacun a son propre coeur, et chacun est libre de ses choix.
Nous avons cru avoir besoin de maîtres, et voyez ce que leur sagesse a fait de notre planète. Alors : sont-ils meilleurs que n’importe qui d’entre nous ?
Et que disent-ils, encore et toujours ?
Les seigneurs de guerre pointent leurs ogives vers l’Iran, et nous disent que nous n’avons pas le choix.
Les grands argentiers condamnent le monde à la faim, la maladie et la misère, et nous disent que nous n’avons pas le choix.
Les princes de pacotille regardent tout cela, et la Planète qui meurt, et ils nous disent qu’on n'a pas le choix , pas le choix, pas le choix.
Vous avez le choix.
Vous avez, pour commencer, le choix de les croire. Ou pas.
Je choisis plutôt de croire au cœur humain, de croire en vous, et surtout de croire en moi, qui suis pareil que chacun de vous.
Et c’est pour ça que tout va bien.
Chronique #4
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
12 mars 2008Quel beau texte, merci.
Je m'en excuse mais je viens tout juste de découvrir
votre site. C'est merveilleux de vous lire.
Je lis aussi sur les sites de: http://www.alterinfo.net/index.php
et http://www.modialisation.ca
mais je vais à l'avenir vous visiter plus souvent.
Ca réchauffe le coeur de lire des gens qui pensent comme
moi. Je me sens moins seul et moins parano.
Archives de Vigile Répondre
13 février 2007Faut pas s'inquièter.J'entends ça depuis longtemps des rumeurs d'apocalypse nucléaire depuis 20 ans qui n'arrive jamais et n'arrivera jamais.Peut-être que nous sommes juste dans une période difficile de l'histoire mais dans une couples de decennies les choses seront différentes,et l'humanité dera requinquée et renouvelée!
Au diable les apocalypses désespérant qu'on s'invente dans sa p'tite tête!
Normand Perry Répondre
12 février 2007A lire le "Monde brûle-t-il" j'en ai les froids dans le dos, brrrr.
Un intervenant pensait au "Soleil Vert", mais que dire du film "Le Jour d'Après", traduction française de "The Day After Tomorrow ?"
Je me souviens des commentaires convergeant de la plupart des chroniqueurs de cinéma à l'époque (en 2004 ou 2005, si ma mémoire est bonne) pour dire que le scénario était nettement exagéré, que cela ne se pouvait pas...
Que s'est-il passé depuis la sortie de ce film pour que la réalité décrite dans celui-ci nous frappe en plein front ?
Katerina, le gigantesque tsunami de la fin de 2005, les onze pieds de neige tombé dans une ville de l'État de New-York la semaine dernière, sans parler évidemment de notre propre saison de neige qui s’est pointé le nez beaucoup plus tard qu’à l’habitude ?
La théorie du film "Le Jour d'Après" était que le courant du golf Stream changeait de température à la baisse, et imaginez à cause de quoi ? La fonde des glaciers du grand Nord. Qu'entend-on de manière assez intensive depuis plusieurs mois ? Depuis lors, force est d'admettre que la réalité est sur le point de dépasser la fiction de ce film.
Hubert Reeves (lorsqu'il a lancé son livre "Mal de Terre", prononçait une conférence en novembre 2004 ou 2005 à l'Université de Montréal) commentait le protocole de Kyoto de la manière suivante : "Kyoto n'est qu'un strict minimum, les objectifs doivent être, et de beaucoup, plus ambitieux, sans quoi l'humanité ne va pas atteindre 2100. Il y a eu dans le passé de notre vieille planète plusieurs phases d'instinction, et la nature a su se réorganiser. Mais une chose m'apparait évidente, si l'humain ne peut pas se passer de la Terre, la Terre elle, peut très se passer de l'être humain". Évidemment la citation est de mémoire, je n'ai pas sous les yeux le verbatim de la dite conférence.
Si nous amenions le raisonnement de Hubert Reeves et Christian Maltais un peu plus loin : il faudrait se demander si néolibéralisme à la fin, n’est tout simplement pas la cause première de bien des maux qui affligent actuellement le bien-être de la personne humaine tout comme l'avenir écologique de notre planète ?
Normand PERRY
Dominique Beaulieu Répondre
12 février 2007Le Soleil Vert, vous connaissez? Je croyais qu'ils exagéraient pour faire sensationnel; il faut bien vendre le film. Maintenant, je ne suis plus certain. Peut-être que le Soleil Vert est un avant-goût de ce qui nous attend!
Dominique