Le poids des mots

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Harper ou la grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf

Lorsqu’il est question du président Vladimir Poutine et des coups de boutoir russes en Ukraine, le premier ministre Stephen Harper aime durcir le ton. « Gestes agressifs, militaristes et impérialistes », « menace significative à la paix et à la stabilité mondiale », menace comme on n’en a « jamais vu depuis la fin de la guerre froide ».

Citant les sanctions imposées et l’aide apportée à l’Ukraine, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, tient à répéter qu’« aucun autre gouvernement ne s’est opposé avec plus de force et plus vigoureusement à l’agression russe en Ukraine » que celui du Canada.

Les deux hommes aiment se présenter comme les héritiers de cette tradition canadienne qui veut qu’en situation de crise grave, il n’y ait pas place pour les louvoiements. Le Canada a ainsi répondu présent pour combattre les « grandes menaces contre l’humanité » comme le militarisme, le fascisme, le communisme et le terrorisme, énumérait M. Harper en mai dernier. « Autrement dit, les Canadiens ont toujours été prêts à porter leur part du fardeau afin de défendre notre liberté et les valeurs que nous partageons avec nos frères et soeurs humains »,ajoutait-il.

Or, le ministre Baird n’a pas hésité à comparer l’invasion de la Crimée, en mars dernier, à celle d’une partie de l’ancienne Tchécoslovaquie par les forces hitlériennes en 1938.

Dans ce contexte, le sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), qui se tiendra en Grande-Bretagne jeudi et vendredi, peut représenter un double test pour le gouvernement Harper. La hausse des budgets de défense des 28 pays membres sera remise sur la table, la Grande-Bretagne et les États-Unis étant toujours les seuls à respecter l’objectif de 2 % du PIB (le Canada dépense environ l’équivalent d’environ 1 % de son PIB).

Plus chaud encore seront le dossier ukrainien et le projet de force d’intervention rapide de « quelques milliers d’hommes », que pousse avec énergie le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, dans le but de calmer les ardeurs de la Russie.

Cette proposition a pris une importance accrue depuis la confirmation de la présence de troupes russes sur le territoire ukrainien. Le président ukrainien, Petro Porochenko, parle maintenant du danger de vivre une « grande guerre » comme l’Europe n’en a plus vu depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Rien pour calmer les esprits, le président russe, Vladimir Poutine, est allé évoquer la nécessité de discuter d’un « statut étatique » pour l’est de l’Ukraine, dans les régions contrôlées par les rebelles. De plus, Moscou a fait savoir qu’il réviserait sa doctrine militaire si l’OTAN allait de l’avant avec cette force d’intervention rapide basée à sa porte.

L’OTAN a déjà une force d’intervention rapide de 13 000 hommes, mais ce qui est sur la table à ce sommet est la création d’une force expéditionnaire pouvant être déployée en 48 heures dans les pays de l’Europe de l’Est qui sont membres de l’Alliance et qui craignent que le conflit ne déborde chez eux.

On ignore quelle réponse le premier ministre Stephen Harper compte donner à cette requête. En avril, il avait accepté un premier appel pour rassurer les pays limitrophes. Depuis, quatre CF-18 patrouillent au-dessus des pays baltes, environ 500 soldats sont sur le terrain et un navire sillonne la mer Noire.

Mais est-il prêt à en faire plus pour soutenir l’OTAN et surtout à s’engager dans une mission dont il ne connaît pas la fin et qui pourrait être coûteuse ?

Dans le communiqué que son bureau a diffusé pour annoncer son voyage, on se contente de dire qu’au sommet, « le premier ministre insistera sur l’engagement inébranlable du Canada envers l’Alliance et sur la nécessité de réagir avec vigueur et de manière coordonnée aux efforts russes visant à déstabiliser l’Ukraine, à en miner la souveraineté et l’intégrité territoriale ».

Il n’est pas plus loquace sur la question des dépenses, bien qu’il serait étonnant que le Canada accepte de les augmenter. À son arrivée au pouvoir, ce gouvernement a accru les budgets de la Défense pour ensuite ralentir le pas. De 2011 à 2015, ils devraient diminuer de 2,7 milliards. Le dernier budget annonçait par ailleurs un report de plusieurs projets d’achat d’équipement.

Pour ce qui est de la force d’intervention rapide, il semblerait qu’il ait manifesté de l’intérêt, écrit le Financial Times. Difficile de faire autrement. M. Harper a parlé haut et fort jusqu’à présent, au grand plaisir de la communauté canado-ukrainienne. Sa réponse nous dira s’il cherchait avant tout des votes ou s’il y croit assez pour passer des gestes à la parole. (Ce qui ne le dispense pas de demander l’avis du Parlement et, par ricochet, des Canadiens puisque participer à cette brigade peut mener, si les choses dégénèrent, à des combats et possiblement des morts.)

Se tenir à l’écart enverrait une image d’incohérence en matière de politique étrangère qu’il préfère attribuer à ses adversaires. Plonger risquerait en revanche de faire gonfler la facture militaire et de mettre en péril l’atteinte de l’équilibre budgétaire dès 2015, année électorale.


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