Québec — La voix est celle d’Agnès Maltais. La date? 17 avril 2011: «Avec le geste de confiance qu’on s’est donné hier [on a dit] aux Québécois: "le PQ des déchirements, c’est terminé".»
L’extrait sonore, retrouvé sur un disque dur peu avant Noël, étonne aujourd’hui. Mais il n’a rien d’étonnant: le point de presse où il a été enregistré avait lieu le dimanche du 16e congrès du Parti québécois à Montréal. La veille, Pauline Marois avait obtenu un appui de 93,08 % de la part de ses militants. La zizanie qui a depuis juin fait plonger la cote du PQ — entre autres à cause d’un geste d’Agnès Maltais, le projet de loi privé 204 sur l’amphithéâtre — nous a presque fait oublier ce moment d’euphorie pour la chef et sa garde rapprochée.
Quelques instants après le dévoilement de ce score sans précédent dans l’histoire de cette formation réputée dure pour ses chefs, Pauline Marois martèle un mot: «Ma victoire, c’est votre victoire. C’est la victoire d’un parti uni, d’un parti solidaire». Il faut dire que le dernier sondage Léger-Marketing-Le Devoir était plutôt encourageant pour la chef. Elle était «peut-être en meilleure position qu’elle ne l’a jamais été depuis l’élection de 2008», avait confié au Devoir Jean-Marc Léger la veille.
Au Centre des congrès, Pauline Marois, émue et ravie, descend de l’estrade. Les journalistes se massent autour d’elle: «Ce vote de confiance démontre comment le parti est solidement uni», déclare-t-elle. L’horizon semble clair: «Nous nous dirigeons vers une victoire, une victoire qui pourra avoir des conséquences absolument formidables pour le Québec.»
Votre serviteur se promène dans la foule compacte. L’enregistreur numérique capte alors la déclaration de la députée de Crémazie, Lisette Lapointe: «C’est extraordinaire, c’est formidable, je pense qu’on vient de vivre une journée mémorable et qu’on avance.» Quelque 50 jours plus tard, cette dernière claquera la porte du caucus péquiste en pestant: «Le Parti québécois que je quitte, c’est celui de l’autorité outrancière d’une direction obsédée par le pouvoir. L’atmosphère est devenue irrespirable. Depuis un certain temps déjà, en effet, je suis très mal à l’aise avec certaines orientations et positions prises par la direction du parti et avec la façon dont elles nous sont imposées.»
«L’unité fait notre force»
Mais revenons au 17 avril. En ce dimanche matin, lendemain du vote de confiance, le chef bloquiste Gilles Duceppe, en pleine campagne électorale, rend visite aux militants péquistes. «Nous savons que c’est l’unité qui fait notre force et vous l’avez drôlement prouvé hier que ça fait notre force!» lança-t-il à la foule en liesse. D’une part, en ce dimanche, les sondages n’avaient pas encore annoncé une hausse radicale de l’appui au NPD. D’autre part, l’unité, Gilles Duceppe connaissait ça lui aussi. Début février 2011, il avait traversé sans problème une épreuve de vote de confiance. Son score? Encore meilleur que celui de Pauline Marois: 95,3 %. «Un mandat fort, reçu à quelques semaines d’un possible déclenchement d’élections, a confirmé à Gilles Duceppe qu’il était sur la bonne voie», écrivit un reporter le 12 février.
Le séisme du 2 mai
La campagne électorale fédérale ne se passera pas comme l’état-major du Bloc l’avait prévu. Ses communications s’avèrent difficiles. Son slogan, «Parlons Qc», déplaît à l’opinion. À l’égard des figures de proue souverainistes — Gérald Larose, Jacques Parizeau, Gilles Duceppe — appelées en renfort, une fatigue semble s’être installée dans une partie de l’opinion québécoise.
La popularité du chef du NPD Jack Layton atteint des sommets au Québec. Pour plusieurs Québécois, ce parti d’une gauche modérée, qui n’a jamais eu plus d’un député au Québec à la fois, mérite une chance. Le soir du 2 mai, c’est l’hécatombe: alors qu’il avait remporté une majorité de sièges au Québec depuis 1993, le Bloc perd 43 députés. Il ne lui en restera plus que quatre. Gilles Duceppe est battu dans sa circonscription et démissionne. Le pourcentage que le Bloc recueille, 23,40 %, est pratiquement similaire au pire obtenu par des souverainistes québécois dans leur histoire; 23,06 % en 1970.
Dès le soir du 2 mai, l’onde de choc se transmet partout dans le mouvement souverainiste. L’angoisse s’installe. Pour ne pas subir le même sort, des péquistes, parmi lesquels le leader parlementaire Stéphane Bédard, se disent qu’il faudra donner de grands coups. C’est ce qui aurait conduit Pauline Marois à engager son parti, sans consulter son caucus, dans l’aventure du projet de loi privé 204 sur le futur amphithéâtre de Québec, populaire projet du maire de la capitale, Régis Labeaume.
Après qu’Agnès Maltais eut annoncé qu’elle se chargerait de défendre ce projet de loi, le caucus péquiste s’interroge, puis une partie se révolte. Les débats se multiplient. Certains récalcitrants, comme Louise Beaudoin, se font dire par l’entourage de la chef qu’ils doivent se soumettre à la discipline ou s’en aller. C’est finalement ce que trois députés très en vue feront, le 6 juin: Louis Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe. Jean-Martin Aussant suivra le lendemain. Puis ce sera au tour de Benoît Charrette le 21 juin, premier jour d’un été où le mouvement souverainiste sera plongé dans une réflexion profonde.
Ex-journaliste, ancien employé du Bloc et de Lisette Lapointe, Jocelyn Desjardins met sur pied un Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ) clairement souverainiste, mais très critique du PQ de Pauline Marois. À ses yeux celui-ci apparaît «usé, confus dans ses interventions et banalisé par le public et les médias à la moindre action qu’il pose», comme le NMQ l’écrit dans son manifeste. Malgré tout, lors de son premier rassemblement le 21 août à Montréal, M. Desjardins enjoint aux différents courants indépendantistes à se parler. Un projet d’États généraux du mouvement est d’ailleurs relancé peu après. Réfractaire au départ, Pauline Marois demandera au Conseil de la souveraineté de l’organiser. L’automne 2011 passera sans qu’un accord sur la tenue de ce sommet soit conclu.
Automne difficile
L’automne sera ponctué de nombreuses secousses pour les souverainistes. Le 26 octobre, les réunions de caucus se multiplient et les rumeurs de putsch à l’encontre de la chef abondent. Celle qui, en avril, avait reçu 93,08 % d’appui en est réduite, vers 23h05 ce soir-là, à annoncer qu’elle tient bon. Les traits tirés, elle certifie qu’elle a «un bon appui du caucus» bien que ses députés lui aient «fait un certain nombre de remarques» durant la journée. Les sondages ne lui facilitent pas la vie. Ils indiquent qu’avec Gilles Duceppe à sa tête, le PQ battrait non seulement les libéraux Jean Charest, mais aussi les coalisés de François Legault.
Peu de temps après la crise du 26 octobre, le député de Beauharnois, Guy Leclair, est accusé par l’entourage de la chef d’avoir confié un projet de putsch de 10 membres du caucus péquiste à une journaliste. Il est suspendu du caucus mais y reviendra une semaine plus tard. Soulagement pour la chef: dans une lettre ouverte, Gilles Duceppe fait savoir qu’il n’est pas intéressé de «prendre la place de qui que ce soit». Le répit est de courte durée pour Mme Marois qui devra bientôt se résoudre à expulser le député de Blainville Daniel Ratthé, lequel annoncera avant Noël son ralliement à la Coalition avenir Québec de François Legault. Parallèlement à la tenue de rencontres régionales du NMQ, un autre parti souverainiste est fondé en octobre par Jean-Martin Aussant, Option nationale, lequel soutient avoir une démarche «plus claire» que le PQ vers la souveraineté.
Alors qu’en début d’année 2011, les souverainistes n’avaient que les mots «unité» et «victoire» à la bouche, à l’aube de 2012, leur mouvement apparaît divisé et angoissé. De sondage en sondage, le taux d’appui à la souveraineté baisse. Une reprise du débat linguistique, les décisions impopulaires du gouvernement Harper majoritaire à Ottawa, l’usure du pouvoir qui afflige le gouvernement Charest ainsi que la commission Charbonneau leur font croire que tout peut-être n’est pas perdu. Le pire n’est toutefois jamais à exclure. La «débarque» de 2011 en est une bonne illustration.
Cinq autres importantes débarques dans l’année :
1) La première, c’est bien sûr celle des dictateurs arabes, les Zine el-Abidine Ben Ali (Tunisie), Hosni Moubarak (Égypte), Ali Abdallah Saleh (Yémen) et Mouammar Khadafi (Libye). La débarque souverainiste et celle de ces hommes forts n’ont évidemment rien de comparable, malgré le rapprochement qu’a vainement tenté Victor-Lévy Beaulieu entre l’entêtement de Pauline Marois et celui de Kadhafi, quelque part avant l’exécution de ce dernier, en octobre
2) Avant d’être arrêté le 13 mai à New York en lien avec une affaire d’agression sexuelle, Dominique Strauss-Khan était directeur du Fonds monétaire international et pouvait prétendre à la plus haute fonction du pouvoir exécutif français. Aujourd’hui, il est qualifié d’ex-futur-président et les médias s’amusent à fouiller ses mœurs échangistes et ses habitudes de «dragueur lourd».
3) Après des années où les scandales ne l’atteignaient pas ou presque, le politicien et magnat Silvio Berlusconi a dû démissionner de son poste de chef du gouvernement italien le 12 novembre.
4) Blackberry était jadis synonyme d’efficacité, de nec le plus ultra des technologies de communications. En 2011, le téléphone «intelligent» a de plus en plus fait figure de «retardé» technologique avec ses pannes et les difficultés commerciales de Research in motion.
5) La monnaie européenne a sans doute traversé sa pire année depuis sa mise en circulation en 2002. Certains se demandent parfois si elle va atteindre l’âge de 10 ans.
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Cette série consacrée aux grands événements de 2011 se poursuivra jusqu'au 3 janvier, avec un nouveau texte mis en ligne à chaque jour.
La «débarque» de l’année 2011
Le PQ, le Bloc et le mouvement souverainiste
Désarroi et division ont suivi l’onde de choc des élections fédérales du 2 mai
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