Michel Sparer - Trente-deux ans après la loi 101 (Charte de la langue française), les dispositions prévoyant le droit formel de travailler en français au Québec ne s'appliquent toujours pas aux quelque 200 000 personnes travaillant dans des milieux régis par des lois fédérales. Après diverses tentatives intéressantes pour remédier à cette situation, le projet de loi C-455 déposé récemment à la Chambre des Communes propose une solution qui constitue une véritable bouffée d'air frais.
Pour avoir travaillé en 1977 à l'élaboration du projet de loi 101, à titre de rédacteur de la loi, je sais que la politique et la législation linguistiques sont des choses délicates qui déchaînent facilement les passions. Et trop souvent la confusion des genres. On se souviendra des débats enflammés qui ont accompagné la préparation, puis la mise en place de la Charte de la langue française. Il s'agissait, souvenons-nous, de faire de la langue française la langue normale et habituelle au Québec et notamment d'éviter que des francophones aient à travailler en anglais au Québec, a fortiori dans des milieux où, paradoxalement, ils sont la main-d'oeuvre majoritaire.
Dans le débat très vif sur la Charte de la langue française, le gouvernement du Canada a pris dans les années 1980 et 1990 une part importante, notamment en finançant une guérilla judiciaire qui visait à contester principalement la constitutionnalité de cette loi pour faire disparaître certaines de ces dispositions. C'est ainsi que le Québec s'est habitué à percevoir «Ottawa» comme un adversaire des mesures prises pour permettre aux Québécois de langue française de vivre et de travailler en français au Québec.
À cet égard, le projet de loi C-455, déposé par le Nouveau Parti démocratique, est très rafraîchissant. On sort en effet des débats passionnels marqués par toutes sortes d'arrière-pensées politiques, pour permettre enfin aux francophones des secteurs régis par des lois de compétence fédérale de travailler en français au Québec.
Très pragmatique, ce projet de loi C-455 l'est, puisqu'il s'insère directement dans un instrument gouvernant le monde du travail dans le secteur fédéral, soit le Code canadien du travail; il ne cherche pas à modifier la Charte canadienne, ou la Loi sur les langues officielles, évitant ainsi des zones chargées de symboles politiques et pratiquement intouchables, comme «sanctuarisées».
Relations de travail
Les auteurs de ce projet ont apparemment pris soin de se limiter à quelques dispositions qui donnent le droit aux francophones de travailler en français au Québec, sans limiter les droits linguistiques de nos amis anglophones ou allophones. En cela, ils livrent, en substance, ce que demandait le Rapport Larose en 2000 (recommandation 87).
Loin d'installer dans le Code canadien du travail un unilinguisme français ou un bilinguisme intégral, le texte précise que ces dispositions n'ont pas pour effet d'exclure une langue autre que le français.
Enfin, s'agissant de relations de travail, le projet de loi a eu la sagesse de ne pas prévoir de structures supplémentaires pour l'application ou le contentieux d'application de ces dispositions, et de s'en remettre aux dispositions déjà présentes à cet effet dans le Code canadien du travail.
Volonté politique
Certes, une loi ne réglera jamais et encore moins de façon permanente le fait que la minorité française du Canada représente 2 % des habitants d'un continent nord-américain de plus en plus ouvert. La loi ne peut changer non plus le fait que des deux langues officielles du Canada, seul le français est menacé, y compris au Québec. Dans un tel contexte, des mesures de «protection» des langues officielles ne peuvent être symétriques d'un océan à l'autre. Cela n'aurait pas plus de sens que de mettre les deux jambes dans le plâtre à un blessé dont seule la jambe gauche est fracturée.
Certes, il a fallu au Québec le secours de la loi et de l'affirmation d'une volonté politique pour révéler à l'égard de tous la normalité d'un Québec où l'on doit pouvoir travailler en français, dans le respect, rappelons-le, des droits et de la culture des anglophones. Étendre cette situation aux francophones travaillant au Québec dans le secteur bancaire ou dans les services canadiens aux citoyens ne nécessite pas de changer le caractère fédéral du pays, de modifier la Loi sur les langues officielles ou encore de réduire les droits des anglophones du Québec ou des francophones hors Québec. Ce que les auteurs du projet nous montrent, c'est que l'on peut voir cela comme un simple aménagement du droit du travail. C'est ce que semble démontrer la formule avancée par le projet de loi C-455.
Progrès du français
Ce qu'ils nous montrent aussi, c'est qu'on peut être un Québécois fédéraliste comme Thomas Mulcair, et se positionner de façon courageuse et concrète en faveur du progrès du français, langue de travail des francophones, chez lui au Québec. Il propose de faire avancer concrètement la situation des Québécois francophones qui travaillent au Québec dans le secteur fédéral. En cela, et au-delà de toute option constitutionnelle ou partisane, il faut féliciter les auteurs pour leur sens pratique. Cette initiative nous rappelle que l'action politique peut -- et doit -- s'attacher le plus simplement possible à l'intérêt direct de la population, en l'occurrence l'intérêt qu'ont les francophones de pouvoir travailler en français au Québec, y compris dans les institutions régies par des lois fédérales.
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Michel Sparer, L'auteur a été rédacteur de la loi 101.
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