Le projet - vaincre ou disparaître

Survivre pour que nos descendants puissent faire partie de tout cela

Chronique de Jean-Jacques Nantel

Nous connaissons une seule sorte de grands hommes; les autres nous sont à jamais, et par définition, inconnus.
Il était, je crois, de ceux-là.
Ce vieillard taciturne a hanté ma jeunesse; lui qui ne sortait que la nuit pour lire les étoiles. Je l’épiais souvent dans les taillis, à l’équilibre de la curiosité et de la peur.
Au soir de mes treize ans, sûr alors d’être enfin un homme, je m’approchai, frondeur :

- Tu regardes quoi dans le ciel?
- De lointaines choses… en moi.
- Tu t’appelles comment?

Il sourit et je vis sa prunelle de feu. Se parlant presque à lui-même, il continua :

- Je vais te dire, petit, une histoire merveilleuse. Jadis, il y avait un peuple de sages et de philosophes. Pour lui, le beau, le vrai, le juste devaient nécessairement se marier dans ce quelque part d’infini qu’on appelle l’idéal.
Dommage, mais c’est faux; il faut choisir. On cherche encore le vrai, et le juste sert presque toujours le médiocre. Mais la beauté!
Regarde la vie, ce javelot dans l’espace-temps. Peu lui importe le juste; elle travaille au mieux. Brise la pierre et tu y verras quelques-uns de ses brouillons. La leçon est là, sauvage et sublime : de toutes les espèces, les races, les peuples et les individus, seuls quelques rares ont la noblesse du sang. L’Homme représente la meilleure des improvisations de notre forme de vie, la possible nouvelle souche d’espèces destinée à essaimer parmi les étoiles.
Mais, dérisoire, il joue et se gaspille.
Il se croit à l’abri et les lois immuables de l’évolution continuent à s’appliquer à ses cultures et sociétés.
Et les civilisations s’affrontent, tout comme à l’automne ces vastes voiliers d’oiseaux qui se heurtent en plein vol dans une confusion de blancheur pour, ensuite, lentement, se réordonner et fuir à l’infini pour emplir tout l’horizon de ce beau rythme blanc d’un peuple en harmonie.
Ah, si nous voulions! Tout cet espace, ce vide qui nous nargue. Chose sûre, nous irons. Nous avons devant nous des milliards d’années d’aventures. Mais un jour, par-delà les étoiles, nous rencontrerons le champion d’une autre forme de vie et alors, le grandiose duel des improvisations, comme si Mozart et Beethoven s’affrontaient, se reproduira, mais à une échelle titanesque.
Nous devrons vaincre ou disparaître.
Non, l’histoire n’a pas de fin, mais elle raconte seulement les vainqueurs. Aussi, parmi les millions d’espèces issues de l’humanité, peut-être y en aura-t-il quelques-unes, à un niveau supérieur, qui seront à l’égal des dieux.

****************
Soudain, le silence! Il s’était tu, fouillant de nouveau les nébuleuses. À la fin, il s’éloigna sur le sable nu, me laissant seul dans une flaque de lune naissante.
****************
L’hiver est là et, aujourd’hui, je me souviens. Solitaire et silencieux, il est mort en octobre, feuille d’automne emportée par le vent. Je n’ai jamais su son nom. Mais qu’importe cette futile gloire; seules les belles pensées survivent à jamais, inusées, dans l’esprit des hommes. Aussi, lorsque seul, je me reparle tout bas du vieillard de mon enfance, je l’appelle l’Immortel.
Jean-Jacques Nantel, ing.
Mars 2012


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mars 2012

    Du silence et de la noirceur naît sa vérité, une vérité souvent difficile parce que loin du savoir.. ce savoir qui souvent ne peut dire grand-chose de l'essentiel.. car trop loin de cet Essentiel
    Que sont les étoiles ?
    Ni vaincre ni disparaître : être cependant en seulement y étant, et voilà que déjà c'est beaucoup
    Votre texte est beau, de celui qui au delà du savoir éphémère changeant selon les époques n'est pas celui qui importe le plus
    Si le Peuple québécois se reconnaissait comme étant, il serait et peut-être se porterait-il plus aisément et s'allègerait-il de ce qui n'importe pas
    Alors oui, peut-être saurait-il regarder l'ancêtre qui le constitua, ce vieillard osant interroger les étoiles comme l'on interroge son destin, et saurait peut-être ce peuple respecter ce vieillard en se respectant dans son pas, y voyant sa trace et le futur de son pas
    Le vieillard et l'ancêtre, notre mémoire et notre futur dans un présent à construire, ayant choisi leurs étoiles
    Celles non pas filantes d'un mois d'août.. mais celles inscrites dans une constellation, celles qui durent.
    J'ai apprécié votre texte, je voulais vous le dire, de ma façon
    S Caron

  • José Fontaine Répondre

    11 mars 2012

    Cela fait penser à Bergson, ce n'est pas banal...