Rappel

Le Québec entre la France et les États-Unis

France-Québec : fin du "ni-ni"?


[Louise Beaudoin, dans un article du Devoir du 11 mai->12644], souhaite remettre les choses en place en ce qui concerne la politique du dernier gouvernement souverainiste à l'endroit de la France. Cette ouverture à un débat incomplet jusqu'à maintenant me paraît souhaitable et je me réjouis qu'elle y consente. Le but de ce débat n'est pas de mettre en cause le travail de Louise Beaudoin. Bien au contraire. Dans l'ouvrage Le Québec, otage de ses alliés. Les relations du Québec avec la France et les États-Unis, je souligne en juste part la «détermination» de l'ancienne ministre dans les dossiers qui concernent la relation du Québec avec la France.
Il ne s'agit donc pas ici d'attribuer des satisfecit au travail parfois salutaire de l'ancienne ministre au sein d'un gouvernement qui a semblé ambivalent, sinon divisé entre la logique d'une option américaine quasi exclusive et la nécessité d'un contrepoids traduit dans une option française et européenne forte. Cet enjeu est à la fois social, culturel et politique.
Dans ce contexte, ne faudrait-il pas profiter de la situation dans laquelle l'alternance politique met les Québécois pour tenter de comprendre et faire comprendre pourquoi, en tout premier lieu, nos intérêts seraient de tel côté plutôt que de tel autre. Cela, en approfondissant une question qui n'est jamais totalement tranchée ni totalement claire, celle très complexe de l'identité du Québec, une communauté francophone en perpétuelle transformation, traversée par la diversité de ses composantes et par les effets du pouvoir de son voisin américain. [...]
Ambivalence
Les efforts de Louise Beaudoin et l'amitié que nous porte la France n'ont-ils pas été contrés à maintes occasions, au cours des dix dernières années, par les intérêts partagés entre la France et le Canada? Comment expliquer le sentiment d'ambivalence à l'endroit de la France qui s'est fortement manifesté dans les milieux intellectuels québécois? La société québécoise n'est-elle pas concernée par la relative indifférence affichée par les étudiants à l'endroit des universités françaises?
Quel est l'impact sur l'identité québécoise des contraintes externes qui pèsent sur la politique internationale du Québec (subordination à la politique étrangère du Canada, solidarité indispensable dans l'alliance avec les États-Unis et avec le Canada sur les questions de sécurité, extension de plus en plus large du libre-échange, importance du marché américain pour nos exportations, etc.)? Quelles sont les positions de fond de nos gouvernements à ce sujet?
Le besoin de définir une politique internationale faisant contrepoids aux tendances continentales est-il partagé collectivement? Comment une telle politique pourrait-elle être expliquée aux Québécois? Quel poids doit-on donner aux liens franco-québécois par rapport à ceux que nous chérissons avec les États-Unis? Le mouvement entraîné par les échanges commerciaux avec les États-Unis peuvent-ils tenir lieu de seul déterminant d'une vision des intérêts du Québec à long terme?
Les citoyens ont-ils les outils nécessaires pour interpréter ou décoder en «termes identitaires» les nombreuses déclarations favorables à une plus grande intégration continentale en même temps que la volonté d'affirmation nationale ou étatique? [...]
Louise Beaudoin rappelle que l'option française n'a pas fait l'unanimité au sein du gouvernement souverainiste et que l'on doit quand même à son action d'avoir actualisé une «vraie politique» à l'égard de la France. [...]
Je fais état dans Le Québec, otage de ses alliés des contradictions internes du document produit par le gouvernement du Parti québécois et adopté par l'Assemblée nationale appelé Plan stratégique 2001-2004. Les liens avec la France y sont mesurés à «la place que la France occupera par rapport à d'autres partenaires européens» (p. 228). N'est-on pas justifié de penser que l'ambiguïté d'une telle déclaration est le signe d'un refus de prendre parti face à des points de vue qui divisent également les Québécois par rapport aux questions identitaires? Peut-on sérieusement se contenter de louer les efforts d'une action indéniablement productive mais qui demeure partielle? Agir davantage sur les représentations que se font les citoyens québécois, telle devrait être la priorité des deux partenaires impliqués dans une politique franco-québécoise tournée vers la promotion de la diversité culturelle.
Qu'on me comprenne bien: l'enjeu n'est plus de penser le Québec comme à l'ère de la survivance ni d'ériger la France en modèle ou en lieu de mémoire empreint de nostalgie. Il s'agit de dynamiser un débat pour que les relations internationales du Québec soient à moyen terme un outil de renforcement d'une identité spécifique.
À cette fin, je propose deux moyens. Le premier consiste à solliciter des acteurs politiques qu'ils mettent au service des citoyens une véritable politique de communication en matière de relations internationales. Le second moyen est de s'affranchir de toute réserve face au débat public afin de permettre à chacun de mieux saisir les tenants et les aboutissants de certains choix dont les conséquences concernent chacun. Louise Beaudoin n'aurait rien à perdre dans ce débat.
***
Anne Legaré : Professeure au département de science politique de l'Université du Québec à Montréal et auteure de Le Québec, otage de ses alliés. Les relations du Québec avec la France et les États-Unis (VLB, 2003).


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