Le Québec moderne perd un grand bâtisseur

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Une vie au service du Québec

Après avoir encaissé le choc de son décès, la classe politique a été unanime mardi à saluer le legs considérable du « grand bâtisseur du Québec moderne », Jacques Parizeau.

« Tous les Québécois et Québécoises sont aujourd’hui en deuil, privés d’un homme d’État exceptionnel, un homme qui a consacré sa vie au Québec et au service public », a déclaré l’actuel chef du gouvernement, Philippe Couillard, dans le hall de l’Hôtel du Parlement.

L’État québécois perpétuera la mémoire de ce « personnage important de notre histoire » — à qui « [il] doit tant » — en nommant le siège social de la Caisse de dépôt et placement du Québec à Montréal l’« Édifice Jacques-Parizeau », a affirmé M. Couillard dans le Salon bleu, là où prenait place M. Parizeau il y a 20 ans.

M. Parizeau laisse dans le deuil son épouse Lisette Lapointe, ses deux enfants, Bernard et Isabelle, ainsi que des milliers et des milliers de Québécois de toute allégeance politique. « On peut désormais dire à son sujet que sa mémoire appartient au Québec tout entier, à tous les Québécoises et Québécois sans exception, et ce, au-delà des appartenances politiques », a-t-il souligné.

Le temps s’est arrêté mardi sur la colline parlementaire. N’ayant pas le coeur à la joute politique, les élus libéraux, péquistes, caquistes et solidaires ont convenu de suspendre pendant 24 heures les travaux parlementaires. Ils se sont toutefois rassemblés pendant plus d’une heure dans la Salle de l’Assemblée nationale afin d’honorer la mémoire de « Monsieur » Parizeau, notamment en observant une minute de silence.

Le chef de l’opposition officielle, Pierre Karl Péladeau, a rendu hommage à « l’homme de la modernité du Québec ». « Il a été un grand serviteur de l’État. Il a fait le choix de consacrer sa vie à ses concitoyens et à ses compatriotes. Il leur a offert un des plus beaux legs, la modernité », a-t-il déclaré.

À titre de conseiller économique et financier de la figure de proue de la Révolution tranquille, Jean Lesage, il a notamment « obtenu un prêt important auprès des institutions financières américaines, alors que les syndicats financiers de la rue Saint-James et de Toronto [lui refusaient] », ce qui a permis au gouvernement libéral de nationaliser des compagnies d’électricité québécoises. L’homme derrière le complet trois-pièces a également « initié ou participé à la création des plus importants leviers économiques de notre nation », parmi lesquels figure la Caisse de dépôt et placement du Québec. « M. Parizeau a profondément cru à la capacité des Québécois et des Québécoises à devenir réellement maîtres de leur destinée et de leur avenir. Grand intellectuel et économiste réputé, Jacques Parizeau a mené sa vie publique avec droiture, intégrité et courage. Grâce à lui et à de très rares autres, la nation québécoise a franchi les portes de la modernité jusqu’aux abords du pays du Québec », a affirmé M. Péladeau.

Jacques Parizeau a tenu les rênes du pouvoir moins d’un an et demi, soit entre fin septembre 1994 et fin janvier 1996. Néanmoins, les « empreintes digitales » de celui qui fut successivement grand commis de l’État, ministre des Finances et premier ministre sont « visibles partout », a souligné l’ex-conseiller de M. Parizeau, Jean-François Lisée. « Le projet de loi sur l’équité salariale, c’est lui ; la perception automatique des pensions alimentaires, c’est lui ; la reconnaissance des groupes communautaires, c’est lui ; la création des carrefours jeunesse-emploi, c’est lui… »

Oeuvre inachevée

Pour le député de Rosemont, « ce ne pouvait être que Jacques Parizeau » qui réussirait à l’automne 1995 à « porter une nation à quelques millimètres de la souveraineté ». « Une chose est sûre, M. Parizeau, très cher M. Parizeau, vous avez amené les Québécois à l’indépendance d’esprit. Merci », a-t-il déclaré en chambre.

Aux yeux de M. Péladeau, « le meilleur hommage » à rendre à M. Parizeau consiste à reprendre la longue marche vers le pays du Québec. « Quand nous échouons de si peu, on se crache dans les mains puis on recommence », a lancé le chef péquiste, dans un clin d’oeil à un discours de M. Parizeau à des sympathisants indépendantistes.

Le chef du deuxième groupe d’opposition, François Legault, a décrit M. Parizeau comme un « grand bâtisseur du Québec » de la trempe de Jean Lesage et de René Lévesque. « C’était un géant », a soutenu l’ex-ministre péquiste. « On ne partage pas tous les mêmes idées, la même logique, mais on se reconnaît tous dans le Québec moderne qu’il a contribué à bâtir, dans un Québec ambitieux, fier. Et ce Québec-là, il n’y a personne qui peut nous l’enlever », a ajouté M. Legault, qui a été étudiant du professeur Parizeau à HEC Montréal.

La porte-parole de Québec solidaire Françoise David s’est dite peinée par le décès de Jacques Parizeau. L’homme « dont les convictions ne souffraient pas de compromis » a été un infatigable défenseur du « modèle social et économique québécois » en plus d’être « plus qu’un allié » dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, a-t-elle insisté. D’ailleurs, il a marché « côte à côte » avec des milliers de participantes de la Marche du pain et des roses, il y a 20 ans. « Bien des Québécois, des Québécoises se sentent [aujourd’hui] orphelins. »

Funérailles d’État

Le 26e premier ministre du Québec aura droit à des funérailles d’État, a annoncé M. Couillard mardi midi. Cela dit, « M. Parizeau avait laissé des instructions détaillées sur la tenue de ses funérailles », a-t-il fait remarquer. Des funérailles d’État comprennent habituellement la veillée en chapelle ardente de la dépouille mortelle du défunt dans la salle du Conseil législatif (Salon rouge) de l’Hôtel du Parlement. Selon des informations colligées par Le Devoir, M. Parizeau a demandé d’organiser des obsèques à Montréal seulement.

Le drapeau du Québec flottant au sommet de la tour du parlement a été mis en berne, tout comme les fleurdelisés et les unifoliés ornant la toiture des édifices gouvernementaux aux quatre coins du Québec. Ils le demeureront jusqu’au crépuscule de la journée des funérailles, a-t-on convenu à la fois à Québec et à Ottawa.

Parizeau le « gentilhomme », Parizeau le « gentleman-farmer » : l’Assemblée nationale du Québec gardera un souvenir impérissable d’un « homme plus grand que nature », a souligné le doyen des élus libéraux, Pierre Paradis. « Souvenons-nous de “Monsieur”, qui nous a quittés pour un pays éternel. »
Le décès de M. Jacques Parizeau attriste non seulement la classe politique, mais le Québec tout entier. Écouter les témoignages de l'Assemblée nationale le 2 juin 2015


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