En 45 secondes, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a opéré mercredi dernier une « véritable rupture » dans les relations diplomatiques entre le Québec et le Vatican, soutient l’ancien haut fonctionnaire québécois Jacques Vallée.
L’ex-chef du protocole du Québec (1975-1979) a été « sidéré » de voir le chef de gouvernement se contenter d’une rencontre publique de moins d’une minute avec le pape François au terme de l’audience générale hebdomadaire. Pourquoi a-t-il marché dans les pas du maire de Montréal, Denis Coderre, plutôt que dans ceux de ses prédécesseurs, à commencer par Robert Bourassa ? s’interroge-t-il dans une lettre publiée dans la page Idées.
Robert Bourrassa, « décidément novateur », avait établi un précédent au milieu des années 1970 en devenant le premier des chefs de gouvernement québécois à être reçu en tête à tête dans la bibliothèque privée d’un pape. « [Cette rencontre entre Paul VI et Robert Bourrassa] donnait une onction de légitimité à la voix propre du Québec, au détriment de l’unicité de la voix canadienne dans le monde », souligne M. Vallée.
Lévesque, Bouchard, Charest
Le précédent a été maintenu au moyen de « négociations complexes » avec le Saint-Siège, qui dirige l’une des plus vieilles diplomaties de la planète. Malgré les réticences du premier ministre fédéral Pierre Elliott Trudeau, René Lévesque a pu s’entretenir en tête à tête avec Jean-Paul II en décembre 1983. L’entretien avait « presque exclusivement porté sur le projet de souveraineté du Québec », révèle au passage M. Vallée, qui fut commissaire général pour la visite papale au Québec.
« Tous les diplomates à Rome savent que le Vatican apprécie cette manière de faire [de l’audience privée], parce qu’elle permet au pape d’aborder avec ses visiteurs des sujets qu’il ne pourrait traiter devant des tiers », souligne-t-il.
À l’hiver 2001, le premier ministre Lucien Bouchard, son épouse et leurs deux enfants ont eu droit à une rencontre privée d’une vingtaine de minutes avec le pape Jean-Paul II, et ce, grâce au concours du cardinal Jean-Claude Turcotte. À l’été 2003, Jean Charest, sa femme et leurs deux enfants avaient également pu s’entretenir quelques minutes avec le souverain pontife.
Philippe Couillard et sa conjointe, Suzanne Pilote, ont dû patienter pendant plus de deux heures sous un soleil de plomb avant de pouvoir remettre à toute vitesse au souverain pontife une lettre d’invitation aux festivités entourant le 375e anniversaire de la Ville de Montréal. Ils ont notamment assisté à une homélie sur le mariage prononcée en italien, puis reprise en français, espagnol, portugais, russe et arabe, rapportait La Presse.
Les « orthodoxes » au ministère des Affaires étrangères à Ottawa ont sans doute esquissé un large sourire en apercevant M. Couillard s’entretenir à peine 45 secondes sur le parvis de la basilique Saint-Pierre de Rome, comme l’ont fait des dizaines de personnalités politiques de second rang avant et après lui, soupçonne Jacques Vallée.
Pour l’ex-délégué à Rome (1994-1996), les 45 secondes de M. Couillard avec le pape peuvent être la conséquence du «ratatinement» de la diplomatie québécoise ou encore de l’extinction de la voix propre du Québec sur la scène internationale. « Tant sur le plan personnel que politique, notre premier ministre n’aurait au fond, pas grand-chose […] à dire à l’international ? » demande-t-il.
L’ancienne ministre des Relations internationales, Louise Beaudoin, abonde dans ce sens. M. Couillard s’est inscrit « très clairement » en « rupture » avec ceux et celle qui ont occupé la fonction de chef du gouvernement québécois au lendemain de la Révolution tranquille. À ses yeux, les 45 secondes du premier ministre québécois avec le pape François sont un nouvel « exemple très frappant » du « démantèlement » — intérieur et extérieur — de l’État québécois. Portées par la doctrine Gérin-Lajoie, les relations internationales du Québec « se sont construites par des précédents », explique-t-elle. « Mais [M. Couillard] n’assume pas la continuité », ajoute-t-elle.
Cependant, selon le doyen de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, Gilles Routhier, il ne faut pas voir dans cette rencontre éclair « une perte d’influence » du Québec au sein de la Cité du Vatican. « C’est plus une question circonstancielle », fait-il valoir, tout en rappelant que « le cardinal Turcotte avait amené [en février 2001] Lucien Bouchard dans ses bagages ».
En établissant à 50 % les probabilités de voir le pape François participer en 2017 aux commémorations entourant le 375e anniversaire de la fondation de Ville-Marie, M. Couillard a en d’autres mots dit : « il y a autant de chances que ça ne se réalise pas que ça se réalise ». « Ses ambitions sont quand même modestes », soutient M. Routhier.
COUILLARD AU VATICAN
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