(NDLR - il s'agit d'André Joli-Coeur, et non de Jacques Joli-Coeur)
La famille souverainiste peut être impitoyable avec ceux de ses membres qui sont soupçonnés de nuire à la cause.
Jacques Parizeau lui-même a été ostracisé à cause d'un livre dont un passage pouvait laisser croire qu'il aurait fait adopter une déclaration unilatérale d'indépendance au lendemain d'un OUI en 1995, malgré les assurances contraires qu'il avait données avant le référendum. Après relecture, on s'est empressé de le réhabiliter, un peu honteux de l'avoir condamné aussi légèrement.
L'excommunication a été plus longue dans le cas de Jacques Joli-Coeur lorsqu'il a eu le malheur d'accepter de jouer le rôle d'amicus curiæ à la demande de la Cour suprême, qui entreprenait justement d'examiner la légalité d'une déclaration unilatérale. La réprobation a été générale. Lucien Bouchard et Bernard Landry ont été les premiers à lui lancer la pierre. Ce nouveau Judas avait vendu son peuple pour une poignée de deniers fédéraux.
Ces cris indignés ne l'ont pas impressionné. Quand il s'est mis à jouer les trouble-fête devant la Cour suprême, avec la complicité inattendue de Claude Ryan, on a commencé à lui reconnaître certains mérites. Il est finalement sorti de l'affaire en héros.
Jeudi soir dernier, M. Parizeau s'est déplacé à Sainte-Foy pour appuyer la candidature de son ami à l'investiture péquiste dans Louis-Hébert. Assis au milieu de la salle, entouré de la vieille garde péquiste de la capitale, il n'a pas eu besoin de parler avant que les militants n'aillent voter. Plus le temps et les malheurs passent, plus on se souvient de son règne comme d'une sorte d'âge d'or. Sous ce puissant parrainage, M. Joli-Coeur l'a emporté aisément.
L'affaire était délicate, sachant qu'André Boisclair n'en voulait pas pour candidat. Sans oublier que l'épouse de l'ancien premier ministre fait aussi partie de l'«équipe de rêve». Si M. Joli-Coeur bat maintenant l'ex-ministre Sam Hamad, les souverainistes de Québec trouveront peut-être en lui le leader qu'ils cherchent depuis plus de 30 ans, mais il ne sera pas reposant.
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Il est facile de comprendre pourquoi la direction du PQ a tout tenté pour lui barrer la route. Il incarne parfaitement cette aile «pure et dure» à laquelle M. Boisclair est si allergique. À 63 ans, il n'a plus rien à prouver et il ne devra son élection à personne.
Si le chef du PQ préfère parler de «consultation populaire» plutôt que de référendum pour éviter d'effaroucher les électeurs, son nouveau candidat ne prononce jamais le mot «souveraineté». Son seul et unique objectif est l'«indépendance», et il rêve du jour où un collège militaire ouvrira ses portes à l'Université Laval pour former les officiers de la future armée québécoise, qu'il voudrait envoyer au Liban plutôt qu'en Afghanistan.
Toujours problématique pour le PQ, la région de Québec s'est transformée en véritable cauchemar cette année. Les candidats souhaités par la direction du parti y sont rejetés les uns après les autres.
Le cas de Louis-Hébert est un peu différent de celui de Vanier, où les militants se sont insurgés contre le parachutage de Jean-François Bertrand, ou encore de Montmorency, un véritable panier de crabes qu'une autre vedette locale pressentie, Françoise Mercure, a préféré éviter.
Même si le jeune adversaire de M. Joli-Coeur, Pascal-Pierre Paillé, 28 ans, ne faisait manifestement pas le poids, l'assemblée de jeudi soir illustrait très bien ce qui sépare le «nouveau PQ» du PQ classique.
Quand il a expliqué aux militants pourquoi il sollicitait leur confiance, M. Joli-Coeur a parlé intensément et exclusivement d'indépendance. Après avoir fait état de ses préoccupations sociales, M. Paillé a conclu la sienne de la façon suivante: «Pour terminer, un petit mot sur la souveraineté.»
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Depuis un an, on a beaucoup disserté sur l'«énigme de Québec», qui en ferait une terre fertile pour les conservateurs et l'ADQ. Récemment, on a même tenté de la cartographier.
La capitale est un endroit unique et fascinant d'un point de vue politique. De nombreux Montréalais y voient toujours une «ville de fonctionnaires», où tout le monde vit plus ou moins aux crochets de l'État, mais c'est également la ville canadienne où, par habitant, on trouve le plus de chercheurs dans des secteurs de haute technologie. Depuis 20 ans, la ville est en pleine redéfinition économique, sociale et politique.
Le contexte sociolinguistique de Montréal a poussé les francophones de la métropole à trouver refuge au PQ. Avec le temps, le refuge s'est transformé en bastion. En 2003, le PQ a même conservé des comtés comme Bourget ou Rosemont, qui basculaient traditionnellement du côté du pouvoir. Crémazie demeure sans doute le seul point d'interrogation.
L'insécurité linguistique ne joue pas à Québec, de sorte que les frontières politiques sont plus éclatées. En revanche, l'homogénéité de la capitale se traduit nécessairement par un plus grand conformisme. C'est peut-être ce qui explique l'irruption périodique sur la scène politique de ces rebelles à la forte personnalité, souvent d'inclination libertaire, dont M. Joli-Coeur est un magnifique exemple.
L'ancien ministre Jean Garon était un autre spécimen. René Lévesque avait eu un trait de génie en nommant ce professeur de droit fiscal à l'Agriculture, le seul cadre qui convenait à sa personnalité truculente.
Guy Bertrand a presque érigé la rébellion en mode de vie. Durant la campagne électorale de 1989, M. Parizeau, qui avait aussi du mouton noir en lui, avait été stupéfait d'entendre son candidat dans Louis-Hébert dénoncer l'existence d'un système de justice parallèle au Québec.
Le PQ n'a pas le monopole des rebelles. Marc Bellemare a été totalement incapable d'accepter les contraintes qu'impose l'appartenance à une équipe ministérielle. La mairesse Boucher pourrait être ajoutée à la liste. Ou encore, dans un tout autre domaine, Patrick Roy. L'arrivée de M. Joli-Coeur aurait de quoi inquiéter n'importe quel chef.
mdavid@ledevoir.com
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