Le retour du politique

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« Avec ses vieilles lunes néomarxistes, façon Québec solidaire, Jeremy Corbyn a fait fuir les classes populaires »


À en croire la presse internationale, le Brexit n’était qu’un mirage. Là-bas, dans cette Albion cernée de brumes, de pauvres hères, ignares, vieux et mal informés, s’étaient laissé berner. Ils allaient en revenir. C’était une simple question de temps.


Pour un peuple qui ne voulait pas du Brexit, les Britanniques l’auront pourtant choisi quatre fois plutôt qu’une. D’abord lors du référendum du 23 juin 2016, où le Leave l’emporta avec 52 % des voix. Ensuite aux élections législatives de 2017, où les électeurs reconduisirent le mandat de Theresa May, même si elle était minoritaire. Puis aux élections européennes, où le Brexit Party arriva en tête. Enfin la semaine dernière, alors que Boris Johnson a remporté une victoire historique sous le mot d’ordre : « Get Brexit done ! »


Que faudrait-il de plus pour convaincre les sceptiques et forcer le respect d’un verdict populaire on ne peut plus clair ? Il aura fallu la détermination d’un Boris Johnson pour y parvenir et éviter une pratique devenue courante dans l’Union européenne qui consiste à faire revoter les peuples tant qu’ils n’ont pas fait le « bon » choix. Comme si, pour les grands prêtres de la mondialisation, quitter ce qui n’est après tout qu’une union économique méritait un procès en hérésie.


Mais si l’élection de Boris Johnson a eu l’effet d’un tremblement de terre, c’est surtout parce qu’elle a complètement renversé le paysage politique. Pour l’emporter, Boris Johnson a rompu radicalement avec l’ère Thatcher. En 2017, Theresa May avait amorcé ce virage en rejetant l’austérité défendue par ses prédécesseurs. Mais la crédibilité n’était pas au rendez-vous.


Pour convaincre les électeurs des milieux populaires, Boris Johnson a promis d’injecter d’ici cinq ans plusieurs dizaines de milliards de dollars dans la santé et l’éducation. Il est aussi sur le point de lancer un vaste projet de remise à niveau des transports publics dans ces anciennes régions industrielles du nord du pays depuis longtemps abandonnées au profit des élites financières de la capitale.


« Vous allez changer notre parti, et aussi notre pays », a déclaré le premier ministre aux jeunes élus de ces circonscriptions qui n’avaient jamais voté Tory de leur histoire. On est loin du profil de ceux qu’on surnomme ici les « Oxbridge » et qui dirigent le Parti conservateur depuis des lustres.


Ce faisant, les Tories renouent pourtant avec une partie de leur histoire. À Londres, on n’a jamais autant parlé du conservateur Benjamin Disraeli et de son slogan « One conservative nation ». À la fin du XIXe siècle, ce premier ministre, aussi atypique que peut l’être Boris Johnson, avait entrepris de cicatriser les blessures de la Révolution industrielle en réconciliant dans un même patriotisme riches et pauvres, qu’il surnommait les « deux nations ». Il en fit d’ailleurs le sous-titre d’un roman.


L’histoire dira si Boris Johnson saura marcher dans les traces de son illustre prédécesseur. Mais on peut d’ores et déjà penser que le Brexit ne ressemblera pas tout à fait à ce Singapore-on-Thames que décrivent ses adversaires.




 

 

À force de considérer les partisans du Brexit avec un évident mépris de classe, le Parti travailliste n’a récolté que ce qu’il avait semé. Son échec signe celui de cette extrême gauche universitaire qui regardait les Brexiters du haut de sa prétendue supériorité morale et intellectuelle. « Retournez donc à votre politique d’étudiants ! » s’est exclamé au lendemain de l’élection l’ancien ministre de l’Intérieur, le travailliste Alan Johnson.


Avec ses vieilles lunes néomarxistes, façon Québec solidaire, Jeremy Corbyn a fait fuir les classes populaires, et même les syndicalistes qui avaient toujours soutenu son parti, au profit d’un gauchisme plus sociétal que social, plus communautariste que national, plus radical que réformiste. Un gauchisme qui séduit surtout les jeunes universitaires des grandes villes mondialisées dont la mégapole londonienne est devenue le prototype. Corbyn a poussé l’exercice jusqu’à laisser gangrener son parti par le vieil antisémitisme d’extrême gauche, aujourd’hui férocement antisioniste et anti-Israël, mais dont les racines remontent loin dans l’histoire de la gauche. On l’oublie souvent.


Après dix ans de gouvernements conservateurs, l’échec de cette gauche hors sol est patent. Il devrait faire réfléchir ceux qui, ailleurs, rêvent de se perdre dans ce radicalisme de pacotille. Un radicalisme qui laisse les plus pauvres désarmés, sans nation ni frontières, et qui ne rêve que de leur faire la morale.




 

 

Ce grand retour du politique s’accompagne par ailleurs de la résurgence des nationalismes irlandais et écossais. Le premier vient d’imposer une défaite aux unionistes d’Irlande du Nord. Que cela hâte la réunification de l’Irlande, qui pourrait s’en désoler ? Quant aux Écossais qui réclament un nouveau référendum, ils semblent galvanisés par le Brexit. Pourtant, la sortie du Royaume-Uni du marché européen pourrait rendre leur choix encore plus déchirant, puisque l’Écosse commerce essentiellement avec l’Angleterre.


La leçon du Brexit n’est-elle pas justement que, pour être maître chez soi, il faut cesser de considérer l’économie comme le fin mot du politique ?









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