Le souverainisme disloqué

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La division entre le PQ et QS est loin d'être cosmétique

La dernière semaine de campagne a été marquée au fer rouge par les virulentes attaques de Jean-François Lisée contre Québec Solidaire, lesquelles n’ont pas fait l’unanimité. Pour certains, l’idée qu’un parti pour l’indépendance et de centre-gauche comme le Parti Québécois attaque QS est révoltante, impardonnable et contreproductive à un rassemblement fantasmé des deux partis dans un avenir proche. Cependant, ces idéalistes, sans doute remplis des meilleurs intentions, oublient que le PQ et QS sont des véritables adversaires politiques, à l’image des deux chapelles bien distinctes de souverainistes qui se sont peu à peu différenciées lors des dernières années.



Le PQ et QS sont des véritables adversaires politiques, à l’image des deux chapelles bien distinctes de souverainistes qui se sont peu à peu différenciées lors des dernières années.



Toute discussion sur les relations entre partis indépendantistes revient irremédiablement au point charnière que fut l’échec de la convergence en mai 2017. Si son rejet par les militants solidaires a certainement mis la table pour l’élection, il a surtout fait éclater au grand jour une vérité que peu de souverainistes souhaitaient avouer : Québec Solidaire et le Parti Québécois sont des partis différents et il y a des raisons à cela. Ils incarnent chacun un pôle de l’idéologie souverainiste, qui s’est scindée avec les années et les tergiversations.


Indépendance universelle et indépendance de gauche


Le Parti Québécois, fidèle à ses origines, porte une vision universelle de l’indépendance du Québec, qui a su rallier à travers les années des gens de toutes tendances politiques autour d’une appartenance commune. C’est dans son ADN, la souveraineté du PQ s’est toujours justifiée par l’autodétermination du peuple québécois, sa liberté de décider de son avenir et sa différence vitale le rendant fondamentalement incompatible avec le système canadien. Certes, le parti de René Lévesque loge traditionnellement au centre-gauche, mais sa vision de l’indépendance a toujours rallié à gauche comme à droite, attirant même Mario Dumont et l’Action démocratique du Québec dans le camp du OUI à temps pour le référendum de 1995. Étant un parti fondé autour de l’idéal d’un Québec souverain, rarement a-t-il laissé ses autres idéologies prendre le dessus lorsque cela comptait réellement.


À l’inverse, Québec Solidaire articule tout son projet politique autour de sa vision de gauche, féministe, environnementaliste, alouette. C’est là que se trouve le point sur lequel les deux partis divergent fondamentalement : Manon Massé et ses troupes voient l’indépendance comme un moyen pour atteindre leur idéal gauchiste, le Canada étant jugé « trop à droite » pour eux, alors que c’est un but pour le Parti Québécois, qui souhaite donner aux Québécois la maîtrise de tous leurs leviers parce qu’il est anormal qu’un autre peuple décide de leur avenir.



Le PQ veut la souveraineté pour permettre aux Québécois de s’administrer par eux-mêmes, QS la souhaite pour réaliser un projet politique nettement à gauche qu’il juge incompatible avec le cadre canadien.



De ce désaccord originel découlent plusieurs différends majeurs entre les deux partis, notamment sur la question de la mécanique d’accession à l’indépendance. Ce fut à l’origine d’un débat en pleine rue entre Sol Zanetti et Jean-François Lisée; Québec Solidaire souhaite réaliser l’indépendance par une assemblée constituante élue au suffrage universel pour écrire la constitution d’un Québec souverain, laquelle sera ensuite soumise au vote par référendum. Évidemment, le Parti Québécois s’y est toujours opposé, lui qui a toujours souhaité mettre le moins de conditions possible à l’indépendance pour ratisser large et faire basculer au-delà de 50% des citoyens dans le camp du OUI. Sur le dossier identitaire, les deux factions de souverainistes ont également maille à partir. Le PQ, depuis sa fondation, s’implique énormément dans les débats linguistiques, de même que dans celui sur les accommodements religieux et l’immigration plus récemment. QS, de son côté, rejette globalement le nationalisme québécois.


On se retrouve donc avec deux formations politiques qui représentent les deux visions gravitant actuellement dans le mouvement indépendantiste : l’une veut la souveraineté pour permettre aux Québécois de s’administrer par eux-mêmes, l’autre la souhaite pour réaliser un projet politique nettement à gauche qu’il juge incompatible avec le cadre canadien. De toute évidence, ils ne sont pas faits pour s’entendre, ce que l’histoire ne cesse de démontrer.


Des électorats distincts pour des partis distincts


La divergence de vision entre les solidaires et les péquistes ne se manifeste pas uniquement dans leur discours, elle fait aussi en sorte que les deux partis aient des électorats dissemblables. À preuve, tous les appuis de QS proviennent de gens de gauche, mais uniquement la moitié d’entre eux se disent indépendantistes, alors qu’au Parti Québécois, l’indépendance est la position unissant tous les membres et électeurs de la formation politique. Ainsi, Manon Massé et Jean-François Lisée, malgré qu’ils ne s’en rendent pas toujours compte, ont des électeurs très différents, même s’ils sont d’accord sur beaucoup de choses.



Ceux qui appuient les deux partis défendant l’option ne sont pas les mêmes et ne le seront probablement jamais.



À preuve, la chute vertigineuse du PQ dans les sondages s’est faite au bénéfice de la CAQ, qui mise à fond sur le nationalisme québécois pour récupérer l’essentiel des électeurs péquistes, certains ayant même voulu punir Lisée d’avoir voulu faire alliance avec Québec Solidaire, un parti que plusieurs méprisent et perçoivent comme un ramassis d’extrémistes, voire de marxistes. Face à ce constat, vouloir aller chercher à QS les électeurs partis se réfugier dans les jupons de François Legault relève bien sûr de l’impossible. C’est avéré, contrairement à ce que pensent beaucoup d’indépendantistes : ceux qui appuient les deux partis défendant l’option ne sont pas les mêmes et ne le seront probablement jamais. On ne peut pas additionner le score de QS à celui du PQ pour obtenir celui d’un hypothétique parti unifié : les deux bases électorales sont loin d’être parfaitement compatibles.


Une opposition inévitable


En toute connaissance des différences fondamentales entre le Parti Québécois et Québec Solidaire, on finit par voir qu’ils sont des adversaires en bonne et due forme, défendant des valeurs et deux visions différentes de l’avenir du Québec. Ainsi, à quoi bon se scandaliser lorsqu’ils s’attaquent l’un et l’autre? Telle est la norme entre formations politiques concurrentes. Qui se scandalise lorsque la CAQ attaque le PLQ, même si ces deux formations logent à droite du camp fédéraliste? Conséquemment, Lisée et Massé ne s’entendront probablement qu’à l’aube d’un éventuel troisième référendum. D’ici là ils tentent chacun de faire valoir leur projet, ce qu’on ne saurait reprocher à des chefs politiques sérieux. Tout porte à croire qu’il en sera ainsi à l’avenir, du moins tant qu’ils se traiteront de marxiste et de raciste dans leur vision respective. La divison entre Québec Solidaire et le Parti Québécois est loin d’être cosmétique, c’est un courant de fond qui traverse le mouvement indépendantiste et qui ne se résorbera pas à moins d’un bouleversement majeur.



La divison entre Québec Solidaire et le Parti Québécois est loin d’être cosmétique, c’est un courant de fond qui traverse le mouvement indépendantiste et qui ne se résorbera pas à moins d’un bouleversement majeur.