À la veille de la campagne électorale en Ontario, la promesse de John Tory de financer des écoles juives, musulmanes ou hindoues, comme le sont déjà les écoles catholiques, ne semble pas valoir aux conservateurs les appuis qu'ils recherchent pour reprendre le pouvoir. Pour l'emporter le 10 octobre prochain, les libéraux du premier ministre Dalton McGuinty misent, eux, sur les améliorations qu'ils ont apportées aux écoles et sur la crainte des parents qu'un bouleversement du système public ne nuise à la réussite de leurs enfants.
Les libéraux trouvent des appuis dans les milieux pour qui l'Ontario multiculturel a besoin d'un foyer d'intégration comme l'école publique commune. Il importe aussi, fait-on valoir, de préserver, non d'affaiblir, la séparation de l'Église et de l'État. Par contre les groupes confessionnels intéressés par le financement de leurs écoles n'ont pas renoncé à obtenir l'égalité de traitement avec les catholiques. Le 10 octobre pourrait peut-être même leur ouvrir une porte inattendue.
À cette occasion, en effet, Dalton McGuinty tient un référendum sur la représentation des Ontariens à leur assemblée législative. Il les invite à se prononcer sur un éventuel scrutin à la proportionnelle. Chaque électeur pourra un jour voter, si tel est le voeu de la population, pour le candidat local de son choix, comme c'est le cas présentement, et aussi pour le parti qui a sa préférence.
Des 129 sièges de l'assemblée provinciale, 70 % iraient alors aux élus locaux, et 30 % aux représentants des partis ayant reçu au moins 3 % des suffrages. (Le parti ayant gagné plus de circonscriptions que sa part des suffrages n'aurait pas de députés supplémentaires.)
Il n'en fallait pas plus pour évoquer le spectre d'un gouvernement minoritaire, et donc d'un «parti de Dieu» détenant la «balance du pouvoir». Au Parlement fédéral, des députés créditistes autrefois, puis des néo-démocrates et même des députés du Bloc québécois ont été en position d'arracher des gains qu'ils n'auraient jamais obtenus autrement. Mais on n'y a jamais vu de parti religieux ou ethnique, bien qu'aucune loi n'en interdise l'existence.
Dans le cas de l'Ontario, dit-on, ce pouvoir de «sauver» un gouvernement ou de le faire tomber pourrait être un jour détenu par un petit parti niant, par exemple, la neutralité de l'État, ou encore par une formation étroitement ethnique ou liée à une cause particulière. Dans cette province, où les musulmans comptent pour plus de 3 % de la population, un parti islamiste pourrait donc, d'ici peu d'années, avoir assez de députés pour dicter ses conditions à un cabinet désespéré de rester au pouvoir.
Si l'idée d'une électrice voilée suscite un joyeux pandémonium au Québec, on imagine quelle commotion un gouvernement aux abois créerait en Ontario en accordant à un parti islamiste la création, par exemple, d'un tribunal appliquant la charia. Mais nul doute, non plus, qu'un bloc de députés catholiques se formerait dans cette province si jamais le Parti vert, seul à prôner l'abolition du système catholique, tentait d'imposer cette idée.
Plus d'un groupe religieux ou ethnique tente d'avoir une présence dans les partis, mais ces militants doivent y négocier leurs revendications sans avoir l'assurance d'obtenir gain de cause. En cas de Parlement très divisé, toutefois, de petits partis d'une telle orientation peuvent détenir un pouvoir disproportionné par rapport à la population qu'ils représentent. La majorité aura beau n'avoir pas voté pour eux, ils seront en quelque sorte au pouvoir. C'est déjà le cas des grands partis à vocation générale, dont la légitimité est affaiblie. Le débat s'envenimerait certainement si un gouvernement en venait à dépendre d'un groupe à vocation particulière.
(Pour compliquer les choses, un professeur de l'Université Queen's, Daniel Usher, a fait l'hypothèse d'un parti religieux qui obtiendrait 3,1 % des suffrages et donc une présence au parlement ontarien, alors que d'autres partis religieux n'obtenant que 2,9 % n'y auraient aucun siège. Or, la constitution interdit d'adopter des lois imposant une discrimination sur la base de la religion. La future proportionnelle de Dalton McGuinty ne serait-elle pas alors invalide?)
Égalité de traitement
Un gouvernement conservateur ne pourra guère, si John Tory est minoritaire, donner suite à sa promesse d'étendre le privilège des catholiques aux autres confessions. Mais placés dans la même situation, les libéraux, pour se maintenir au pouvoir, auraient aussi du mal à ignorer l'égalité de traitement réclamée pour les écoles religieuses. Peut-être McGuinty serait-il alors plus disposé à accueillir cette proposition qu'il n'y paraît actuellement.
Ce premier ministre prétend qu'il faut plutôt s'efforcer d'intégrer les jeunes dans une même école et donner à cette institution les moyens de leur assurer une éducation de qualité. Mais, appuyant déjà l'école catholique, il n'ose pas prétendre que les écoles des autres religions seraient nécessairement sectaires, fondamentalistes ou autrement néfastes aux enfants ou à la société.
Les autres écoles dont on parle, en effet, seraient soumises aux mêmes conditions que les écoles catholiques. Elles suivraient les programmes approuvés par le ministère de l'Éducation, leurs enseignants auraient à faire reconnaître leurs compétences, et les établissements feraient l'objet d'inspections ministérielles. Des systèmes multiconfessionnels existent ailleurs au Canada et en d'autres pays, et rien n'indique que la formation y soit de moindre qualité.
Pourtant, les adeptes d'une stricte laïcité ne sont pas seuls à souhaiter la fin des écoles religieuses financées par l'État. Des fidèles aussi trouvent que ce financement est inopportun. Les confessions qui s'appuient sur l'État et sur son financement sont loin d'y gagner, dit-on, en vitalité religieuse. D'aucuns soutiennent même que ces écoles n'ont guère empêché le déclin de la religion et le rejet de la foi chez nombre de leurs élèves.
On cite à cet égard l'exemple des États-Unis où les confessions doivent financer elles-mêmes leurs écoles et jouissent d'une fréquentation et d'un dynamisme indéniables. Et le cas du Québec, où l'assimilation historique de l'école catholique à l'enseignement public, n'aura guère favorisé le progrès de la religion. Ce régime aura peut-être même contribué à l'abandon du catholicisme par la majorité de la population.
De plus, comment des religions financièrement dépendantes de l'État pourraient-elles exercer à son endroit l'obligation qu'elles ont d'en critiquer les politiques et d'en défendre, le cas échéant, les victimes?
Au Canada, le statut des écoles est différent d'une province à l'autre. Mais l'Ontario est en train de devenir, autant qu'hier le Québec, la province des redéfinitions sociales. Pour les uns, il s'agit d'imposer aux nouveaux arrivants les institutions en place. Pour d'autres, la très grande diversité religieuse et culturelle qui y prévaut va, tôt ou tard, entraîner des changements aux institutions.
Des privilèges datant du XIXe siècle ont été abolis ces années-ci pour les écoles confessionnelles du Québec et de Terre-Neuve. Ces modifications à la pièce n'ont cependant pas résolu une question délicate, sinon explosive, comme celle des écoles en Ontario. Les tribunaux n'ont pu davantage apporter de solution satisfaisante. Faudrait-il dès lors se résoudre à laisser ces choix de société à des gouvernements instables, timorés ou dépendants?
redaction@ledevoir.com
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
L'école confessionnelle en question
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