POINT DE VUE

Le système de santé québécois : un malade qui refuse les traitements ?

Au cours de la lecture, une évidence m'est apparue avec force : sept ans et trois commissions plus tard, le diagnostic est identique et les axes de solutions proposées sont très substantiellement les mêmes.

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Commission Castonguay

Texte publié dans La Presse de samedi 23 février 2008 sous le titre "Un système de santé malade"
Claude Castonguay, président du groupe de travail sur le financement du système de santé. (Photothèque Le Soleil)

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J'ai lu les 300 pages du Rapport Castonguay avec le regard du citoyen qui a présidé une Commission d'études de neuf personnes en 2000 et participé au Comité Ménard en 2005.
Au cours de la lecture, une évidence m'est apparue avec force : sept ans et trois commissions plus tard, le diagnostic est identique et les axes de solutions proposées sont très substantiellement les mêmes.
Je mets volontairement de côté les propositions controversées de l'assurance privée, de la pratique mixte qui en découlerait et les mesures d'augmentation d'impôts déjà rejetées par le gouvernement. Celui-ci devra quand même trouver les 1,2 milliards $ de croissance annuelle.
Sur tout le reste, la convergence des trois rapports est frappante : nécessité de limiter la croissance des dépenses à la richesse collective. Changements à faire dans les modes d'allocation des ressources. Nécessité de faire des choix et de performer. Changements essentiels dans la gouvernance.
Pourquoi sept ans et trois commissions d'études plus tard, notre système de santé est-il incapable de se mobiliser pour implanter les recommandations convergentes? Mes réflexions personnelles m'amènent à penser que le système de santé du Québec est un malade qui refuse les traitements. Autrefois fort et célèbre, il vieilli mal, il refuse de faire de l'exercice, de suivre une diète, de mesurer ses résultats. Il préfère prendre l'argent de la famille pour continuer dans ses habitudes sans égard au coût, plutôt que de changer son style de vie. Pourquoi?
Je crois qu'il y a quelques règles de vie saine que le système de santé dans son ensemble a tendance à rejeter a priori : 1) rendre des comptes sur l'argent public qu'il reçoit; 2) mesurer sa performance, 3) compétitionner sur une base équitable dans la livraison des services, 4) vivre sous une gouvernance fondée sur la transparence et l'imputabilité. Cela l'affaiblit beaucoup et nuit à sa pérennité.
L'argent public
Depuis dix ans, le réseau de la santé dans son ensemble a pris le contrôle de facto des finances publiques du Québec. J'exagère à peine. Au fil des ans, les pressions combinées de tous les acteurs du réseau de la santé sont devenues telles que personne ne peut résister à la force de lobby du ministère de la Santé et de ses constituantes. Chaque année ils coincent le ministère des Finances et le force à trouver 1,2MM$ de plus sans soumettre la moindre liste de coûts unitaires ni de projet de gain de productivité.
Tant qu'il n'y aura pas de nouveaux modes d'allocation budgétaire en fonction des résultats, le «Système» préférera le statu quo parce que la pression politique est un outil bien plus simple pour obtenir les 24 milliards$ de nos taxes et impôts que de justifier un budget d'exploitation basé sur des volumes de services achetés à des prix unitaires connus, des niveaux de qualité mesurés et rendus en temps.
La mesure de la performance
Le deuxième verrou au changement, c'est la mesure de la performance. Un mot qui déplaît dans le réseau de la santé. Un mot associé négativement à la gestion privée et qu'on oppose fallacieusement à un système de santé universel et de qualité. Partout ailleurs dans la société, la mesure de la performance est vue comme un outil qui permet de s'améliorer, d'assurer la survie de l'organisation devant les menaces et de perfectionner les façons de faire.
Notre système de santé ignore la mesure de la performance. Il ne dispose d'aucun système d'information lui permettant de connaître les coûts complets d'une chirurgie typique dans nos hôpitaux. Quelle entreprise pourrait survivre une seule année de cette manière? Pourquoi une organisation en péril comme notre système de santé avec une productivité déclinante, des problèmes de pénurie et d'épuisement des ressources humaines se refuse-t-elle un traitement à la performance? La réponse me semble être dans la culture qui a fini par se développer en raison d'une gouvernance trop centralisée, qui tue l'initiative et déresponsabilise.
La compétition
Voilà un mot sacrilège dans notre système. Ailleurs la compétition est vécue comme une assurance que le rapport qualité/prix s'améliorera constamment, qu'elle sera source d'émulation pour démocratiser l'accès aux services et d'innovation dans les modes de livraison. Dans un système à financement public où l'on gère l'argent des citoyens il serait normal de développer une concurrence saine et encadrée de la livraison des services à fort volume. À peu près tous les pays avancés de l'OCDE le font.
D'où vient le blocage? À mon avis, certains acteurs défendent âprement le statu quo car ils croient que leur influence serait inexorablement diluée si les citoyens avaient réellement le choix de leur prestataire de soins dans le cadre d'un financement public, donc si l'argent suivait vraiment le client. Je crois le contraire. L'introduction de modes variés et compétitifs de livraison de services permettrait un renforcement du positionnement des organisations publiques innovantes et renforcerait le vrai leadership de ces acteurs publics.
La gouvernance
La gouvernance à la fois administrative et clinique du système est à l'avenant : une incroyable confusion des rôles y règne de haut en bas de la structure. Cela discrédite le système et le rend dysfonctionnel.
La clarté des rôles, la transparence dans les choix et les résultats et l'indépendance des administrateurs sont des pré-requis à la bonne gouvernance. S'il est si difficile de la réformer, c'est à mon avis parce que chacun en est venu à penser que la somme des intérêts corporatifs représentés aux conseils d'administration égalait l'intérêt général. Cela est faux. On ligote ainsi le système. Doter le réseau d'une gouvernance de classe mondiale lui permettra de sortir de cette impasse.
Claude Castonguay a raison de dire que des changements sont inévitables. Qui de nos dirigeants politiques voudra entreprendre cette cure avec force et empathie plutôt que de laisser le malade se détruire sous nos yeux?
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Michel Clair *
Ancien ministre

Président de la Commission d'étude sur les services de santé et les services sociaux (2000)
*L'auteur est aujourd'hui PDG de Groupe Santé Sedna. Il écrit ici à titre personnel.


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