L'anglais intensif en sixième année partout au Québec, une bonne idée? Il y a un an, la société jubilait devant ce projet moussé par Jean Charest. Aujourd'hui, la grogne des enseignants le place au rang des idées saugrenues. Qui dit vrai?
Un février dernier, quand le premier ministre Jean Charest a exprimé sa volonté de faire de l'anglais intensif en 6e année l'affaire de toutes les écoles du Québec, les applaudissements retentirent. Outre quelques oppositions attendues, l'enthousiasme fut quasi général. Ajouter l'anglais, actuelle langue planétaire commune, au bagage culturel de nos enfants? Why not?
Un an plus tard, les mines sont basses. Les sondages se chargeront de dire si les parents sont toujours favorables à ce voeu du gouvernement, mais au dire des enseignants, cette idée promise pour 2015-2016 tient de l'utopie et va tout à fait à contre-courant des cibles de réussite fixées par le gouvernement Charest lui-même.
Qu'il est donc difficile de placer des nuances dans les discours officiels! Et pourtant... tout ne tient-il pas à cela, surtout avec un réseau scolaire dont la richesse mais aussi la complexité tient à son extrême hétérogénéité? À l'échelle du Québec, d'abord, les disparités sont immenses: d'un côté, Montréal et ses élèves allophones; ailleurs, des régions peinant à recruter des enseignants maîtrisant l'anglais. À l'échelle locale, ensuite: des milieux défavorisés, où la réussite des matières de base tient du miracle, compte tenu des immenses défis du quotidien; des écoles où les élèves d'un même milieu sont divisés en deux castes: ceux qui peuvent se permettre de condenser les apprentissages de toute une année en cinq mois pour se consacrer ensuite exclusivement à l'anglais, et ceux qui n'y arrivent tout simplement pas.
Qu'il est délicat aussi de décoder le sous-texte dans les discours officiels! Le premier ministre catapulte cette idée de manière inattendue, et qu'a-t-il en tête, outre la réussite des élèves? L'intention de séduire un électorat? De donner au discours englobant l'école une touche moins morose, délaissant le décrochage pour le défi de l'anglais, langue de l'avenir? En revanche, les syndicats jurent que ce projet est voué à l'échec, et que nous disent-ils au juste? Que la réorganisation des matières qu'entraînera inévitablement ce nouveau partage des heures ne sied pas à leur plan de travail? Que leurs membres ne sautent pas de joie à l'idée de se lancer dans une — autre! — lubie ministérielle?
L'heure juste est peut-être justement en zone de nuances. Entre jovialisme politique à la limite de l'inconséquence et pessimisme syndical attendu réside sans doute une formule qui, comme le rappelait avec justesse le rapport Larose sur la langue française de 2001, mise sur l'apprentissage efficace du français d'abord et ensuite de l'anglais, sans saupoudrage et avec intensité.
Le mécontentement des enseignants n'est pas totalement frivole. Il s'explique essentiellement par l'absence de réponses à des questions essentielles, restées sans réponse douze mois après l'annonce-surprise. Aux inquiets qui croisent l'application généralisée de l'anglais à la disponibilité des enseignants, à la capacité des élèves en difficulté, aux taux de réussite, la ministre de l'Éducation Line Beauchamp offre le néant en guise de réponse et promet que le ministère se penchera là-dessus. On pourrait sans grand mal lui opposer qu'il aurait fallu le faire bien avant!
Malgré les sons de cloche venus du terrain, où l'expérience de certaines écoles et commissions scolaires s'avère des plus heureuses, il manque encore des analyses critiques et objectives essentielles, à partir desquelles le ministère pourrait conclure si l'étendue «mur à mur» de l'anglais intensif ne heurtera pas ses propres cibles de réussite, pourtant ambitieuses. Il nous semble que le Conseil supérieur de l'éducation, organisme conseil du ministère, pourrait très bien remplir ce mandat, et pourtant, on ne l'a guère entendu se prononcer sur cette question cruciale et il n'est curieusement pas prévu qu'il le fasse...
À l'heure où la société s'interroge à juste titre sur la menace que laisse planer l'apprentissage de l'anglais sur la qualité du français, où les pénuries d'enseignants inquiètent, où les effets de la réforme sur les élèves en difficulté ont été plus que néfastes, il n'est pas exagéré d'ajouter un avis critique et neutre sur une question aussi cruciale. Entre le tout ou rien, un plan nuancé est peut-être possible?
Anglais intensif au primaire
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