J'aime ma langue dans ta bouche. L'expression a fait sourire, a surpris, a peut-être même choqué, mais la formule coquine, titre d'une manifestation-spectacle destinée à faire la fête au français, visait essentiellement à détonner, sortant du coup le débat linguistique du cadre austère qui le rend lourd et ennuyeux. Grand oublié dans les analyses, rapports et bilans clamant la fatigue du français, le plaisir de la langue tente de reprendre ses droits.
Des dizaines d'artistes de passage au Lion d'Or de midi à minuit, aujourd'hui, rendront hommage au français avec légèreté et gaieté, et ce, même si les constats sont à pleurer... Le tout, pour dérider les mines d'enterrement. Pour réveiller les blasés qui ont succombé à l'accablement collectif qui nous engourdit même la mémoire. Pour fracasser l'indifférence qui accompagne toutes les petites morts de ce français qui, à Montréal, du moins, souffre d'une usure certaine.
Sur tous les fronts, notre belle langue est malmenée. L'épicerie Metro refuse l'accent aigu (mais, fiou! Quebecor songe à se recoiffer des siens). Du vérificateur général du Canada jusqu'à l'entraîneur-chef du Canadien, on boude le français comme s'il n'était plus que décoratif. Les plaintes pour non-respect de la langue d'affichage commercial sont en hausse à l'Office québécois de la langue française. La Commission scolaire de Montréal doit rappeler à ses troupes, tant profs qu'élèves, qu'on parle français sur son territoire.
L'anglais intensif en sixième année sera bientôt obligatoire, même si les bases du français sont chancelantes. La musique anglophone a la cote. De même qu'un nouveau charabia pratiqué par la jeunesse, où se mêlent allègrement, dans les mêmes paragraphes-phrases-mots, du «fucking bon» et du «trop fail» — à portée d'oreille tolérante des parents... L'anglais n'est plus l'apanage de ceux qui l'ont en bouche depuis un âge tendre. C'est maintenant cool de l'agencer à notre français, comme pour donner à celui-ci du lustre... Danger.
Tout naturellement, pour redresser une culture souffreteuse, on se tournera vers l'école; ce sera pour y voir clignoter nombre de feux rouges. Les résultats des élèves demeurent préoccupants, malgré tous ces rapports aux constats désolants et ces plans d'action aux mesures prometteuses. Chaque fois, on nous parle de l'importance de la lecture et d'une formation des futurs enseignants mieux soutenue en français. Pour rassurer les troupes, on a annoncé le retour en force de la dictée de même que de la production écrite hebdomadaire. En vain!
Las d'attendre un enrichissement du programme de français au primaire qui fut promis mais qui tarde à venir, un syndicat d'enseignants (la Fédération autonome de l'enseignement, FAE) a même lancé cette semaine sa propre révision du programme de français, histoire d'épauler ses profs. Les contenus y sont hiérarchisés, précisés, associés à une démarche d'évaluation claire, le tout s'inscrivant dans une remise en question affirmée de la réforme.
Seul problème: ce document destiné à guider les enseignants contient lui-même des fautes... Illustration tristounette d'un mal qui atteint même ceux qui enseignent? Au moins, qu'on n'y reste pas indifférent! Si, même lorsqu'on veut marquer l'importance d'enrichir le français, on le fait avec une certaine fatigue, sur quels résidus de qualité et de plaisir reposeront les réformes de demain?
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