Des centaines de milliers de Vénézuéliens se sont rassemblées mercredi à Caracas sur le passage du cercueil du président Hugo Chávez. La dépouille du président a commencé à être transférée de l’hôpital militaire de Caracas jusqu’à l’Académie militaire, où son cercueil doit être exposé avant les obsèques prévues vendredi.
Le cortège était suivi des centaines de milliers de personnes. Près du cercueil se trouvaient entre autres Elena Frias, la mère du défunt, son héritier politique désigné, le vice-président Nicolas Maduro, et le président bolivien Evo Morales. Les autorités vénézuéliennes ont décrété sept jours de deuil.
Un géant de la gauche disparaît
C’est la maladie qui a fini par avoir le dernier mot. Rentré au Venezuela le 18 février après deux mois de traitements à Cuba, Hugo Chávez est décédé mardi, à l’âge de 58 ans, des suites d’un cancer qui le rongeait depuis bientôt un an et demi.
La nouvelle a été annoncée en après-midi à la télévision publique par le vice-président vénézuélien, Nicolás Maduro. Elle met fin à une longue période d’incertitude, mais certainement pas à la vive tension politique qui s’est de nouveau installée au Venezuela.
L’homme au béret rouge, en poste depuis février 1999, avait survécu à une tentative de coup d’État en 2002, après avoir été lui-même putschiste dix ans auparavant. Il était fortement contesté par certains secteurs de la société vénézuélienne, mais il a été réélu à trois reprises, la dernière fois en octobre 2012, grâce à ses prises de position en faveur des classes déshéritées, mais sans doute aussi grâce à son charisme.
Il s’est rendu célèbre en 1992, en tentant de prendre le pouvoir avec un groupe de jeunes officiers gauchistes. Il a passé deux ans en prison pour ce geste, avant d’être gracié. Six ans après ce coup de force, son élection à la présidence a contribué à redessiner la carte politique de l’Amérique latine, puisqu’il s’est constitué dans la région un front de gauche par rapport aux États-Unis et à des gouvernements beaucoup plus conservateurs. Il est devenu l’un des principaux, et certainement le plus coloré, des leaders de cette nouvelle gauche latino-américaine, ayant déclenché ce qu’il a appelé la « révolution bolivarienne ». Il était sans conteste la bête noire des États-Unis, pays qu’il ne se gênait pas de critiquer.
Hugo Chávez est né le 28 juillet 1954 dans l’État de Barinas. Fils d’un couple de modestes instituteurs, il entame des études à l’Académie militaire nationale, à Caracas, à l’âge de dix-sept ans. Devenu officier, il entreprend une longue carrière militaire, tout en s’intéressant à la politique, aux arts et à l’histoire, se passionnant tout particulièrement pour la vie de Simón Bolívar, considéré comme le libertador de la moitié du continent sud-américain.
Indigné par la répression
Il obtient éventuellement le grade de colonel, responsable d’une unité de parachutistes. Fin 1982, il fonde avec d’autres officiers un mouvement appelé Armée bolivarienne du peuple du Venezuela, qui tient des réunions clandestines. Les années 1980 se caractérisent par une crise économique et le retour d’un parti longtemps interdit d’élections, l’Action démocratique (AD). L’augmentation brutale des prix à la consommation dans le cadre d’un programme d’austérité déclenche en 1989 des manifestations, qui sont brutalement réprimées par le président AD, Carlos Andrés Pérez.
En 1992, les tentatives de coup d’État militaire ont été écrasées, mais le pouvoir est sorti de la crise fragilisé. Le président Pérez a été suspendu de ses fonctions en mai 1993, après que le Sénat eut fait passer un jugement pour détournements de fonds publics. Hugo Chávez, de son côté, a justifié son coup de force de la façon suivante : « Nous, jeunes militaires, nous étions indignés par la répression menée par le gouvernement de l’époque après la crise de 1989, où un millier de Vénézuéliens ont été tués. »
Dans un article écrit en 2000 pour le Monde diplomatique, l’écrivain Gabriel García Márquez raconte l’échec du soulèvement dirigé par Chávez après un discours télévisé du président Carlos Andrés Pérez : « Chávez se rendit, à condition qu’on lui permette de s’adresser, lui aussi, au peuple. Le jeune colonel créole, avec son béret rouge de parachutiste et une admirable aisance d’élocution, assuma l’entière responsabilité du mouvement. Son allocution à la télévision fut un triomphe politique. Il passa deux années en prison avant d’être amnistié par le président Rafael Caldera. Cependant, nombre de ses partisans - et de ses adversaires - avaient compris que son discours, au moment de la défaite, était le premier d’une campagne électorale qui allait le conduire à la présidence de la république, qu’il assumera en 1999. »
L’élection de Hugo Chávez en 1998, avec plus de 56 % des voix, coïncide avec un ras-le-bol généralisé à l’égard des deux « vieux » partis, corrompus et trop associés aux inégalités sociales dans le pays, qui est pourtant le deuxième exportateur de pétrole dans le monde. Chávez aurait dit à cette époque : « La démocratie, ce n’est pas seulement l’égalité politique, c’est aussi, voire surtout, l’égalité sociale, économique et culturelle. Tels sont les objectifs de la révolution bolivienne. Je veux être le président des pauvres. »
Face à des opposants coriaces
Pendant la première année de sa présidence, Hugo Chávez s’est employé à faire adopter une nouvelle constitution vénézuélienne et à rebaptiser son pays « République bolivarienne du Venezuela ». La nouvelle loi fondamentale prévoit, entre autres, un accroissement des pouvoirs du chef de l’État, ce qui a pu accréditer la thèse voulant qu’il gouverne en autocrate. « Le gouvernement est comme une équipe de baseball. Je suis le manager. Et les joueurs doivent suivre les indications, sinon ils sortiront du terrain », a-t-il expliqué un jour.
En avril 2002, il a été écarté du pouvoir pendant quelques jours par un coup d’État militaire larvé, précédé par une série de manifestations et d’émeutes qui ont fait quelques dizaines de victimes. Deux ans plus tard, il remporte un référendum l’autorisant à terminer son second mandat.
Pendant sa présidence, Hugo Chávez s’est mis à dos le haut clergé, la grande bourgeoisie et la plupart des médias privés qui l’ont critiqué, parfois injustement, et qu’il n’a pas hésité à bâillonner à l’occasion.
En 2006, il a participé à la création de l’Alternative bolivarienne pour l’Amérique, une zone de libre-échange « socialiste » avec Cuba et la Bolivie d’Evo Morales. Malgré les relations bilatérales tendues, le Venezuela vend beaucoup de pétrole aux États-Unis, en plus de fournir du mazout aux familles américaines nécessiteuses, par l’intermédiaire d’une ONG fondée par un des fils de Robert Kennedy, Joseph. Son aversion pour la superpuissance américaine l’a toutefois poussé à défendre des personnages assez douteux, dont Mouammar Kadhafi, Bachar al-Assad et Mahmoud Ahmadinejad.
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