Les entrepreneurs sont-ils les nouveaux curés ?

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Plutôt des faux prêtres





L’idée de ce texte m’est venue il y a quelques semaines, suite à un incident survenu sur la planète Facebook. Après une entrevue remarquée au journal Métro où le célèbre Alexandre Taillefer ouvrait la porte à une future carrière politique, l’essayiste Jocelyn Caron avouait ne pas comprendre l’engouement pour l’homme, estimant que le succès en affaires et les formules à la sauce « faire de la politique autrement » n’étaient pas des arguments particulièrement convaincants pour accéder à la magistrature suprême. Une critique qui me semble plutôt posée, mais qui a poussé le légendaire Claude Béland à désavouer ce dernier sous prétexte qu’il manquait de respect pour nos entrepreneurs, annonçant même son envie de prendre sa retraite des médias sociaux.


Peut-on respirer par le nez un instant ?


La politique est généralement commentée par des personnalités publiques de tous les horizons, qu’ils soient artistes, sportifs ou hommes d’affaires, pour ne nommer que ceux-là. Il est parfaitement légitime qu’ils le fassent, et c’est leur plus grand droit comme citoyens. Par contre, pourquoi accorder un surplus de crédibilité à l’opinion de gens simplement en fonction de leur notoriété, alors que leur réputation s’est bâtie dans d’autres domaines ? Nous avons là un bel outil de manipulation, dont parlait Normand Baillargeon dans son Petit guide d’autodéfense intellectuelle, un livre marquant pour toute une génération. Au cours du XXème siècle, bon nombre de militants communistes utilisaient les écrits d’Albert Einstein, qui chantait les louanges de Lénine, pour soutenir leur mouvement. Or, la vénérable expérience d’Einstein était liée au domaine scientifique, pas à la politique.


Avant de poursuivre, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! Je suis très loin de souhaiter que la politique appartienne seulement à ses spécialistes. Au contraire, je veux que les citoyens se la réapproprient. Je trouve très sain que des gens d’horizons divers s’y investissent et amènent leur éclairage particulier, issu de leur expérience personnelle. Cependant, un peu d’équilibre est nécessaire dans le traitement que nous accordons à leurs prises de position. Pierre Falardeau disait de Patrick Roy qu’il était probablement un grand gardien de but, mais qu’il était « dans le champ » quand il s’aventurait sur le terrain politique. Je ne dis pas qu’il est nécessairement à côté de la plaque parce qu’il est une vedette, mais le fait d’en être une ne lui offre, me semble-t-il, aucun passe-droit, sans mauvais jeu de mots.


Pour revenir au cas des hommes d’affaires en politique, ils sont certainement nécessaires car ils amènent un regard d’acteurs du monde économique. Le problème, c’est lorsque certains d’entre eux, s’appuyant précisément sur cette connaissance de l’univers entrepreneurial, ressortent la promesse de « gouverner l’État comme une entreprise ». Si telle formule a fonctionné dans le privé, elle sera obligatoirement couronnée de succès dans le domaine politique. Or, cette vision manque d'ambition et d'envergure. L’État n’est pas une entreprise, et ne doit pas être traité comme s’il en était une. Les pouvoirs publics ne sont d’aucune manière des entités à but lucratif. Il faudra bien en finir un jour avec ce vieux mythe néolibéral à l’effet que la recherche du profit par chacun amènera le bonheur de l’humanité. On ne négocie pas non plus à l’intérieur de l’État comme on le fait au sein d’une corporation. Il y a par ailleurs beaucoup d’entreprises qui font faillite, nous rappelant qu’elles ne sont pas, par nature, infaillibles. Instaurer une culture de maximisation du profit à des institutions publiques ne représente aucunement un gage de réussite.


Il ne faut pas s’étonner de la fascination qu’exercent au Québec les nouveaux visages de l’entreprise privée. Notre monde des affaires, le Québec Inc., est une construction historique très récente. Celle-ci suivait la mise en place d'un État puissant qui succédait à des décennies de pouvoir clérical, lequel nous martelait qu’il ne fallait pas toucher à l’économie, que nous n’étions pas faits pour cet univers. L’argent, ce n’était pas pour nous.


Comme les curés d’hier, les milieux d’affaires sont les plus qualifiés pour parler de leur domaine. Mais, comme les curés d’hier, il faut toujours accueillir avec prudence leur volonté de se mêler de politique.



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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