Pessimistes et optimistes s'affrontent au sujet de l'avenir du français au Québec. En rendant publics son rapport quinquennal et une pléthore de statistiques sans fournir d'interprétation, l'Office québécois de la langue française n'a rien éclairci. Surtout, l'organisme n'a pas répondu à cette question: l'avenir qui attend Montréal est-il celui d'une métropole bilingue?
Québec -- La présidente de l'Office québécois de la langue française (OQLF), France Boucher, aurait voulu attirer l'attention sur elle et sur le rapport quinquennal de son organisme qu'elle ne s'y serait pas prise autrement. Son attitude cachottière et paranoïaque, sa conception étroite du rôle de l'organisme, son mépris à peine voilé pour le droit du public à l'information en ont fait une cible de choix. Si on lit les journaux du jeudi au lendemain du dévoilement de ce rapport, il est clair qu'«elle s'est desservie», confie-t-on dans l'entourage de Jean Charest.
On ne sait trop si ce sont les pressions politiques exercées par le gouvernement Charest sur France Boucher qui l'ont conduite à adopter un tel comportement ou si c'est plutôt dans le caractère de Mme Boucher, fille de feue la mairesse Boucher et ancienne attachée politique de l'impétueux Marc-Yvan Côté, d'agir de la sorte. On peut y voir un mélange de ces deux facteurs. On a d'ailleurs pu se rendre compte ces derniers mois de la propension de Mme Boucher à en donner plus que ce que le client demande. Quand le client est le gouvernement libéral.
Quand le client est le public en général, c'est une autre paire de manches. Mme Boucher a soutenu que c'est au public de se faire une tête sur la situation linguistique au Québec en compulsant les quelque 200 pages du rapport et les milliers de statistiques qu'il contient.
La langue normale au travail
Même si la présidente de l'OQLF a tenu à interpréter de façon restrictive le mandat de l'organisme, il n'en demeure pas moins que «l'Office veille à ce que le français soit la langue normale et habituelle du travail», selon l'article 161 de sa loi constitutive. Mais nulle part dans le rapport l'OQLF indique si tel est le cas ou, dans le cas contraire, si des progrès ou des reculs ont été constatés. L'organisme est silencieux sur un élément fondamental de sa mission.
Or «le français n'est pas encore la langue normale et habituelle au travail». Ce constat, c'est le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) qui l'a fait en 2005, dans un avis sur le sujet. Il est vrai que le nombre d'entreprises qui ont obtenu leur certification relative au français langue de travail a augmenté, ce que le rapport se fait fort de relever, comme l'avait fait le CSLF. Mais il s'agit d'une obligation faite aux grandes entreprises seulement alors que les nouveaux arrivants se trouvent du travail surtout dans les petites entreprises. L'étude commandée par l'OQLF ne porte d'ailleurs que sur la grande entreprise, où les progrès ont été probants.
Toutefois, selon le CSLF, pour la moitié des travailleurs allophones, le français n'est pas la langue normale et habituelle au travail et «c'est le cas dans les milieux de travail linguistiquement mixtes, où l'anglais reste la langue de convergence dans une proportion élevée». L'OQLF note dans son rapport que l'anglais a fait des gains chez les allophones dans les milieux de travail, une donnée qui n'est pas reprise dans les sommaires. Au mieux, le français langue de travail a fait du surplace ces dernières années, ce que l'OQLF se refuse à constater.
D'autres inquiétudes
Les données sur les langues maternelles et la langue d'usage sur l'île de Montréal peuvent aussi susciter une inquiétude, en tout cas pour ceux qui tiennent au visage français de Montréal. Ainsi, pour la première fois en 2006, la proportion des personnes de langue maternelle française sur l'île tombait sous la barre des 50 %. Selon les prévisions de Marc Termote, le pourcentage des personnes qui parlent le français à la maison tombera sous la barre des 50 % sur l'île de Montréal entre 2016 et 2021. Étrangement, l'OQLF n'a repris aucune de ces projections dans son rapport.
Simon Langlois, le président du Comité de suivi de l'OQLF, sorte de caution scientifique du rapport, a démissionné pour protester contre les mesures abusives de confidentialité imposées par Mme Boucher. Les membres de ce comité ont tous été écartés. Mais, paradoxalement, en tant que membre, non pas du comité, mais de l'organisme, M. Langlois a approuvé le rapport, dont il loue «la vision d'ensemble». De façon tout aussi paradoxale, le sociologue déplore tout de même que le rapport ne contienne aucune conclusion ou aucune interprétation d'ensemble sur l'évolution de la situation linguistique.
À son avis, une telle conclusion aurait mis en lumière les progrès que le français a faits ces dernières années. Il cite la réussite que représente la francisation des grandes entreprises, un sujet d'étude à l'étranger. Les ententes signées à la fin de 2007 sur l'étiquetage des jeux vidéo est un autre exemple de ces progrès, note-t-il.
D'une façon plus générale, il y a de plus en plus d'immigrants qui connaissent le français, fait observer Simon Langlois. Ils sont plus nombreux à adopter le français comme langue parlée à la maison. Certes, la sélection des immigrants y est pour quelque chose -- il y a plus de francophones qu'avant --, mais c'est un effet de la politique linguistique, fait-il valoir.
Les allophones
Même le départ massif des anglophones et des allophones anglicisés pour les autres provinces, ce qui vient freiner la diminution de la proportion des francophones au Québec, est un facteur positif pour le français, aux yeux de l'universitaire. En outre, de plus en plus d'allophones montrent de l'ouverture à l'endroit de la culture québécoise française. «Ma lecture, c'est qu'il y a un changement de direction qui s'est opéré ces dernières années en faveur d'une plus grande intégration des nouveaux arrivants à la majorité francophone», livre Simon Langlois.
Un autre membre du comité de suivi dissous, le mathématicien Charles Castonguay, que d'aucuns taxent de pessimisme, a longtemps examiné la question. Dans une étude datée de 2005 qui fait partie de la série d'études rendues publiques cette semaine par l'OQLF, il soutient que la vitalité de l'anglais -- sa force d'attraction -- est plus forte que le français. Il croit que l'OQLF a manqué à sa tâche en ne livrant pas de fil conducteur qui aurait porté sur la compétition entre l'anglais et le français, dans «cette guerre des langues» qui a cours, selon lui, dans la région de Montréal comme en Outaouais.
De son côté, Gérald Larose, qui a présidé la Commission des états généraux sur l'avenir du français, estime que le progrès dans la francisation des entreprises s'est arrêté au détour des années 90 et que les données du rapport de l'OQLF ne montrent pas autre chose. Après les gains initiaux dus à la loi 101, «on recule», souligne M. Larose. «La fréquentation des écoles françaises est en baisse, l'adoption par les immigrants du français plafonne et dans les lieux de travail, on régresse», déplore-t-il.
Le président du CSLF, Conrad Ouellon, s'est engagé à faire les constats que l'OQLF s'est refusé à faire. Le CSLF doit aussi revoir la façon dont l'Office mène ses recherches et produit son rapport sur la situation linguistique. On peut se demander si l'OQLF est suffisamment indépendant du pouvoir politique, mais aussi de ses fonctionnaires qui appliquent la Charte de la langue française, pour produire un bilan objectif.
En 1996, après avoir torpillé le premier bilan sur la situation du français jamais réalisé au Québec, que son prédécesseur Jacques Parizeau avait commandé, Lucien Bouchard avait déclaré, la main sur le coeur: Montréal ne sera jamais bilingue. «Si Montréal devenait bilingue, ce serait la fin du français au Québec», avait-il affirmé. La vraie question est peut-être là: Montréal ne serait-il pas déjà une ville bilingue, perçue comme telle d'ailleurs par les nouveaux arrivants? Voilà une autre question à laquelle France Boucher n'a pas apporté de réponse.
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