HISTOIRE

Les pensionnats autochtones : deux mondes et deux histoires différentes

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Chiffres à l’appui

24 juillet 2022


Après avoir commencé à déposséder les Premières Nations de vastes territoires dès la fin du 18ème siècle, le Haut-Canada (l’Ontario) ne tarde pas à procéder à leur assimilation. En vertu de « traités » – escroqueries serait un mot plus juste – par lesquels elles s’approprient à vil prix d’immenses étendues, d’immenses richesses, les autorités coloniales britanniques doivent pourvoir à l’instruction des enfants autochtones.


La responsabilité de leur éducation fait partie intégrante des ententes et à cette fin les autorités doivent financer la construction d’écoles, le salaire des enseignants et un per capita pour chaque élève. (Goulet 2016) Apparaissent ainsi dans le Canada anglais dès les années 1830 les premiers pensionnats (Mohawk Institute, Brantford, Ontario, 1831) qui relèveront du gouvernement canadiAn après la création de la Dominion of Canada en 1867. Le régime des pensionnats autochtones, dont le fonctionnement de la plupart sera assuré par la collaboration de différentes Églises (anglicane, baptiste, catholique, mennonite, méthodiste, presbytérienne et unie) durera jusque dans les années 1990 (Gordon Indian Residential School, Punnichy, Saskatchewan, 1996). Ce sont 139 pensionnats qui ont officiellement été répertoriés par le Canada, dont 12 au Québec, où 4 seulement auront été francophones : Fort George (aujourd’hui Chisasibi, 1930 à 1980, francophone à compter de 1967), Sept-Îles (Malioténam, 1952 à 1971), Amos (Saint-Marc-de-Figuery, 1955 à 1973) et Pointe-Bleue (Mashteuiatsh, 1960 à 1973). Notons que le La Tuque Indian Residential School qui opéra de 1963 à 1978 était une école anglicane anglophone qui passa sous administration fédérale non confessionnelle à compter de 1969. Il ne s’y donna un enseignement en français que dans ses toutes dernières années d’opération. En fin de compte, plus de 150 000 enfants autochtones (Bousquet 2018) auront fréquenté les pensionnats au Canada, dont environ 5000 dans les pensionnats francophones du Québec.


Durant une centaine d’années, il n’y eut donc pas de pensionnats autochtones au Québec, son territoire n’ayant pas fait l’objet de traités avec les Premières Nations. La situation change à compter de 1920 lorsque la loi fédérale sur les Indiens rend l’école obligatoire pour tous les enfants autochtones de 7 à 15 ans. Les quatre pensionnats catholiques et francophones du Québec s’implantent tardivement et durent peu. Ils sont tous les quatre administrés par les pères oblats de Marie-Immaculée dont le mandat explicite dès 1841 est d’œuvrer auprès des citoyens les plus pauvres, notamment les Autochtones. Les oblats se présenteront bientôt « comme les seuls derniers défenseurs du mode de vie traditionnel des Indiens ». À cet égard, ils seront continuellement en porte-à-faux avec l’administration fédérale canadienne qui, elle, prône l’assimilation pure et simple de tous les Autochtones dans les meilleurs délais. Voyons ce que l’on peut trouver à propos de la mission des oblats dans le récent ouvrage de l’historien Henri Goulet, Histoire des pensionnats indiens catholiques au Québec :


« […] leur travail se distingue des Églises protestantes qui, de leur côté, sont moins réticentes à l’idée de l’assimilation des Indiens à la société dominante canadienne anglaise, surtout à une époque où le « britannisme » domine dans le Dominion du Canada. Les oblats cherchent plutôt à maintenir une certaine distance entre les Indiens et les Blancs. Ils considèrent que le contact entre les deux civilisations est néfaste pour les Indiens, d’où leur insistance pour obtenir des écoles et des hôpitaux confessionnels séparés.


Les pères missionnaires doivent apprendre les langues indiennes, ils doivent pouvoir transmettre leurs croyances religieuses dans les langues autochtones et, dans la mesure du possible, produire des manuels d’instruction dans leurs langues.


Ainsi, on peut formuler l’hypothèse que les oblats, dans une moindre mesure que les Églises protestantes et anglophones, se montrent toujours plus réticents au projet d’assimilation des Indiens à la culture dominante tel que l’envisage le département des Affaires indiennes.


Nous laisserons donc à l’Indien l’usage de sa langue maternelle ; nous l’encouragerons à s’en servir. C’est un principe de droit naturel. C’est aussi une force non négligeable pour le missionnaire qui sait s’en servir, pour l’éducation. »


Par contraste, comment s'y est pris ce régime d'assimilation au Canada anglais ? Il s’est agi simplement de tuer l'Indien au coeur de l'enfant (to « kill the Indian in the child », expression empruntée par l’administration canadienne à un officier militaire étatsunien). Voyons comment s’exprimait encore en 1907 le chef des missions de la Methodist Mission Society de l’Église méthodiste du Manitoba : « Cette race misérable est vouée à l’extinction, et la main de la Providence intervient afin de confier à des êtres plus méritants ce pays magnifique et fertile. » Par force de loi même, on a donc séparé de leurs parents, tantôt violemment, les jeunes Autochtones, parfois dès l'âge de trois ans. Puis, dans ces pensionnats, on les a empêchés de parler leur langue. On les a empêchés de se référer à leur culture. Ils ont souvent été négligés, même abusés. Ils sont nombreux dans ces pensionnats à avoir subi des sévices physiques, sexuels ou psychologiques. Plusieurs sont morts dans ces pensionnats, certains dont la famille ne connaît même pas encore aujourd'hui le lieu de sépulture. Ce seraient plus de 4300 enfants qui seraient morts dans les pensionnats autochtones des Canadas depuis 1831. Seulement pour les années 1867 à 1996, le rapport déposé en décembre 2015 par la Commission de vérité et de réconciliation du Canada fait état de 3125 enfants qui sont morts de tuberculose, de malnutrition et d’autres maladies résultant de conditions de vie pitoyables… dont 38 (trente-huit) dans les douze pensionnats du Québec.


On notera par ailleurs que les présumées découvertes en mai et en juin 2021 de dépouilles supplémentaires sur les sites des anciens pensionnats autochtones de Kamloops (1890-1977) et de Marieval (1898-1997) dans l’Ouest canadien n’ont toujours pas été vérifiées et pourraient s’avérer fausses selon ce que rapportait en janvier 2022 le journal The Dorchester Review.


C'est ainsi que ces institutions britanniques puis canadiAn, dûment établies par une loi fédérale, ont décimé les familles autochtones du Canada et ont procédé à leur génocide culturel (ethnocide), selon l’accusation même, en 2015, de la juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverly McLachlin.

 





























Les 139 pensionnats autochtones aux Canadas

et au Québec



Anglophones



Francophones



135 dont 8 au Québec



4 au Québec



sur 165 ans, de 1831 à 1996



sur 28 ans, de 1952 à 1980



145 000 enfants



5 000 enfants



4 134 décès



14 décès sur 38 en tout au Québec