Les ratés de la guerre aux talibans

Washington et l'OTAN à couteaux tirés

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Afghanistan - une guerre masquée


L'Afghanistan où sont déployés quelque 2000 soldats québécois, a de nombreux défis à relever, notamment dans les domaines des droits de la personne, du développement démocratique et de la bonne gouvernance. (Photo PC)

David Rohde

David E. Sanger
The New York Times
En Afghanistan, La guerre aux talibans «va mal». C'est la conclusion à laquelle en est venu le New York Times, au terme d'une longue enquête publiée dimanche dont nous proposons des extraits. Le constat n'est pas différent ici.

Un document confidentiel pour l'année 2006, préparé par les fonctionnaires fédéraux, obtenu par La Presse, brosse un portrait sombre de la situation, au moment même où Ottawa vient d'y déployer quelque 2000 soldats québécois. le gouvernement harper soutient pour sa part que des progrès ont été réalisés en 2007.
Deux ans après la chute des talibans aux mains d'une coalition dirigée par les États-Unis, un groupe d'ambassadeurs des pays de l'OTAN a atterri à Kaboul pour examiner ce qui semblait être un triomphe.
On parlait alors d'un nouveau départ pour un pays déchiré par des années de guerre avec les Soviétiques et de répression brutale de la part de fondamentalistes religieux.
Menés par un diplomate américain d'expérience, R. Nicholas Burns, ils ont parcouru le pays à bord d'hélicoptères Black Hawk, sans craindre pour leur sécurité. Ils se sont promenés nonchalamment dans les rues tranquilles de Kandahar et ont bu du thé à petites gorgées avec des chefs tribaux.
Lors d'un briefing du commandement central américain, on leur a dit que les talibans étaient dorénavant «à bout de forces».
«Certains d'entre nous disaient: pas si vite', se souvient M. Burns, actuel sous-secrétaire d'État aux affaires politiques. Plusieurs parmi nous estimaient que même si les talibans ne représentaient plus une menace stratégique, ils étaient trop imbriqués dans la société afghane pour simplement disparaître.»
Ce scepticisme n'a cependant jamais fait son chemin à Washington. Depuis le début de la guerre en 2001, les agences américaines du renseignement ont rapporté que les talibans étaient décimés de façon telle qu'ils n'étaient plus une menace. C'est ce qu'affirment deux responsables du renseignement qui ont eu accès aux rapports.
Le sentiment de victoire était si fort que les meilleurs spécialistes de la CIA et les unités des forces spéciales ayant contribué à libérer l'Afghanistan avaient, depuis longtemps, mis l'accent sur la prochaine guerre. En Irak.
Ces importantes erreurs de calcul font partie d'une série d'estimations et de décisions qui ont contribué à faire dévier de sa route ce que plusieurs dans l'armée américaine qualifiaient de «bonne guerre».
Les talibans, à l'exemple d'Oussama ben Laden et de ses adjoints, ont trouvé refuge au Pakistan et se sont regroupés pendant que l'attention des Américains vacillait. Les combattants talibans se sont ensuite infiltrés en Afghanistan, provoquant au printemps dernier une hausse d'au moins 25% du nombre d'attaques suicide et d'attentats à l'explosif sur les routes. Et forçant l'OTAN et les troupes américaines à mener des batailles pour reprendre des villages jadis libérés dans le sud du pays.
Le président afghan en difficulté, Hamid Karzaï, a dit à Washington, la semaine dernière, que la sécurité dans son pays s'est «détériorée de façon définitive».
Les critiques du président George W. Bush soutiennent depuis longtemps que la guerre en Irak a amoindri l'effort américain en Afghanistan. Ce que l'administration a nié. Mais l'examen de l'application de la politique de l'administration Bush révèle un large fossé entre la façon dont on a dit procéder en Afghanistan et une série de décisions qui ont parfois semblé reléguer le pays au second plan alors que l'Irak se désagrégeait.
Les déclarations de la Maison-Blanche en soutien à l'Afghanistan, incluant celles du président, ont été fermes. Mais l'engagement pour résoudre les nombreux problèmes du pays a été boiteux et a parfois été pris à contrecoeur, révèlent des dizaines d'entrevues effectuées aux États-Unis, au quartier général de l'OTAN à Bruxelles ainsi qu'à Kaboul, capitale afghane.
À des moments critiques de la lutte pour l'Afghanistan, l'administration Bush a détourné vers l'Irak des ressources limitées en matière de renseignement et de reconstruction. Incluant des unités d'élite de la CIA et des forces spéciales impliquées dans la traque des terroristes. Aussitôt sortis des chaînes de montage aux États-Unis, les avions espions Predator ont pour leur part été expédiés en Irak, compromettant la recherche des talibans et des leaders terroristes, ont expliqué des responsables du renseignement et du Pentagone.
Le secrétaire à la Défense d'alors, Donald Rumsfeld, s'est targué d'avoir renversé les talibans avec des forces légères et expéditives. Mais il n'avait pas prévu qu'il faudrait plus de troupes après la chute du gouvernement. Une erreur qui laissait présager les problèmes des États-Unis en Irak.
M. Rumsfeld a bloqué une proposition faite dès le départ pour l'envoi d'une imposante force internationale par le secrétaire d'État d'alors, Colin Powell, et par M. Karzaï, le président choisi par l'administration.
De grands objectifs furent par ailleurs annoncés pour ce qui est de la reconstruction. De grands projets furent identifiés. Mais en 2002, année où M. Bush a promis un «plan Marshall» pour l'Afghanistan, le pays a reçu un aide financière par habitant moins élevée qu'en Bosnie et au Kosovo après la guerre, ou même qu'en Haïti, selon une étude de la Rand Corporation. Washington a consacré en moyenne 3,4 milliards US par année à la reconstruction en Afghanistan, soit moins de la moitié de ce qui a été dépensé en Irak, indique le service de recherche du Congrès.
La Maison-Blanche réplique que le nombre de soldats en Afghanistan a augmenté lorsque le besoin s'est fait sentir et qu'il s'élève maintenant à 23 500. Mais un commandant au Pentagone a dit que ce nombre a grimpé l'an dernier, mais qu'il a été surpris de découvrir qu'il pouvait «compter sur les doigts d'une ou deux mains» le nombre d'experts en agriculture du gouvernement américain en Afghanistan. Un pays où 80% de l'économie est liée à l'agriculture.
Plusieurs de ces décisions ont été influencées par la vision tendancieuse qu'avaient les Américains de la réalité sur le terrain, disent les responsables. «La perception était que les Afghans détestaient les étrangers alors que nous serions les bienvenus en Irak, a dit James Dobbins, l'envoyé spécial de l'administration en Afghanistan. C'est l'inverse qui s'est produit.»
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Washington et l'OTAN à couteaux tirés
David Rohde

David E. Sanger
The New York Times
L'OTAN a pris les rênes des opérations militaires en Afghanistan en juillet 2006. Pour les Américains et les Européens, cette organisation représente l'alliance victorieuse de la guerre froide, mais pour les Afghans, il s'agit plutôt d'un nouvel acronyme un peu bizarre. Et aujourd'hui, l'OTAN et les Américains ne s'entendent pas sur la stratégie à adopter.


Les dissensions apparaissent évidentes sur le mur du bureau du général Dan K. McNeill, commandant des 35 000 soldats de l'OTAN en Afghanistan. Une carte ressemblant à une mer de blocs jaunes et rouges montre les restrictions des groupes de soldats.
Les blocs rouges représentent des missions que certains pays n'accompliront pas, comme pourchasser des talibans ou des membres d'Al-Qaeda. Les blocs jaunes représentent des missions qu'ils pourraient envisager, après avoir sollicité la permission de leurs gouvernements respectifs.
À Washington, les dirigeants déplorent que des pays de l'OTAN refusent de prendre le risque d'engager leurs troupes dans des affrontements avec les talibans. Les leaders européens accusent pour leur part les États-Unis de délaisser la reconstruction et de mener des attaques aériennes meurtrières parmi les civils, alimentant l'acrimonie des Afghans envers les pays occidentaux.
James L. Jones, général américain à la retraite et ancien commandant suprême des forces alliées en Europe, estime que l'Irak déconcentre les Américains en Afghanistan. Selon lui, les conséquences d'un échec en Afghanistan seront aussi graves qu'en Irak. «Symboliquement, il s'agit davantage d'un épicentre du terrorisme que l'Irak, fait-il valoir. Si nous échouons en Afghanistan, nous enverrons le message très clair aux organisations terroristes que les États-Unis, les Nations unies et les 37 pays présents sur le terrain peuvent être défaits.»


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