Les visages du gaz de schiste

Chronique de Louis Lapointe

Il y a de cela 18 ans, en juin 1992, j’ai été nommé directeur du centre universitaire de Vald’or. La première personne que j’ai rencontrée dans le cadre de mon nouveau mandat fut le président de la Corporation de l’enseignement supérieur, Oriel Riopel, un influent organisateur libéral. Le dentiste Pierre Corbeil* lui succéda quelques mois plus tard.
Oriel Riopel m’avait alors suggéré de rencontrer le député et ministre libéral de la région, Raymond Savoie. Une rencontre s’organisa donc rapidement avec le ministre. Fidèle à moi-même, je me permis de lui poser une longue question fleuve.
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Comment se fait-il que l’Île-du-Prince-Édouard, une province dont la population est la même que celle de l’Abitibi-Témiscamingue et qui ne produit que des pommes de terre, a un pont de 1.3 milliard de dollars qui la relie à la terre ferme, alors que l’Abitibi-Témiscamingue, une région qui regorge de richesses et qui fait toujours la fortune de nombreuses compagnies forestières et minières, n’est pas capable de s’offrir une route nationale sécuritaire entre ses deux principales villes, Rouyn-Noranda et Vald’or, le tracé de cette route de 110 km, la 117, qui est le même depuis plus de 50 ans, n’offre que peu de zones de dépassement, alors que des fardiers chargés de bois et de minerais qui y transitent, 24 heures sur 24, défoncent allègrement cette route et tuent régulièrement des automobilistes ?
Une réponse étonnante ne se fit pas attendre. «Parce que nous sommes pauvres, Louis. Nous sommes tellement pauvres que notre premier ministre, Robert Bourassa, doit constamment rencontrer les agences de cotation pour les rassurer afin qu’elles n’abaissent pas la cote de crédit du Québec.»
Comme il était ministre du Revenu, je lui suggérai alors de prélever des royautés plus substantielles auprès de ces compagnies qui exploitaient nos richesses naturelles, probablement la façon appropriée de résoudre les problèmes de pauvreté de notre région, comme celui de se payer une route digne de ce nom entre Vald’or et Rouyn-Noranda.
Il me répondit du tac au tac que cela était impossible, car cela ferait fuir ces compagnies qui préféreront aller exploiter les ressources bon marché en Amérique du Sud.
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Deux décennies plus tard, Raymond Savoie n’est plus ministre du Revenu et est devenu président de Gastem, une entreprise spécialisée dans l’exploration gazière qui possède des propriétés dans la plaine du St-Laurent.
Maintenant qu’il est dans le secteur privé, je me demande bien ce qu’il répondrait aujourd’hui à la même question que je lui ai posée il y a 18 ans concernant le tracé de la route 117 entre Rouyn-Noranda et Vald’or qui est toujours le même, la richesse du Québec et le peu de royautés que nous versent les compagnies qui exploitent nos richesses naturelles.
Probablement que les compagnies minières et gazières exploitent les ressources du Québec parce qu’elles sont moins chères que partout ailleurs au monde ! Pourquoi pas des crédits à l’investissement et des déductions d’impôt, tant qu’à y être ?
Si les régions du Québec sont si pauvres aujourd’hui et peuvent difficilement obtenir les infrastructures dont elles ont besoin, c’est parce que le gouvernement du Québec donne leurs richesses à des compagnies qui ne laissent que désolation** et pauvreté derrière elles, lorsqu’elles ferment boutique. Tout le monde sait ça au Québec.
C’est pour ça que les Québécois veulent des garanties avant de s’embarquer dans l’aventure des gaz de schistes. Ils veulent un maximum de retombées économiques pour un minimum de risques écologiques. Ce que les compagnies gazières ne veulent surtout pas leur promettre, puisque c’est exactement le contraire qu’elles recherchent, un maximum de profits pour un minimum d’investissement.
Allez voir le trou à l’entrée de la ville de Vald’or. C’est une fille bien de chez nous, remplie de bonnes intentions, Claire Derome, mon ancienne voisine, qui l’a creusé. Sa mine a fait l’objet d’une cession, elle a quitté la région et le trou que sa mine a creusé n’est toujours pas rempli.
Ce n’est pas parce que les visages du gaz, ceux des Caillé et Savoie, sont d’ici, que cela suffira à rassurer la population du Québec. Il faudra plus que de bonnes intentions et de beaux discours d’André Caillé pour calmer la grogne populaire. Il faudra des garanties financières et environnementales ainsi que des retombées substantielles pour les régions, les laissant plus riches que pauvres lorsque ces compagnies les quitteront !

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*Pierre Corbeil, le choix des Cris ?
**Le fond du baril

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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