Lettre à ma première ministre

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Et si elle était sourde ? Pire, si elle ne voulait pas nous entendre ?

Madame la première ministre,
Le 11 mai 2012, en pleine crise sociale, j'écrivais ici même une lettre au premier ministre Charrette dans laquelle je déplorais son aveuglement, son entêtement et son refus de dialoguer avec les organisations étudiantes. Et j'y allais d'un vœu : qu'il ne soit pas réélu aux prochaines élections.
Je m'adresse maintenant à vous, pour qui j'ai voté. Vous avez été, pendant un temps, du côté des étudiants, vous avez arboré le carré rouge et frappé des casseroles. Cela vous a mérité les sarcasmes de vos collègues de l'opposition mais aussi des votes et des appuis. J'ai loué votre courage et votre ouverture.
Comme vous le savez sans doute, une bonne partie des jeunes en colère n'ont malheureusement pas cru en vos promesses, malgré votre promesse de régler la crise étudiante, et ils ont préféré voter pour d'autres formations politiques comme Québec solidaire ou Option nationale, ou encore ils se sont abstenus de voter parce qu'ils ont perdu confiance en ce système qui laisse peu ou pas de place à la dissidence, à la tolérance, aux rêves et aux grands projets de société.
Ces jeunes indignés, nos enfants ou les enfants de nos amis, ont recommencé à manifester dans la rue et ils pensent que leur mouvement va retrouver, à la longue, l'ampleur populaire qu'il avait obtenue l'an dernier à pareille date. Ils sont patients, ils sont pleins d'énergie et ont la foi des bâtisseurs. Vous avez lu le texte émouvant de Maxence L. Valade, celui qui a perdu un œil à Victoriaville : « C'est la dynamique d'amour-rage ; tu milites pour une communauté d'appartenance, pour une solidarité, et c'est là que tu te reconnais. Je vais lutter toute ma vie. Je ne vois pas comment il peut en être autrement. »
La police a décidé d'appliquer à la lettre le fameux règlement P6, en procédant à des arrestations massives et en leur servant des amendes abusives de plus de six cents dollars. Cette façon d'agir de la part d'un corps policier qui a perdu la confiance d'un grand nombre de citoyens risque d'être l'étincelle qui va mettre le feu aux poudres. Des milliers de personnes songent actuellement à enfreindre ce règlement de différentes façons, par des actions de désobéissance civile, entre autres. Au printemps 2012, la crise étudiante s'est rapidement transformée en crise sociale, parce que le gouvernement libéral s'est montré intraitable dans ses négociations avec les associations étudiantes. La population s'est mobilisée et a pris partie contre l'injustice, contre la violence policière et contre l'arbitraire. Nous étions tous des « désobéissants ».
La situation actuelle risque de nouveau de dégénérer en conflit social si vous n'intervenez pas pour abolir ce règlement stupide et ordonner une enquête publique sur les violences et les abus commis par les forces policières durant les manifestations de l'année dernière et celles de cette année. La ligue des droits et libertés, l'Association des juristes progressistes, le Barreau du Québec, pour ne nommer que ces trois organismes, se sont prononcés contre ce règlement et exigent une telle enquête. Le regroupement des mères en colère, que je compare aux Mères de la Plaza de Mayo, en Argentine, en raison de leur pugnacité, le réclame aussi. Et nous sommes de plus en plus nombreux à craindre la police, à ne plus avoir confiance en cette force armée censée nous protéger mais qui, en réalité, profite du vide de pouvoir à l'Hôtel de ville et de votre accord tacite pour arrêter massivement de simples citoyens désireux d'exprimer de façon démocratique leur dissidence, pour les terroriser, les bousculer, les frapper.
Bientôt, les cours municipales seront engorgées par des procédures de toutes sortes, car personne ne voudra payer ces amendes. Qu'allez-vous faire? Jeter tout ce monde en prison (ils sont plus de 600 à ce jour)? Les obliger à faire des travaux communautaires? Saisir leurs maigres biens? Et si nous étions demain des milliers à manifester sans aucun document pour nous identifier? La police va-t-elle nous traîner en cour pour nous obliger à nous identifier devant un juge? Vous imaginez ce que cela pourrait coûter?
Madame Marois, je veux un pays, c'est le combat de ma vie, et le Parti québécois me semble aujourd'hui le seul canal qui peut me mener à bon port. Ne nous décevez pas, moi et des milliers d'autres, car ce serait revenir en arrière. Abrogez cette loi P6 et ordonnez, s'il vous plaît, une enquête impartiale sur le comportement des corps policiers durant le printemps érable. Vous aurez alors l'avenir avec vous, des milliers de jeunes qui auront retrouvé confiance en l'action politique et qui marcheront à vos côtés pour faire du Québec notre seul pays, un pays de justice, de joie et d'amour.


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