Lettre ouverte à Louis XIV pour le tricentenaire de sa mort

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Le vrai portrait du père de Versailles et de la Nouvelle-France

Cher Louis XIV,
Peut-être avez-vous été un peu contrarié de la manière dont la télévision a parlé de vous en ce premier septembre 2015. Bien sûr il y eut de magnifiques photos de Versailles mais, comme vous avez pu le constater, « La 2 » vous a fait passer une fois de plus pour un despote à la fois léger et cruel. Elle s’est complue a évoqué l’homosexualité de votre frère, vos maîtresses, la licence des mœurs à la cour, les dragonnades, votre fistule mal placée, la gangrène de votre jambe.
Elle a même déclaré péremptoirement que aviez inventé la perruque car vous étiez chauve (ce qui est complètement faux : votre père en portait déjà une et lança la mode en 1620 !). Comme cadeau d’anniversaire, c’était plutôt raté !
Ce n’est tout de même pas pour votre fistule que l’Europe entière a eu les yeux tournés vers vous, que l’empereur de Chine Kangxi essaya de vous ressembler en portant une perruque comme la vôtre, que votre siècle fut appelé « le Grand Siècle », qu’il fut même appelé « le Siècle des Saints » (il faut dire que saint Vincent de Paul vous avait précédé !).
Et si les ambassadeurs du Siam se sont prosternés devant vous, ce ne fût tout de même pas pour voir de plus près votre pied gangréné ! Votre règne avait été le plus brillant du monde ! Trois princes seulement en Europe ont été qualifiés de « Grand » : vous, Louis de Bourbon mort en 1342 et Louis 1er de Hongrie mort en 1382.
Vous aviez rendu à la France son rang et, lorsqu’on annonça votre mort à la cour de Frédéric 1er, roi de Prusse il fut seulement dit : « Le Roi est mort ». Tout le monde comprit qu’il s’agissait de vous et pas d’un autre roi. Vous les aviez tous éclipsés.
Pour vous consoler un peu, cher Louis XIV, permettez-moi donc de vous dire que beaucoup en France ont appris à vous aimer grâce à de nouveaux et très bons historiens.
Certes, vous avez un peu trop vite déclaré la révocation de l’Édit de Nantes, fait démolir les murs de Port-Royal des Champs mais nous savons que l’homme dur du régime fut Louvois. Les dragonnades c’est lui et lorsque vous avez appris les horreurs qu’il avait commises, vous avez devant lui jeté votre canne par la fenêtre en lui disant : « Autrement, je vous la cassais sur le dos ».
Il est vrai que les exactions ont continué. Mais on oublie de dire dans nos médias que le Midi avait été mis à feu et à sang par les protestants de 1621 à 1629. François Bluche, historien (et protestant !) ne manque pas quant à lui de le rappeler.
Au lieu de donner la parole à Michel de Decker, toujours frétillant de joie lorsqu’il s’agit de raconter les petites bassesses des grands, au lieu de la couper trop vite à l’excellent Jean-Christian Petitfils, la télévision aurait pu rappeler que vous avez mis fin à 40 années de troubles civils.
Vous avez laissé la France plus solide, plus peuplée, mieux armée qu’elle ne l’était au début de votre règne. Vous avez aidé Vauban à construire autour de la France ce qu’il a appelé sa « ceinture de fer ».Vous avez reconstituée une force navale : de neuf vaisseaux de ligne en 1660, il y en eût 220 en 1680 dépassant ainsi de 45 unités la Royal Navy.
La France a pu ainsi mieux se protéger contre « les incursions continuelles des algériens sur les côtes du Languedoc et de la Provence… » car « il n’y avait personne qui n’eut à pleurer un parent massacré, un ami esclave ou une famille ruinée » (Cal Maury).
Vous avez acheté Dunkerque à l’Angleterre ; vous vous êtes emparé facilement de Lille. Vous avez tenu tête à une quadruple alliance contre la France : Espagne, Autriche, Angleterre, Pays-Bas. Bien loin de parader au château de Versailles, vous fûtes un homme de terrain, inspectant les remparts, les bastions, inaugurant des canaux surveillant les travaux.
Pour cet anniversaire, la télé aurait pu citer la lettre que le nonce apostolique écrivit à Rome dès votre décès : « (Louis XIV) avait le talent de gagner le cœur de tous ceux qui avaient l’honneur de l’approcher…grande rapidité pour débrouiller les affaires les plus compliquées… il a fait fleurir l’ordre d’un bon gouvernement et étendu les sciences et les arts à travers tout le royaume ».
Bien sûr, certains diront : c’est un prêtre et un ambassadeur, il se doit d’être indulgent et élogieux. Mais pourquoi alors n’a-t-on pas cité le très anticlérical Voltaire qui, dans son « Siècle de Louis XIV », reconnaît que les amusements de la cour « étaient de perfectionner le goût, la politesse et… de faire des français la nation la plus policée du monde ».
Ce Voltaire qui contribua beaucoup à la Révolution Française, écrit également : « Louis XIV (…) fit voir qu’un roi absolu qui veut le bien, vient à bout de tout sans peine. Il n’avait qu’à commander, et les succès dans l’administration étaient aussi rapides que l’avaient été ses conquêtes. C’était une chose véritablement admirable de voir les ports de mer, auparavant déserts, ruinés, maintenant entourés d’ouvrages qui faisaient leur ornement et leur défense, couverts de navires et de matelots… de nouvelles colonies, protégées par son pavillon, partaient de tous côtés pour l’Amérique ».
À ce propos, bien peu savent que le mot « Louisiane » vient de Louis XIV et que le fleuve Mississippi s’appelait à l’époque « le fleuve Colbert ». Mais si vous avez eu, cher Louis XIV, des comptoirs, jamais vous n’avez voulu la mondialisation. Lorsqu’on vous a proposé être roi dans les Balkans, vous avez refusé (François Bluche).
La télé aurait pu encore citer le Maréchal de Berwick parlant de vous : « Il était l’homme de son royaume le plus poli … depuis la monarchie vous ne trouverez roi plus humain » « Il n’avait de fier en lui que l’apparence… dès qu’on voulait lui parler, son visage se radoucissait et il avait l’art de vous mettre à l’instant en pleine liberté avec lui. »
Elle aurait pu tout simplement vous donner la parole et rappeler les sages recommandations que vous avez écrites à votre petit fils, le roi d’Espagne. Citer aussi vos Mémoires dans lesquelles vous expliquez que, si vous avez pris le soleil pour emblème, c’est par « le bien qu’il fait en tout lieu prodiguant sans cesse de tous côtés la vie, la joie et l’action » ou encore : « C’est par le travail qu’on règne. Il y a de l’ingratitude et de l’audace à l’égard de Dieu, de l’injustice et de la tyrannie à l’égard des hommes de vouloir l’un sans l’autre ».
Certes, l’émission a montré que vous étiez un excellent danseur mais on aurait pu rappeler aussi que, sous votre règne, Pierre Beauchamp a eu l’idée de codifier les pas de danse et que, lorsqu’il s’agit de danse classique, encore de nos jours, on emploie des mots français dans le monde entier. On dit « échappé battu » ou « sauts de chat » à New-York comme à Pékin.
Il ne fallait pas, bien sûr, s’attendre à ce que « La 2 » ait le courage de dire ce que Philippe Erlanger (haut-fonctionnaire et écrivain) a calculé, à savoir qu’en comptant les deux Trianons, sur un demi-siècle, Versailles n’a pas coûté plus cher qu’un porte-avion moderne, qu’il a coûté le prix du déficit de l’exposition universelle de Léon Blum en 1936 ou encore à peu près le prix d’une campagne électorale d’un Président de la République ! Cela aurait été pourtant amusant !
Heureusement, les images parlent mieux que les mots et les contredisent parfois. On a pu se demander, pendant cette émission, pourquoi un roi aussi despotique que vous, entouré parfois à Versailles de 36.000 ouvriers, avait voulu un château sans douve, sans protection avec, au rez-de-chaussée, uniquement des portes-fenêtres. Comment dit-on portes-fenêtres en anglais ? French windows.
On a pu se demander pourquoi un obsédé sexuel avait fait réaliser un jardin qui parle avant tout à l’intelligence jamais aux sens : pas de banquettes pour s’allonger, presque pas de bancs pour s’asseoir, pas de coins d’ombre, pas de salon de verdure pour se mettre à l’abri des regards indiscrets. On s’est demandé surtout comment « La 2 » avait pu dire que la ménagerie de Versailles ressemblait à un phallus alors que les gravures nous la montrent octogonale, entourée de cours en éventail pour les différents animaux.
Pour les jeunes qui n’aiment pas la France car ils ne la connaissent pas, on aurait pu montrer vos côtés anticonformistes. Cela aurait changé un peu ! Leur dire, par exemple que vous fûtes toujours plus passionné par votre jardin que par l’intérieur de votre château. Que, voulant tout comprendre par vous-même, on vous a vu prendre les cisailles du jardinier pour couper des ifs à Versailles, que votre meilleur ami a sans doute été le jardinier André Le Nôtre. Vous le convoquiez tous les matins. Il osait vous embrasser et lorsqu’il fut très âgé, vous l’avez vous-même promené dans sa chaise roulante.
Pourquoi ne parle-t-on jamais de votre amour des enfants ? S’il y a autant de « marmousets » dans le parc de Versailles, c’est sur vos recommandations : vous aviez peur qu’on y mette toujours plus de statues grecques. Nous avons conservé votre lettre disant « je veux de l’enfance répandue partout ».
À l’intérieur du château, c’est vous qui avez demandé pour le « Salon de l’œil de bœuf » une frise représentant des enfants. C’est d’ailleurs en allant voir les vôtres que vous avez fait la connaissance de Mme de Maintenon.
Vous l’avez épousée à l’âge de 45 ans et vous lui êtes resté fidèle jusqu’à votre mort à 77 ans. Elle était pieuse, bigote dit-on à l’encan, mais vous n’avez pas craint d’épouser une femme qui était née à la prison de Niort, son père criblé de dettes y étant emprisonné lors d’une visite de son épouse ; une femme qui eut une jeunesse misérable avant d’épouser le poète grabataire Scarron. Une femme qui, pour gagner un peu d’argent, nourrissait en foin les chevaux de sa riche mais très avare propriétaire et qui a même dû garder des dindons… avant de garder les enfants que votre Majesté a eus de la Montespan !
Si on avait voulu rétablir la vérité et sortir un peu des poncifs on aurait pu dire tellement d’autres anecdotes amusantes qui vous auraient rendu plus familier à tous !
Vous avez été un grand roi peut-être parce que vous avez su écouter et regarder.
Écouter : car tout jeune, Mazarin tenait à vous faire participer au Conseil du Roi. Et vous avez écrit dans vos Mémoires que vous étiez heureux lorsque vous constatiez que les ministres prenaient la décision que vous aviez choisie dans votre petite tête d’enfant. Musicien vous-même, vous avez choisi pour la cour les meilleurs musiciens de votre royaume : Campra, Lully, Delalande qui furent payés sur votre cassette personnelle.
Regarder : car vous aviez un regard extraordinaire, « insoutenable » même a-t-on pu dire. Vous saviez voir avant les autres une erreur sur un champ de bataille, un défaut dans une statue, une dissymétrie dans les fenêtres du Grand Trianon ou dans la hauteur d’un jet d’eau autant les grands génies de votre époque.
Cher Louis XIV, merci pour la beauté que vous avez donnée à la France dans tous les domaines. Merci de nous avoir rendus fiers de notre pays. Vous saviez sans doute qu’aucune civilisation ne se détruit du dehors sans s’être détruite de l’intérieur. Et vous auriez approuvé la philosophe Simone Weil (1909-1943) : « De remède, il n’y en a qu’un : " donner quelque chose à aimer aux Français et leur donner d’abord à aimer la France ". Et elle continue : " Leur faire concevoir le nom de France d’une façon telle qu’elle puisse être aimée avec toute l’âme " ».
Veuillez agréer, cher Louis XIV, l’expression de ma respectueuse admiration.


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