CHARTE DE LA LAÏCITÉ

Lucien Bouchard a tort

Guy Rocher a eu raison de défendre la théorie des droits acquis, dit l’ancien ministre de la Justice

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Brutus Diplodocus se fait servir une leçon de droit par son ancien ministre de la Justice

Dans La Presse du 28 janvier, l’ancien premier ministre Lucien Bouchard évoque le fait qu’il a suivi en 1959 et 1960 les cours de sociologie du professeur Guy Rocher qu’il qualifie, dans un premier temps, d’esprit cartésien, doté d’une grande intégrité intellectuelle, riche de science et de talent…, avant d’essayer, dans un deuxième temps, de le tourner en bourrique. D’abord les fleurs… séchées, le pot ensuite !

Et pourtant ! Je crois que M. Bouchard pèche lourdement et exactement là où il reproche à M. Rocher de se tromper. M. Rocher, lui, ne se trompe pas !

Voyons voir.

Dans sa présentation devant la Commission parlementaire, M. Rocher s’est déclaré entièrement d’accord avec le projet de loi 60 sur l’interdiction du port de signes religieux par tous les agents et représentants de l’État.

Mais quelle horreur ! Il ose se demander si ceux et celles qui portaient un tel signe, à la date du dépôt du projet de loi 60, ne pourraient pas bénéficier d’un « droit acquis » à le porter malgré la loi jusqu’à ce que, de leur propre chef, ils cessent de le porter ou qu’ils quittent leur emploi. En somme, M. Rocher a proposé que le gouvernement introduise dans son projet de loi une mesure de transition en ce sens.

Selon M. Bouchard, en faisant une telle proposition, M. Rocher démontrerait qu’il est paniqué par les conclusions de sa logique et qu’il « chercher[ait] donc une échappatoire qu’il trouve[rait] du côté des atermoiements ». (Mots pas très gentils pour son ancien prof…)

Bon négociateur

Pourtant, ce qu’a avancé M. Rocher devant la Commission parlementaire est de la nature d’une proposition que tout bon négociateur de conventions collectives qui se respecte et tout avocat pratiquant en droit public connaissent, appliquent et respectent. On peut l’appeler la théorie des droits acquis. Cette théorie se pratique tous les jours, depuis des années et dans de nombreux domaines. (Elle ne s’impose pas toujours, mais elle est souvent utile.)

Alors, M. Bouchard, si l’on regardait du côté des leçons de la « logique pure » ou de la « stricte logique » que vous avez retenues du professeur Rocher ?

Dans l’avant-dernier paragraphe de votre lettre, vous proposez au législateur de « se limiter à les exclure chez les représentants de l’État exerçant un pouvoir de coercition ». Ce « les » signifie évidemment les signes religieux ostentatoires (mes soulignements).

Que vous le vouliez ou non, cette phrase signifie que vous reconnaissez que le port d’un signe religieux ostentatoire constitue du prosélytisme religieux passif. Là-dessus, vous êtes donc d’accord avec votre professeur Rocher.

De la lecture de cette même phrase, on peut conclure également que vous considérez qu’il est légitime et raisonnable, au sens des chartes, d’interdire le port de signes religieux ostentatoires. Encore une fois, vous êtes d’accord avec votre ancien « maître ».

Cette phrase signifie finalement que vous reconnaissez que les personnes exerçant un pouvoir de coercition (personnes en autorité) sont des agents et des représentants de l’État… à qui l’État peut demander qu’ils apparaissent neutres religieusement. C’est ce que propose le projet de loi 60 avec lequel le professeur Rocher est d’accord. Encore un point d’entente entre vous !

(Soit dit en passant, devons-nous comprendre de ce même passage de votre lettre que — comme le Parti libéral du Québec — vous interdiriez le port du tchador, de la burqa et du niqab chez les agents ou représentants de l’État même s’ils ne sont pas en autorité ? Ou devons-nous conclure que, selon vous, les personnes portant ces vêtements qui rabaissent les femmes au niveau des non-personnes soumises à la loi du mâle auraient le droit de les porter ?)

Cette même phrase vous oblige à faire une pirouette silencieuse et acrobatique afin de tenter de justifier pour quelle raison, si l’État doit être neutre et qu’il doit y avoir une véritable séparation des Églises et de l’État, les agents et représentants de l’État, autres que ceux en autorité, pourraient continuer à porter des signes religieux ostentatoires.

M. Bouchard, vous vous moquez du professeur Rocher qui propose la théorie des droits acquis, théorie qui n’a rien de farfelu dans notre système de droit et qui s’applique tous les jours pour adoucir les effets de certaines législations nécessaires.

Outre votre ironie, tout ce que vous avez à proposer, M. Bouchard, c’est de mettre de côté la logique d’une application générale de la laïcité, de la séparation des Églises et de l’État, pour la remplacer par un souhait, un voeu pieux, un voeu creux, celui « de fonder notre avenir commun sur l’union des esprits ». Est-ce un vieux concept sociologique oublié ? En tous les cas, je n’y vois rien qui ressemblerait de près ou de loin à un concept juridique. Même si je n’ai pas l’honneur de le connaître personnellement, je ne suis pas sûr que le « maître » a apprécié la copie de son élève.
Paul Bégin - Ancien ministre de la Justice sous Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry


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