Lucien Cerise, chercheur en ingénierie sociale, répond aux questions d’Observateur Continental sur l’OTAN à l’occasion de la nouvelle édition de son livre sur la guerre hybride de l’OTAN en Ukraine (« Ukraine, la guerre hybride de l’OTAN »), dont une première édition était parue en 2017 sous le titre « Retour sur Maidan – La guerre hybride de l’OTAN ».
Comment évaluez-vous les différences de la guerre hybride de l’OTAN entre 2017 et aujourd’hui en Ukraine ?
Lucien Cerise : L’armée russe a décidé de déplacer les termes du débat en lançant une opération conventionnelle, symétrique, à découvert, donc en mettant fin à la guerre hybride de l’OTAN en Ukraine. La guerre hybride repose essentiellement sur des forces de procuration, ou « proxies », paramilitaires et terroristes, des fausses révolutions, ou « révolutions colorées », qui sont de vrais coups d’État, des armes non-conventionnelles, biologiques ou autres, la furtivité, la ruse, le secret, le mensonge, la complicité des médias et la militarisation des civils, parfois à leur insu. L’armée russe a décidé de mettre un terme à cette forme de guerre sournoise et indirecte lancée en Ukraine depuis 2013 et la révolution colorée de l’EuroMaïdan. De son côté, l’OTAN continue les manigances, avec des mises en scène morbides comme à Boutcha ou sur l’Île des serpents, et l’utilisation de civils comme boucliers humains ou « acteurs de crise ».
Que marque l’intervention russe en Ukraine pour la mondialisation sur l’échiquier géopolitique ?
L’Occident n’est plus au centre de l’échiquier. Une page de l’histoire mondiale se tourne. L’OTAN ne fait plus peur, car on voit ses faibles capacités réelles face à une armée sérieuse. Georges Bush sr avait annoncé en 1992 l’avènement du nouvel ordre mondial après la chute de l’URSS. Cette parenthèse aura duré une trentaine d’années.
Pourquoi les médias occidentaux demandent-ils aux Français de soutenir l’Ukraine ?
Les médias occidentaux sont militarisés pour mener des opérations psychologiques à destination du grand public. Les réseaux d’action clandestine de l’OTAN – ce qu’on appelait naguère les réseaux Gladio – intègrent deux types d’agents opérationnels : sur le terrain, ce sont les paramilitaires et les terroristes (Daech, al-Qaïda, régiment Azov, etc.), et dans les médias, ce sont des réseaux d’agents dormants civils, journalistes et experts de plateaux TV, dont la mission est de soutenir le moral des troupes, donc de créer du soutien populaire pour les paramilitaires et les terroristes en les présentant comme des victimes. En Syrie, les médias nous demandaient de soutenir des islamistes, renommés « rebelles modérés ». En Ukraine, les médias essayent de créer de l’empathie pour les groupes de combat néo-nazis, en minimisant leurs références à Hitler et au 3e Reich. Les Spin Doctors de l’OTAN, comme un certain Jamie Shea, qui s’était illustré dans les années 1990 pour retourner l’opinion publique occidentale en faveur des bombardements sur l’ex-Yougoslavie, sont toujours à la manœuvre pour faire accepter à des populations gavées de droits de l’homme de tuer des civils sans raison. Les médias font donc partie du dispositif militaire de fabrication du consentement des Occidentaux à la guerre, mais aussi à l’économie de guerre qui en dérive. Il faut faire accepter les privations et les rationnements. L’intervention russe en Ukraine n’est qu’un prétexte. Avant le 24 février 2022, le Storytelling, la construction par le récit médiatique de la perception de la réalité des masses (Reality-Building) rendaient la « crise sanitaire » responsable de la « crise alimentaire » et de la « crise énergétique » à venir. Maintenant, c’est la Russie. Le changement s’est opéré en quelques jours. N’importe quoi peut être rendu responsable de n’importe quoi. Le langage est plastique et permet d’inventer de nouvelles relations de cause à effet, peu importe qu’elles soient arbitraires et fictives. Nous sommes dans la post-vérité et la post-réalité. Les faits matériels et objectifs ne comptent pas, ils ont disparu et sont remplacés par une narration subjective des événements, celle du pouvoir, qui s’impose dans les subjectivités cibles du grand public car elle sait toucher les points sensibles de l’inconscient collectif, le plus souvent en inversant l’agresseur et l’agressé pour attribuer à l’OTAN la place du sauveur qui va s’interposer et légitimer ainsi ses opérations d’ingérence étrangère.
Comment qualifier le heurt actuel entre l’Occident et la Russie ?
C’est le vrai choc des civilisations. Ou plus exactement le choc entre ce qui reste de la civilisation occidentale, en cours d’effondrement et qui essaye d’entraîner le monde entier avec elle, et la Russie, qui forme une civilisation à part entière et qui ne veut pas disparaître. Plus largement, dans les termes de Jean Baudrillard, c’est un choc entre le réel, incarné par la Russie et ses alliés, et le virtuel, l’empire du mensonge, comme Poutine a qualifié l’Occident. Heureusement, le régime de Bruxelles est une idiocratie suicidaire, dirigée par des malades mentaux et des débiles légers, et elle participe donc activement à sa propre destruction.
Est-ce que l’OTAN est plus qu’une alliance politique et militaire ?
L’OTAN n’est pas qu’une alliance militaire à caractère technique, elle a un objectif politique que son secrétaire général, Jens Stoltenberg, a décrit lui-même à plusieurs reprises comme la protection de la société ouverte, dont les deux piliers sont l’immigration de remplacement et le LGBT (« Our free and open societies must be protected »). L’OTAN peut donc être considérée comme le bras armé de George Soros et de son programme mondialiste.
Peut-on affirmer que l’OTAN menace la France et la civilisation occidentale ?
L’OTAN est une organisation militaire et considère que ses valeurs – société ouverte, diversité inclusive, dictature des minorités, etc. – peuvent être imposées par la guerre, s’il le faut, comme on le voit en Ukraine depuis 2013, et comme cela était prévu pour la Russie à moyen terme. L’OTAN menace donc la France, la civilisation occidentale, et toute forme de civilisation. Plus largement, c’est le régime euro-atlantiste de Bruxelles qui menace le monde, car l’Union européenne aussi, c’est la guerre. Petro Porochenko, le président ukrainien issu du putsch de 2014, le reconnaissait quand il évoquait la duplicité ukrainienne sur les accords de Minsk, qui devaient rétablir la paix, mais qui ont, en fait, servi à préparer la guerre et… l’entrée dans l’Union européenne : « Néanmoins, la signature de Minsk-2 a permis à l’Ukraine de gagner « huit ans pour créer une armée » et restaurer l’économie du pays », a déclaré Porochenko dans un entretien à la Deutsche Welle en juin 2022. « Nous avons gagné huit ans pour poursuivre les réformes et entrer dans l’Union européenne », a-t-il ajouté.
Dans un entretien au Financial Times en mai 2022, il avait, déjà affirmé que « les accords de Minsk ont fait gagner du temps à l’Ukraine pour constituer son armée, en gelant le conflit avec la Russie ».
source : Observateur Contiental