Ma diversité est plus grosse que la tienne...

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Peut-on simplement assurer aux employés fédéraux le droit de parler français ?

Bon. Ça y est, Attachez vos tuques avec de la broche. Une énième grosse «controverse» vient d’éclater.


Radio-Canada rapporte en effet que :


«Les employés de Service Canada qui interagissent avec le public ne peuvent plus utiliser les mots « monsieur », « madame », « père » et « mère ». Selon les documents que nous avons pu consulter, le « personnel de première ligne » doit désormais « utiliser un langage neutre au niveau du genre. L’objectif du gouvernement (Trudeau) est clair : éviter de donner l’impression que les fonctionnaires fédéraux entretiennent un biais « envers un genre ou un sexe ».


Bien des chemises se déchireront sûrement là-dessus.


Cela dit, cette directive du gouvernement fédéral en fait-elle tout de même trop dans le département que j’appellerais «ma diversité est plus grosse que la tienne» ? En partie, oui.


Sur les termes «mère» et «père», il est vrai que les types de familles et de couples sont de plus en plus diversifiés et que les formulaires gouvernementaux devront le refléter à l’avenir. Si, un exemple parmi d'autres, les parents sont composés de deux femmes ou de deux hommes, le mot «parent» s’applique en effet beaucoup mieux.


À l’opposé, la mort annoncée du «madame» et du «monsieur» semble être nettement prématurée. Quel que soit notre orientation sexuelle ou notre genre, cette formule classique de politesse tient encore parfaitement bien la route.  


Or, quand on lit avec attention, on découvre aussi qu’en même temps, les fonctionnaires doivent «s’adresser aux clients par leur nom complet ou leur demander de « quelle façon ils préfèrent que l’on s’adresse à eux ».


Traduction : sur demande, le «madame» et le «monsieur» seront bien entendu encore et toujours utilisés....


Cette nouvelle directive répondrait à une demande des communautés LGBT. Questionnée sur le sujet, la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, révélait d'ailleurs que le gouvernement du Québec est également à revoir ses propres formulaires pour mieux refléter les nouvelles réalités démographiques et sociales.


Par contre, sur le «monsieur» et «madame», la ministre, fort heureusement, n'a pas l'intention d'imiter le gouvernement fédéral.


Sur le plan plus politique, elle reflète aussi la préoccupation majeure du premier ministre Justin Trudeau pour la «diversité» en tant que valeur et conviction, mais aussi, en tant que marqueur clientéliste pour le Parti libéral du Canada.


À ce chapitre, nul besoin de rappeler à quel point les différents costumes portés par le premier ministre et sa famille lors de leur voyage officiel en Inde visait surtout à consolider les appuis du PLC au sein même des communautés sikhs ici même au Canada.


Le PLC n'est certes pas le premier parti politique clientéliste en Occident,  loin s'en faut. De fait, il l'a toujours été. Malgré quelques défaites électorales, c'est en fait la clé de sa longévité.


Mais c'est aussi la clé pour comprendre la marginalisation croissante du Québec au sein du Canada. Le Québec et la langue française devenant peu à peu de simples éléments de «diversité» parmi d'autres...


***


Un combat courageux


Pendant ce temps-là - et parlant de «diversité» -, toujours au palier fédéral, une histoire nettement plus intéressante mériterait bien plus notre attention.


Monsieur André Dionne, fonctionnaire au fédéral au Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), est devant les tribunaux pour se battre pour un droit qu’on croyait pourtant fondamental au Canada.


Soit le droit de travailler en français. Ou si vous préférez, de travailler dans la langue officielle de son choix.


Le Devoir rapporte que la «Cour fédérale a entamé mardi l’audience finale d’une cause aux accents linguistiques qui sera déterminante pour l’ensemble des employés fédéraux au Canada. (...) En 2010, M. Dionne a adressé une plainte au Commissaire aux langues officielles (CLO) en affirmant ne pas avoir pu exercer son droit de travailler en français au cours de sa carrière au sein du bureau montréalais du BSIF.


Le plaignant a fait valoir que les gestionnaires du bureau de Montréal doivent rendre compte chaque jour à des directeurs anglophones établis à Toronto et que la communication doit donc se faire presque exclusivement en anglais. (...)


Il a donc déposé en mai 2015 une poursuite contre le BSIF pour que les tribunaux se penchent pour la première fois sur les dispositions de la Loi sur les langues officielles qui concernent la langue de travail.


Selon cette loi, les organismes fédéraux doivent notamment veiller à ce que « leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre ».


« Ce sont des dispositions qui n’ont jamais été testées auparavant devant les tribunaux canadiens, donc la cause risque de faire jurisprudence », fait remarquer M. Dionne


La bataille de M. Dionne est admirable et courageuse en soi.


Or, répétons-le, le plus choquant est que cette bataille est menée pour un droit pourtant reconnu par la Loi fédérale sur les langues officielles.


En même temps, elle est le symptôme d’une réalité qui gagne du terrain.


Dans les faits, le français recule de plus en plus au Canada. Au point même où moins de 10% des Canadiens anglophones hors Québec se disent capables de tenir une conversation dans l’«autre» langue officielle du Canada.


Dans la fonction publique fédérale, la difficulté de travailler en français est également un secret de Polichinelle depuis longtemps. Y compris même, dans le cas de M. Dionne, dans un bureau basé à Montréal.


Cela dit, la Loi sur les langues officielles n’impose pas le bilinguisme aux personnes, mais aux institutions fédérales. La nuance n’est pas fortuite.


Elle suppose donc que les employés qui donnent des services - et les citoyens qui les reçoivent -. puissent choisir de le faire dans une des deux langues officielles.


Un beau principe, c’est sûr.


Or, au Canada, ce principe est un miroir aux alouettes.


La langue anglaise y étant massivement majoritaire, elle domine elle aussi de plus en plus même dans les institutions fédérales.


Cette même illusion, dès 1993, l’auteur Scott Reid la documentait déjà avec minutie dans le livre «Lament for a Notion : the Life and Death of Canada’s Bilingual Dream». (Scott Reid est politologue de formation et fut élu député au fédéral en l’an 2000 pour le Parti conservateur.)


Cette illusion, doit-on le rappeler, est l’œuvre très politique de l’ex-premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau.


Question surtout, à l’époque en pleine montée du souverainisme au Québec, de faire croire aux Québécois qu’ils pouvaient prendre leur place au pays de manière égalitaire avec leurs compatriotes de langue anglaise. Mais non pas sur une basse collective de nation à nation, mais sur une base purement individuelle d'une mer à l'autre.


On connait toutefois la suite de l’histoire...