Magistrature : Lebouthillier aurait insisté pour faire nommer un juge

Des documents indiquent qu’elle aurait voulu favoriser l’associé d’un de ses contributeurs politiques

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Des doutes


À première vue, les faits rappellent – pour ceux qui ont de la mémoire – l’affaire Bellemare.


Antoine Robitaille


Une ministre du cabinet Trudeau, Diane Lebouthillier, aurait « beaucoup insisté » pour que Damien St-Onge, l’associé d’un de ses contributeurs, soit nommé juge à la Cour supérieure.


Et il l’a effectivement été, en mars 2019. 





Comme ancien reporter ayant couvert la commission Bastarache, déclenchée par Jean Charest en 2010 pour examiner dans le détail les allégations de son ancien ministre de la Justice, je sais à quel point on est en terrain glissant.




L’honorable Damien St-Onge a été nommé juge en mars 2019.

Photo tirée de la page Facebook de Damien St-Onge

L’honorable Damien St-Onge a été nommé juge en mars 2019.





Je n’écrirais pas sur cette affaire s’il n’y avait pas un document de deux pages intitulé « Due Diligence », daté du 4 février 2019, émanant du cabinet du ministre de la Justice David Lametti, où c’est écrit noir sur blanc.




C’était au ministre de la Justice David Lametti que revenait le dernier mot pour la nomination.

Photo Agence QMI, Mathhew Usherwood

C’était au ministre de la Justice David Lametti que revenait le dernier mot pour la nomination.





Voici le paragraphe, avec les fautes :


« Notes : L’associé de Damien St-Onge, William Assel [sic], est un contributeur et organisateur de la campagne de Diane Lebouthillier en 2015. Il a incité cette dernière à se manifester en faveur de Damien St-Onge. Il semble que c’est la raison pourquoi [sic] Diane Lebouthillier a beaucoup insisté sur cette candidature, malgré la recommandation plus favorable du comité consultatif envers la candidature de [Autre candidat].




Me William Assels, avec qui Damien St-Onge était associé au sein du cabinet St-Onge & Assels, était un contributeur pour la campagne de Diane Lebouthillier

Photo tirée du site web de St-Onge & Assels

Me William Assels, avec qui Damien St-Onge était associé au sein du cabinet St-Onge & Assels, était un contributeur pour la campagne de Diane Lebouthillier





General Advice: High risk. La proximité de l’associé William Assel [sic] avec Diane Lebouthillier est sans doute connu [sic] dans la région. »  



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« Vigoureusement appuyée »


Le « Due Diligence », m’a-t-on expliqué, est un document interne au cabinet, confidentiel, produit après que le ministre a pris sa décision. Pour tenter de prévenir les réactions que pourrait susciter l’annonce de la nomination.


Le document est authentique, reconnaissent des sources gouvernementales, sauf pour deux modifications étranges : dans la version que j’ai reçue, la recommandation n’est pas « high risk », mais « low risk ». On aurait aussi ajouté le mot « organisateur » et retiré un « [1000 $] ».


Mais l’affirmation est là : la ministre du Revenu national Lebouthillier a, sous pression de ses contributeurs de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine, favorisé la nomination d’un juge.





 




Dans un courriel où l’on sollicitait l’avis des membres du cabinet sur les candidatures à venir, on peut aussi lire que Mme Lebouthillier l’a « vigoureusement appuyée » (« strongly endorsed »).


Ce qui aurait amené le ministre de la Justice à ne pas choisir un des candidats ayant reçu une recommandation plus favorable.


Rien d’illégal ici, remarquez. Le ministre fédéral a une discrétion à peu près totale dans le choix final du juge. Et bien sûr, toute cette histoire ne fait pas de M. St-Onge un mauvais juge


Au Québec, la discrétion est beaucoup moins absolue pour la nomination des juges aux Cours du Québec et aux tribunaux administratifs. Après, justement, la commission Bastarache, le processus de nomination a été repensé pour le rendre moins perméable aux influences partisanes.


À Ottawa, le journaliste Daniel Leblanc au Globe and Mail puis à Radio-Canada a démontré que la « libéraliste » était utilisée par les libéraux de Trudeau pour passer les candidats à la magistrature au crible, afin de déterminer s’ils étaient donateurs libéraux, sympathisants, ou non.



  • Écoutez la chronique judiciaire de l’ex-juge Nicole Gibeault à QUB radio





Dans une nomination, la discrétion politique est acceptable, si seulement les critères qui conduisent à la décision finale sont justifiables, explique la professeure de droit à l’Université de Sherbrooke Geneviève Cartier (sans se prononcer, précise-t-elle sur le cas précis de Lebouthillier). « Or, le lien partisan n’est certainement pas un critère acceptable. »


Pas partisane


Diane Lebouthillier et Me Willam Assels ont refusé de parler. Au PLC, on a affirmé hier soir que « l’intégrité du processus a été respectée et aucune pression n’a été appliquée ».


Des sources gouvernementales ont aussi fait savoir que la note controversée a été produite par un employé de cabinet parti en mauvais termes. Dont le fameux paragraphe relève de la « pure spéculation ». D’ailleurs, on y trouve les mots « il semble que ».


De plus, si l’autre candidat a finalement été écarté malgré sa « recommandation plus favorable », la raison en serait bien banale : celui-ci aurait eu des « contraintes géographiques ». Il refusait d’aller siéger loin de son domicile.


Peut-être qu’on est loin d’une affaire de type Bellemare. Peut-être pas. Mais avec les révélations sur la « libéraliste », les reproches de l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson Raybould (qui a dit à Radio-Canada avoir dû résister à de nombreuses tentatives du bureau du PM d’influencer le processus de nomination), on doit conclure qu’une commission Bastarache au fédéral s’impose. 


Dans son rapport, Bastarache a rejeté les allégations de Marc Bellemare, mais aujourd’hui, après l’application de la plupart de ses recommandations, le processus de nomination des juges au Québec est un modèle à suivre.


83 nominations de juges sous Trudeau  





Photo Martin Chevalier





Les libéraux de Justin Trudeau ont procédé à 83 nominations de juges au Québec depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir en 2015.


Marie Christine Trottier et Jules Richer, Bureau d’enquête   



  • Éric Downs, 17 juin 2016, Cour supérieure          

  • Patrick Healy, 20 octobre 2016, Cour d’appel          

  • Benoît Moore, 24 mars 2017, Cour supérieure          

  • Karen M. Rogers, 4 mai 2017, Cour supérieure          

  • Christine Baudouin, 4 mai 2017, Cour supérieure          

  • Frédéric Bachand, 4 mai 2017, Cour supérieure          

  • Daniel Royer, 4 mai 2017, Cour supérieure          

  • Aline U.K. Quach, 9 juin 2017, Cour supérieure          

  • Étienne Parent, 23 juin 2017, Cour supérieure          

  • Jean-François Émond, 23 juin 2017, Cour supérieure          

  • Simon Ruel, 23 juin 2017, Cour d’appel          

  • Jocelyn F. Rancourt, 23 juin 2017, Cour d’appel          

  • Peter Kalichman, 23 juin 2017, Cour supérieure          

  • Marie-France Vincent, 23 juin 2017, Cour supérieure          

  • Marie-Paule Gagnon, 18 juillet 2017, Cour supérieure          

  • Mario Longpré, 18 juillet 2017, Cour supérieure          

  • Claudine Roy, 17 août 2017, Cour d’appel          

  • Gregory Moore, 17 août 2017, Cour supérieure          

  • François Dadour, 20 octobre 2017, Cour supérieure          

  • Myriam Lachance, 27 octobre 2017, Cour supérieure          

  • Suzanne Gagné, 29 novembre 2017, Cour d’appel          

  • Carl Thibault, 29 novembre 2017, Cour supérieure          

  • Isabelle Breton, 29 novembre 2017, Cour supérieure          

  • Richard Wagner, 12 décembre 2017, Cour suprême          

  • Johanne Brodeur, 19 décembre 2017, Cour supérieure          

  • Pascale Nolin, 19 janvier 2018, Cour supérieure          

  • David E. Platts, 4 avril 2018, Cour supérieure          

  • Jérôme Frappier, 4 avril 2018, Cour supérieure          

  • Geneviève Cotnam, 22 juin 2018, Cour d’appel          

  • Stephen W. Hamilton, 31 août 2018, Cour d’appel          

  • Sylvain Lussier, 31 août 2018, Cour supérieure          

  • Bernard Synnott, 31 août 2018, Cour supérieure          

  • Éric Hardy, 31 août 2018, Cour supérieure          

  • Nathalie Pelletier, 31 août 2018, Cour supérieure          

  • Jean-Sébastien Vaillancourt, 9 novembre 2018, Cour supérieure          

  • Guylaine Duplessis, 11 décembre 2018, Cour supérieure          

  • Lyne Décarie, 11 décembre 2018, Cour supérieure          

  • Stéphane Sansfaçon, 31 janvier 2019, Cour d’appel          

  • Michel Beaupré, 8 mars 2019, Cour d’appel          

  • Damien St-Onge, 8 mars 2019, Cour supérieure          

  • Martin F. Sheehan, 8 mars 2019, Cour supérieure          

  • Janick Perreault, 8 mars 2019, Cour supérieure          

  • Dominique Poulin, 8 mars 2019, Cour supérieure          

  • Christian Immer, 8 mars 2019, Cour supérieure          

  • Jean Faullem, 4 juin 2019, Cour supérieure          

  • Jeffrey Edwards, 4 juin 2019, Cour supérieure          

  • Anne-France Gagnon, 4 juin 2019, Cour supérieure          

  • Judith Harvie, 4 juin 2019, Cour supérieure          

  • Lucie Fournier, 25 juin 2019, Cour d’appel          

  • Benoît Moore, 25 juin 2019, Cour d’appel          

  • Stéphane Lacoste, 27 juin 2019, Cour supérieure          

  • Patrick Buchholz, 27 juin 2019, Cour supérieure          

  • Marie-Christine Hivon, 27 juin 2019, Cour supérieure          

  • Nicholas Kasirer, 10 juillet 2019, Cour suprême          

  • Nancy Bonsaint, 3 février 2020, Cour supérieure          

  • Claudia P. Prémont, 6 mars 2020, Cour supérieure          

  • Philippe Cantin, 6 mars 2020, Cour supérieure          

  • Mark Phillips, 6 avril 2020, Cour supérieure          

  • Jocelyn Pilote, 14 mai 2020, Cour supérieure          

  • Isabelle Germain, 14 mai 2020, Cour supérieure          

  • Manon Savard, 11 juin 2020, Juge en chef du Québec          

  • Guy Cournoyer, 1er octobre 2020, Cour d’appel          

  • Sophie Lavallée, 1er octobre 2020, Cour d’appel          

  • Tiziana Di Donato, 1er octobre 2020, Cour supérieure          

  • Marie-Hélène Montminy, 1er octobre 2020, Cour supérieure          

  • Alexander Pless, 1er octobre 2020, Cour supérieure          

  • Katheryne Alexandra Desfossés, 1er octobre 2020, Cour supérieure          

  • Christine Baudouin, 19 novembre 2020, Cour d’appel          

  • Frédéric Bachand, 19 novembre 2020, Cour d’appel          

  • Philippe H. Bélanger, 19 novembre 2020, Cour supérieure          

  • Bernard Jolin, 14 décembre 2020, Cour supérieure          

  • Frédéric Pérodeau, 14 décembre 2020, Cour supérieure          

  • Geeta Narang, 14 décembre 2020, Cour supérieure          

  • Catherine Perreault, 14 décembre 2020, Cour supérieure          

  • Peter Kalichman, 27 avril 2021, Cour d’appel          

  • Annie Breault, 27 avril 2021, Cour supérieure          

  • Charles Bienvenu, 27 avril 2021, Cour supérieure          

  • Pierre A. Béliveau, 26 mai 2021, Cour supérieure          

  • Marie-Claude Rigaud, 26 mai 2021, Cour supérieure          

  • Yvan Poulin, 2 juillet 2021, Cour supérieure          

  • Daniel Urbas, 2 juillet 2021, Cour supérieure          

  • Louis Charrette, 2 juillet 2021, Cour supérieure          

  • Gabrielle Brochu, 2 juillet 2021, Cour supérieure                    


PAS LA PREMIÈRE CONTROVERSE


Dès son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement de Justin Trudeau a instauré ce qu’on a appelé la « libéraliste » pour politiser les nominations des juges fédéraux. 


Cette liste secrète, révélée par des fuites dans les médias, évaluait le degré de fidélité au Parti libéral du Canada des avocats candidats à des postes de juges. La liste indiquait si ceux-ci étaient membres du parti, pour combien ils y avaient contribué et s’ils avaient été impliqués dans la course à la direction du parti marquée par la victoire de Justin Trudeau. 


Face au tollé suscité par les révélations à propos de son existence, l’utilisation de la liste aurait cessé au printemps dernier.


COMMENT EST NOMMÉ UN JUGE À LA COUR SUPÉRIEURE ?


Ottawa est responsable de la nomination des juges de la Cour supérieure du Québec et de celles des autres provinces. Le processus fonctionne en deux étapes, en trois si on ajoute celle de la libéraliste.           



  • D’abord, des comités consultatifs dans chaque province, constitués notamment de membres du Barreau, déterminent des candidats potentiels sur la base de l’expérience et du profil recherché.           

  • Ces choix sont ensuite soumis au ministère fédéral de la Justice qui effectue la sélection finale.           

  • Le mécanisme de la libéraliste se glissait secrètement entre ces deux étapes pour recommander les candidatures proches du Parti libéral.                    


LE QUÉBEC A FAIT LE MÉNAGE IL Y A 10 ANS


Au Québec, les recommandations de la commission Bastarache, tenue en 2010, ont permis de mettre de l’ordre dans le processus de nomination des juges de juridiction provinciale. 


Présidée par l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache, la commission avait mis en lumière un processus entaché par des considérations politiques et des pratiques mal définies. 


Révélée par la commission, la méthode employée par une responsable du bureau de Jean Charest pour classer les allégeances politiques des aspirants juges avait frappé l’imagination. Celle-ci se servait de collants Post-it pour les départager. 


Aujourd’hui, le processus de sélection des juges au Québec est cité en exemple pour sa qualité.


 




 


 



 


 






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