En oubliant leurs racines

Mai 2018 : il est permis d’interdire

De fil en aiguille, Québécois et Français se sont conformés à la nouvelle éthique des néolibéraux, véritables monarques du XXIe siècle.

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Chronique de P-H Perrier

Les médias de masse célèbrent le cinquantième anniversaire d’un Mai 68 supposé avoir été un point de ralliement vers la reconfiguration de « l’Homme unidimentionnel ». Ainsi, un demi-siècle après la Révolution d’octobre bolchévique, il convenait de reprendre le flambeau de cette « longue marche » vers la libération finale d’un prolétariat fantasmé. Après avoir pris d’assaut la rue, nos révolutionnaires du dimanche se préparaient à mettre la main sur les institutions de la République et, partant, se réservaient de juteuses prébendes pour des « lendemains radieux » à géométrie variables.


Mai, ce n’est plus le mois de Marie, c’est le miroir aux alouettes.


Prétendue révolution culturelle, Mai 68 n’a pas été orchestrée afin de précipiter le départ du général de Gaulle. Il s’agissait plutôt de la première « Révolution de couleur » orchestrée par les pontes de tous les Council on Foreign Relations (CFR) de ce monde. La France, traitée comme une « République de banane », devenait la vitrine principale d’une libération des mœurs conçue comme un défilé de suffragettes libertines. Il fallait « jouir à tout prix », peu importe les conséquences. Et, cette fuite en avant, opérée au moyen d’une judicieuse focale médiatique, permit de faire dériver les luttes ouvrières et la reconstruction du pays réel vers un grand happening faussement festif.


Les étudiants petit-bourgeois ayant décrété qu’« il est interdit d’interdire », le business des talk-shows avaient un boulevard devant lui. Les animateurs du spectacle médiatique étaient mandatés pour ouvrir le micro à une foule d’acteurs minoritaires manifestant leurs desiderata. Il fallait que la différence puisse, enfin, s’épanouir comme une extraordinaire métastase destinée à gruger le ciment qui permet à nos cités de tenir en place. Mai 68, c’est comme si on ouvrait un parapluie d’un coup sec : éparpillant, à gauche et à droite, toutes les solidarités historiques patiemment tissées par les générations derrière nous. Nous, la génération spontanée, culture bactérienne d’un Homme hors-sol amnésique et lubrique.


Il suffit de pratiquer une sorte d’anamorphose (68 à 86) pour réaliser que 86 correspond à la fin du cycle des grandes réformes sociétales mises en place par François Mitterrand. Les Socialistes ayant rompu le pacte social avec les classes populaires – définitivement alignés sur la doxa Atlantiste – les régisseurs du grand cirque médiatique mettaient en scène SOS Racisme et toute une déclinaison de luttes minoritaires destinées à isoler en monades les prolétaires devenus consommateurs. Le champ était libre pour la venue des néolibéraux et autres « conservateurs » de type reaganien. La Révolution sociétale permettant de liquider une « lutte des classes » gênante, voire compromettante pour les classes possédantes. Tout le reste est à l’avenant.


Chez nous, au Québec, le Parti Québécois et toute sa cohorte de militants socialo-compatibles voyait le jour. Le concept de Révolution tranquille – véritable oxymore luciférien – pouvait se déployer suivant le modèle du happening soixante-huitard français. Une nouvelle génération de chevelus prenait d’assaut les institutions d’enseignement supérieur afin d’entreprendre un travail de sape qui se poursuit toujours envers et contre toute forme de mémoire collective. Il fallait jeter aux orties le Canadien-Français, fier descendant des Français d’Amérique, afin de pouvoir façonner le nouveau Québécois, version nord-américaine de l’Homme de Mai 68. L’amnésie, en guise de tranquillisant, a été pulsée, avec l’appui des généreuses subventions de l’état, aux quatre coins de l’ancien Bas-Canada. Le nouveau Québécois, parangon de coolitude et d’ouverture sur le monde, s’engageait dans une lutte de libération correspondant à un véritable miroir aux alouettes.


Et, cette lutte de tous contre tous – prolongement de la « révolution culturelle » des soixante-huitards – a fini par dissoudre ce fameux ciment qui permettait à la société de tenir : la famille. Première structure anthropologique et source de toutes solidarités, la famille s’est disloquée et sa figure tutélaire a été remplacée par les nouveaux assemblages composites proposés dans le catalogue des Théories du genre. La matrice anthropologique éclatée, les marchés économiques peuvent investir les moindres interstices d’une société modélisée comme un gigantesque marché planétaire. Alors que la liberté d’expression est vantée sur toutes les tribunes, il convient d’interdire aux communs des mortels de nommer ce mal sournois qui nous pourrit la vie. Il n’y a rien à voir : « circulez les poètes » !


De fil en aiguille, Québécois et Français se sont conformés à la nouvelle éthique des néolibéraux, véritables monarques du XXIe siècle. Oubliant leurs racines et tout ce qui avait pu contribuer à forger des solidarités naturelles, nos concitoyens se sont engouffrés dans un bal des Valseuses qui risque de prendre fin de manière abrupte. En effet, en Mai 2018, la nouvelle police de la pensée unique vient de décréter qu’il est, désormais, permis d’interdire !



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Patrice-Hans Perrier181 articles

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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





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