L'accord constitutionnel de 1987

Meech, fondement d'un nouveau fédéralisme

L'avocat-pouet ronflant - un autre qui inverse les signes - Meech un échec qui devient un succès, pour le Québec-dans-le-Canada...

Gil Rémillard - Avocat-conseil chez Fraser Milner Casgrain et ministre de 1985 à 1994 dans les gouvernements de Robert Bourassa
En ce matin du 12 mars 1987, nous savons que la décision que l'on doit prendre peut avoir des conséquences sur nos relations avec les autochtones. Mais après une forte discussion, où étaient présents Jean-Claude Rivest, le conseiller du premier ministre, André Tremblay, conseiller constitutionnel, Diane Wilhelmy, la sous-ministre, et moi, le premier ministre Robert Bourassa conclut qu'on assistera à la conférence fédérale-provinciale sur les autochtones mais que le Québec ne sera pas représenté par son premier ministre et qu'il ne votera pas en ce qui regarde un gouvernement autonome pour les autochtones.
Nous convenons alors qu'à titre de représentant du gouvernement à la conférence, j'expliquerai pourquoi nous nous abstenons, pour que les autochtones comprennent bien que ce n'est pas contre eux que nous réagissons.
Cette rencontre était la dernière des cinq prévues dans la Loi constitutionnelle de 1982 pour tenter d'en arriver à inclure dans la Constitution le principe du gouvernement autochtone autonome pour les réserves prévu dans la Loi sur les Indiens. Nous savions que notre refus de voter pouvait signifier que la résolution n'aurait pas l'appui de sept provinces totalisant 50 % de la population du Canada, ainsi que le prévoit la Constitution pour adopter un tel amendement.
Les représentants de l'Ontario nous avaient informés qu'ils appuieraient la résolution. Si le Québec aussi l'appuyait, le 50 % de la population requis était donc atteint et nous savions qu'au moins cinq autres provinces devaient elles aussi l'appuyer pour atteindre le scénario complet des sept provinces nécessaires à l'adoption. Le premier ministre de l'Ontario, David Peterson, qui était un précieux allié pour le Québec relativement à l'entente constitutionnelle que l'on s'apprêtait à signer, avait téléphoné à Robert Bourassa pour le convaincre d'être présent à cette dernière rencontre.
Atmosphère tendue
Malgré les pressions d'Ottawa et de l'Ontario, nous avions conclu que nous ne pouvions déroger à la règle que le premier ministre Bourassa avait établie dès son arrivée à la tête du gouvernement: le Québec, parce qu'il n'a pas signé la Constitution de 1982, participerait aux rencontres fédérales-provinciales, contrairement à ce qu'avait fait jusqu'alors le gouvernement péquiste, depuis le rapatriement de 1982. Mais le Québec ne voterait pas.
L'atmosphère est tendue au Centre de conférence d'Ottawa cet après-midi du 27 mars 1987, soit quelques semaines avant la rencontre du lac Meech (30 avril 1987).
À la pause, juste avant le vote, le sénateur Lionel Murray, ministre responsable du dossier constitutionnel dans le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney, me dit:
— «Avez-vous toujours l'intention de ne pas voter?»
— «Oui sénateur», que je lui réponds. «Nous n'avons pas le choix. Si on fait une exception aujourd'hui, c'est toute notre stratégie pour obtenir un accord constitutionnel en avril qui pourrait s'effondrer. Nous ne sommes pas signataires de la Constitution, alors on ne vote pas. Quand il y aura un accord sur nos cinq demandes, on votera de nouveau parce que nous serons alors redevenus des partenaires à part entière dans la fédération canadienne.»
— «Je comprends très bien votre stratégie et je l'appuie», me répond-il. «Mais aujourd'hui, c'est un cas bien spécial: c'est la dernière chance pour les autochtones d'avoir leur gouvernement autonome. Ils vont en être privés à cause de votre refus de voter.»
— «Quand nous aurons notre accord constitutionnel, nous y reviendrons, et on les appuiera.»
— «Mais le "timing" pour eux ne sera plus là! C'est dommage. J'espère que ça n'aura pas trop de conséquences sur nos négociations.»
Venant du sénateur Murray, un homme habitué à pondérer ses propos, ces réflexions m'ont laissé très perplexe.
Autochtones
Lorsque le premier ministre Brian Mulroney ouvre l'assemblée pour procéder au vote, après qu'un vénérable chef amérindien nous eut fait fumer le calumet de la paix, j'étais donc nerveux et profondément touché par la situation. J'avais de très bons amis autochtones, comme le grand chef Max Gros-Louis, chef huron-wendat de Wendake, que j'appréciais beaucoup. Nous avions souvent parlé d'un gouvernement autonome pour les autochtones.
Cet homme de conviction et d'action m'avait réconcilié avec cette idée de gouvernement autochtone, même si j'y voyais des gouvernements basés sur la race, ce que j'avais de la difficulté à accepter. Lors de la visite du secrétaire des Nations unies Javier Perez de Cuellar à Québec, en avril 1985, lors d'un colloque que j'avais organisé sur les droits des minorités, j'avais eu l'occasion, en compagnie de Max, d'en parler avec le secrétaire général. Ce dernier me dit comprendre mes objections concernant les nationalismes ethniques. Mais elles ne pouvaient selon lui s'appliquer aux autochtones, victimes d'injustices historiques. Il insista pour dire cependant que l'entente de la Baie-James, négociée et conclue par le premier ministre Bourassa avec les Cris, était le modèle dont les Nations unies faisaient la promotion.
Le vote
Solennellement, le premier ministre Mulroney procède au vote. Première province appelée, l'Ontario vote en faveur, comme prévu. Une fois venu le tour du Québec, je m'abstiens de voter. C'est la consternation! Nous venons de mettre fin au rêve légitime de tous ces autochtones qui pleurent et sont désemparés. À la fin du vote, Éthel Blondin, première femme autochtone élue députée au niveau fédéral, se lève, se dirige vers moi, et en larmes me dit: «What have you done to my people? Why have you done that to my people?» J'ai toujours gardé ces paroles en tête.
Mais nous étions alors loin de penser que ce serait un autochtone cri, Elijah Harper, du Manitoba, qui mettrait fin à notre rêve de voir l'entente du lac Meech devenir partie de la Constitution canadienne.
Dernière heure
Quand Lowell Murray me téléphone vers 11 heures, ce fameux 22 juin 1990 au matin, la veille de la date limite pour l'acceptation de Meech, il me dit:
— «Je crois que c'est terminé. Elijah Harper va continuer son opposition et le premier ministre Filmon [Manitoba] refuse de suivre les conseils des experts en procédure parlementaire qu'on lui a envoyés pour procéder quand même au vote de la résolution.»
— «Pourquoi le premier ministre Filmon ne suit-il pas les conseils des experts pour faire voter la résolution? que je lui demande. Au moins, la résolution sera votée et, s'il y a contestation, nous vivons dans un pays démocratique, les tribunaux sont là pour trancher.»
— «Je le sais. Mais on ne peut plus faire quoi que ce soit. C'est terminé.»
Juge Lamer
Pourtant, quelques jours auparavant, je m'étais rendu à la Cour suprême du Canada, à Ottawa, afin de rencontrer le juge en chef Antonio Lamer. Le juge Lamer était un éminent juriste avec un sens humain remarquable et une pensée fédéraliste qui marque d'ailleurs toujours aujourd'hui les décisions du plus haut tribunal du pays.
— «Monsieur le juge en chef, vous comprenez que la situation est très difficile. Nous avons toujours espoir, mais tout dépend du gouvernement du Manitoba. Le premier ministre Wells [Terre-Neuve] a confirmé qu'il fera voter la résolution par son Assemblée législative, mais que lui, cependant, s'abstiendra. Ce qui veut dire que la résolution pourrait être adoptée par deux ou trois votes de majorité. Mais le problème est du côté du Manitoba. Si le Manitoba ne vote pas la résolution, Terre-Neuve ne votera pas sous le prétexte que ce n'est pas nécessaire puisqu'il n'y a pas l'unanimité requise. Je me permets de vous demander si, dans le cas où le premier ministre Filmon décidait de suivre les conseils des experts en procédure parlementaire et que l'Assemblée législative du Manitoba votait en faveur de la résolution pour accepter Meech, malgré l'opposition d'Elijah Harper, la Cour suprême accepterait d'entendre en priorité cette affaire si c'était par la suite contesté.»
— «Je dois protéger la discrétion judiciaire et notre indépendance, me dit le juge Lamer. Mais tenez pour acquis qu'on fera tout en notre pouvoir pour rendre notre opinion le plus tôt possible. Nous sommes conscients que l'avenir du pays est en cause.»
J'avais informé le sénateur Murray de cet entretien avec le juge en chef. Cela confirmait leurs propres informations.
La fin
Ainsi, lorsque Lowell Murray m'annonce que c'est la fin ce matin-là, il ajoute:
— «Il y a toujours la possibilité d'aller devant la Cour suprême pour lui demander son avis sur le fait que des sujets comme "la société distincte", le "pouvoir de dépenser", le "choix des immigrants", les "juges québécois à la Cour suprême", qui selon la formule d'amendement dans la Constitution nécessitent non pas l'unanimité, mais plutôt sept provinces totalisant 50 % de la population, soient considérés comme acceptés.»
— «Je vais en parler au premier ministre Bourassa, que je lui réponds, et je vous reviens cet après-midi.»
Il a fallu peu de temps pour qu'on en vienne à la conclusion que nous ne pouvions pas dépendre d'une décision de la Cour suprême pour déterminer quels morceaux de Meech pouvaient survivre. D'autant plus que nous savions que la réponse risquait fort d'être que, puisque les cinq conditions de Meech avaient été négociées, acceptées et votées par les provinces dans leur ensemble, on ne pouvait plus, après coup, considérer séparément chaque sujet. L'intention du législateur, c'est-à-dire chaque province, devait être respectée. De plus, un tel jugement de la Cour suprême aurait donné encore un plus grand impact à l'échec de Meech. C'était vraiment trop risqué.
Québec
Le sénateur Murray m'avait aussi parlé de la possibilité que le Québec rescinde (annule) sa résolution, la première à avoir été votée trois ans auparavant, le 23 juin 1987. Comme la Saskatchewan avait été la seconde province à voter une résolution trois mois plus tard, rescinder notre proposition aurait pu donner trois mois de plus pour trouver un compromis.
Mais déjà, Jean Charest avait réussi un tour de force sur la protection de l'intégralité de nos cinq conditions tout en laissant quelques portes ouvertes. Nous savions qu'en annulant notre acceptation initiale, on ouvrait la «boîte de Pandore». Cela aurait été intenable. Et les sondages montraient de plus en plus que les Canadiens ne soutenaient plus Meech.
Échec
À 15h, je rappelle donc le sénateur Murray pour lui faire part de nos conclusions. Tous deux très émus, nous ne pouvons que constater l'échec du processus d'adoption de Meech
par l'obstruction d'un seul opposant à l'Assemblée législative du Manitoba au nom des peuples autochtones.
L'accord du lac Meech est mort au feuilleton le 23 juin 1990. Le premier ministre Brian Mulroney, qui, pendant tout le processus de Meech, a montré une diplomatie et une détermination exceptionnelles, nomma quelques jours plus tard Joe Clark ministre responsable du dossier constitutionnel pour reprendre les choses en main. Après les travaux d'une commission mixte du Sénat et de la Chambre des communes (Beaudoin-Dobie) et d'autres consultations, Joe Clark réussit à établir un nouveau consensus chez les provinces en juillet 1992.
De son côté, le Québec, après les célèbres mots du premier ministre Bourassa — «le Québec est aujourd'hui et pour toujours une société distincte» —, crée lui aussi sa commission d'enquête (Bélanger-Campeau) pour consulter la population du Québec. Elle en arrive à la conclusion que, si le Québec ne reçoit pas d'offres acceptables, la souveraineté devient une option possible.
Charlottetown
Après une rencontre préliminaire à Ottawa en août 1992, les provinces, y compris le Québec, et le gouvernement fédéral signent un autre accord constitutionnel quelques jours plus tard à Charlottetown, qui comprend le droit des autochtones à un gouvernement autonome. L'entente prévoit essentiellement les cinq conditions de Meech, plus une compétence exclusive en ce qui regarde la culture et les communications.
De plus, le Québec reçoit la garantie que le nombre de ses députés à la Chambre des communes ne diminuera jamais en bas de 25 % de l'ensemble des députés. C'est pour nous un gain inespéré. L'accord de Charlottetown, dans les faits, était encore meilleur que celui de Meech. Il mourut au champ d'honneur: mais c'est une autre histoire...
Rendez-vous manqué
L'entente du lac Meech a été ce rendez-vous manqué qui a causé une telle déception au Québec que le référendum de 1995 n'a été gagné par les fédéralistes que par quelque 45 000 voix et que le Bloc québécois est toujours là 20 ans plus tard pour dire «Je me souviens».
Cependant, au-delà de cette profonde frustration fort légitime, il est important de comprendre que, hormis le droit de veto du Québec perdu dans les négociations de 1980-1981, la substance de Meech se trouve aujourd'hui incorporée dans notre pratique administrative constitutionnelle. Quant à la société distincte, nous pouvons dire aujourd'hui que ce n'était pas très heureux d'utiliser cette expression qui en anglais peut signifier «société supérieure». Cette difficulté de bilinguisme et de compréhension a été certainement l'une des causes majeures des problèmes de Meech.
Catalyseur
La reconnaissance par le Parlement canadien du Québec comme nation est, elle, sans équivoque et tellement plus significative pour les Canadiens et pour l'international. On la retrouvera dans la Constitution canadienne éventuellement, j'en suis convaincu, puisque sa pratique est de plus en plus consacrée par des actions concrètes et significatives, comme le fait de voir l'actuel premier ministre du Québec devenir le principal promoteur d'un pont transatlantique avec l'Europe, comprenant un libre échange dont le Québec est partie des négociations et une entente France-Québec pour la reconnaissance des compétences des professionnels et des travailleurs. En plus, le Québec se retrouve formellement représenté dans un organisme international: l'UNESCO.
On verra alors que Meech aura été en fait un important catalyseur d'ajustement et d'évolution pour le fédéralisme canadien au bénéfice du Québec dans une mondialisation des économies qui nous amène à une nouvelle ère de civilisation.
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Gil Rémillard - Avocat-conseil chez Fraser Milner Casgrain et ministre de 1985 à 1994 dans les gouvernements de Robert Bourassa

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Ministre des Affaires intergouvernementales dans le gouvernement Bourassa à l'époque de l'accord du Lac-Meech, aujourd'hui professeur à l'École nationale d'administration publique, avocat-conseil chez Fraser Milner et auteur d'un ouvrage en trois tomes sur la Constitution canadienne





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