Entrevue avec Elijah Harper

L'«assassin» à la plume ne regrette rien

« En décembre 1990, appelés, comme chaque année, à choisir un "Canadien de l’année", 37 des 98 directeurs de journaux du Canada hors Québec élisaient Elijah Harper », soulignait Jean-François Lisée dans Le Tricheur (Boréal, 1994).

MEECH - 20 ans plus tard...

En juin 1990, le Cri Elijah Harper est devenu un véritable héros dans le Rest of Canada. Brandissant sa plume d'aigle pour voter, ce député du Nouveau Parti démocratique provincial avait empêché que l'assemblée législative du Manitoba ne prolonge ses travaux pour ratifier le fameux accord du lac Meech avant le délai du 23 juin. Cela avait entraîné la fin de l'entente historique. Un scénario similaire s'était produit à Terre-Neuve, véritable clou dans le cercueil. «En décembre 1990, appelés, comme chaque année, à choisir un "Canadien de l'année", 37 des 98 directeurs de journaux du Canada hors Québec élisaient Elijah Harper», soulignait Jean-François Lisée dans Le Tricheur (Boréal, 1994).
Trois ans après la fin de Meech paraît une biographie élogieuse sur Harper (aucun lien avec Stephen, en passant), simplement intitulée Elijah, écrite par la journaliste du Winnipeg Free Press, Pauline Comeau. Sa renommée est encore grande: en 2008, CTV tire de la biographie un téléfilm de deux heures dans le cadre d'une série sur les «héros de l'histoire canadienne».
Joint à Winnipeg, «l'assassin de Meech», comme on le surnommait dans les officines du gouvernement Bourassa, n'a aucun regret. «Si les gens veulent me définir ainsi, je vis assez bien avec ça», dit à l'autre bout du fil ce semi-retraité de 61 ans, toujours actif comme militant autochtone, amusé par l'intérêt qu'on lui porte encore 20 ans plus tard. Il rappelle qu'à l'époque, il n'était pas seul: «J'avais pas mal d'appuis partout au pays. Pas uniquement chez les autochtones, chez les Blancs aussi. Au Québec notamment. En fait, des séparatistes parmi les plus radicaux applaudissaient à ma prise de position contre Meech!»
Contre la thèse des deux peuples fondateurs
Harper explique qu'il en avait contre la thèse des deux peuples fondateurs qu'il voyait revenir avec Meech. «Cette thèse est fausse. Nous aussi, on a participé à l'essor de ce pays. Nos terres, pour la plupart, ont servi au développement économique et à l'extraction de ressources naturelles. Et ç'a profité au pays en entier. Sauf que nous n'en avons pas bénéficié.»
Or, pour aboutir à Meech, on n'avait pas sollicité la participation des peuples autochtones, insiste Harper: «Personne ne nous avait consultés.» Mais parce que c'était la «ronde Québec» de négociations constitutionnelles, non? Huit ans plus tôt, le Québec avait été exclu des négociations constitutionnelles qui ont mené au coup de force de 1982. Meech, c'était pour réparer cela, non?
«Ça ne justifiait pas que soient exclus les autochtones en 1987», insiste Harper. Le Québec, lui, jouit d'un statut de province, ce qui fait que «c'est une nation qui a une présence forte au Canada. Elle a sa langue, les lois sont votées en français. Elle négocie avec le fédéral, a une présence internationale. Les autochtones n'étaient pas reconnus comme ça à l'époque et nous avons encore un bon bout de chemin à faire.»
Si Elijah Harper est fier de son opposition à Meech, qu'il qualifie d'«un des plus grands moments de [sa] carrière», il souligne que depuis 20 ans rien ou presque n'a changé. «Nous avons toujours les mêmes problèmes.»
Le premier ministre fédéral Brian Mulroney avait tenté, en juin 1990, de les convaincre de changer d'idée, lui et le leader autochtone Ovide Mercredi. «La carotte qu'il nous avait offerte, c'était de tenir une commission royale sur les peuples autochtones tout de suite après la ratification de Meech. On avait refusé.» La commission Erasmus-Dussault a eu lieu, certes, mais dans la foulée de la crise d'Oka. Le rejet de Meech par Harper doublé de la crise d'Oka, c'est une sorte de retour du refoulé, laisse-t-il entendre.
«Ces deux événements ont perturbé la vie du pays, certes. Mais la commission a accouché de son rapport en 1995, 16 millions de dollars plus tard. Plein de choses ont été recommandées, mais elles n'ont pas vraiment été appliquées. Ça me conforte dans mon choix d'avoir rejeté Meech malgré l'offre que me faisait Mulroney. Ç'a confirmé que le gouvernement n'était pas vraiment sincère.»
Non à Charlottetown
Après Meech, le processus constitutionnel se poursuit avec Charlottetown, et cette fois les autochtones sont «inclus». Mais Elijah Harper s'y oppose et vote non, le 26 octobre 1992, contre l'avis de son ami Ovide Mercredi, chef de l'Assemblée des Premières Nations, qui appuie l'accord.
C'est du Parlement d'Ottawa, où il a été élu libéral en 1993, qu'il suit l'autre référendum, celui du 30 octobre 1995. Sa présence dans les rangs libéraux pose problème: des élus du Québec rechignent à être associés au fossoyeur de Meech. Elijah Harper se souvient de ce qu'il a dit en Chambre en octobre 1995: «J'avais fait valoir que les autochtones ont un rôle important à jouer pour garder le pays uni, protéger l'unité du Canada, et la paix et l'harmonie dans ce pays.»
Celui qu'on a qualifié de deuxième fossoyeur de Meech, Clyde Wells, le premier ministre de Terre-Neuve à l'époque, a refusé de nous accorder une entrevue. Après sa carrière politique, M. Wells a siégé à la Cour suprême de Terre-Neuve, où il est encore conseiller.
Et les plumes?
Au sujet de la plume avec laquelle il a voté en 1990, Elijah Harper explique qu'en fait il en avait deux, qu'il a conservées précieusement, il va sans dire. «L'une d'elles m'avait été offerte par l'Assemblée des chefs autochtones du Manitoba, par un ancien. L'autre, la plume d'aigle, c'est mon frère qui l'avait trouvée dans une de nos lignes de piégeage sur notre territoire.»


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